Surenchère de nation bashing
Dans un post du 8 mars dernier, intitulé « Nation branding en solde ! », je m’interrogeais sur l’utilisation abusive qui est de plus souvent faite de slogans commerciaux à fin de promotion des particularismes nationaux.
L’actualité récente ne fait que confirmer cette tendance, comme elle nous éclaire sur l’alter ego de cette promotion nationale, le « nation bashing », qui serait d’une certaine manière la tentative de déstabilisation d’une nation, en puisant dans toutes les possibilités, notamment la mise au pilori de ses productions les plus emblématiques, et ses symboles les plus forts. Le tout à des fins politico-commerciales. On se souvient ainsi en 2003 de la campagne de French bashing aux Etats-Unis, consécutivement au refus de la France de participer à la coalition internationale en Irak et le blocage au Conseil de Sécurité de l’ONU qui s’en suivit. Les réactions dans les milieux conservateurs américains sortirent alors très nettement du champ politique, les produits français étant directement pris pour cible, des « French fries » rebaptisées pour l’occasion « Freedom fries » au vin français déversé dans les caniveaux. Des pratiques pour le moins douteuses, mais qui témoignent de cette aptitude de plus en plus marquée à chercher à déstabiliser un pays en étendant la politique à d’autres champs, et en y associant directement les produits.
Les récents déboires en Amérique du Nord du numéro 1 mondial de l’automobile, Toyota, sont symptomatiques de cette surenchère inquiétante. Auditions au Congrès américain et devant des parlementaires canadiens, mobilisation des associations de consommateurs pour dénoncer des anomalies dans la production, excuses publiques et rappels en masse de nombreux modèles… le constructeur automobile japonais est soudain présenté comme incapable, mal intentionné, et produisant des voitures de mauvaises qualité. Le tout coïncidant étrangement avec la nécessité de gonfler les ventes des constructeurs automobiles américains, au bord du gouffre. Dans cette optique, rien de tel qu’une campagne de déstabilisation bien relayée au niveau politique, s’appuyant bien entendu sur des faits avérés, mais qui sont amplifiés au point de concerner l’ensemble des produits Toyota, et même par extension Honda, l’autre gros producteur automobile japonais étant désormais suspecté d’exporter des produits non fiables. Le message envoyé aux consommateurs est d’une clarté presque risible : les Japonais ne savent pas produire des voitures de qualité !
Une telle stratégie marche plus que toutes les meilleures campagnes publicitaires. Les chiffres sont d’ailleurs pour le moins évocateurs. En février 2010, les ventes de Toyota aux Etats-Unis ont chuté de 10% par rapport à février 2009, tandis que tous les autres constructeurs ont connu une croissance assez forte par rapport à cette année particulièrement sombre. Ford annonce ainsi pour la même période près de 45% de croissance et Nissan 30% ! Et General Motors, qui a pourtant récemment annoncé le retour d’un million et demi de voitures consécutivement à des problèmes de direction affiche un chiffre plus qu’honorable, les ventes ayant progressé de plus de 10% en un an.
L’affaire Toyota cache une tendance plus lourde des pays occidentaux qui consiste à montrer du doigt les productions industrielles asiatiques en cherchant à les déstabiliser, à la fois pour renforcer la crédibilité de leurs propres industries, mais aussi, et peut-être surtout, pour donner une image négative de ces économies désormais très compétitives. Ainsi, plus que le japonais Toyota, ce sont les productions asiatiques en général qui sont le plus souvent critiquées, souvent de façon caricaturale, et en faisant un usage très prononcé de la désinformation. Le tout pour chercher à imposer l’idée que ces pays sont incapables de produire de la qualité, et qu’ils appartiennent donc de facto à une catégorie inférieure, ne méritant pas de rivaliser avec les pays occidentaux.
C’est évidemment sur cette question la Chine, le géant de l’exportation, qui est en première ligne, et fait l’objet d’incessantes attaques dignes du nation bashing, certaines n’étant pas justifiées d’un point de vue sanitaire, mais relevant simplement de méthodes de déstabilisation. C’est aussi le révélateur des tensions commerciales très fortes opposant Washington à Pékin, qui se traduisent par des méthodes peu orthodoxes mais qui s’avèrent d’une efficacité redoutable. A l’été 2007, des crevettes et des poissons élevés en Chine et présentant des traces de produits interdits ont ainsi été bloqués à leur entrée sur le territoire des Etats-Unis, et Pékin a rapidement été soupçonnée de chercher à empoisonner les Etats-Unis, au sens propre cette fois ! Les produits Made in China refusés l’ont été pour des raisons sanitaires, car ils ne répondaient pas à certaines normes et contenaient des produits jugés dangereux aux Etats-Unis. De quoi en rajouter sur la question de la qualité des produits chinois. De quoi également renforcer les arguments de ceux qui voient dans la Chine un adversaire de Washington. Dans un pays en proie à ce que certains observateurs qualifient de « protectionnite aiguë », des milieux conservateurs américains agitèrent la peur d’un empoisonnement délibéré des produits Made in China, digne d’un scénario de série B. « La Chine essaie-t-elle d’empoisonner les Américains et leurs animaux ? », a ainsi demandé www.worldnetdaily.com, un bulletin d’informations en ligne. Une compagnie de l’Utah a pour sa part décidé de lancer des produits China-Free. De quoi rappeler à Pékin les inscriptions « Interdit aux chiens et aux Chinois » dont les Japonais étaient friands pendant l’occupation. Pour Jeff Yang, du San Francisco Chronicle, ces réactions confinaient au racisme, la « xénophobie culinaire » n’étant selon lui qu’un « aspect d’une peur plus large ». La très conservatrice revue The New American a même consacré un dossier spécial dans son numéro du 20 août 2007 à « l’empoisonnement des Etats-Unis par la Chine », préconisant au passage pas uniquement un étiquetage China-Free, mais une véritable transformation en profondeur des relations commerciales Washington-Pékin avec des normes nettement plus strictes sur les importations, afin de réduire sensiblement la balance commerciale largement déficitaire des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine.
Toujours en 2007, l’épisode Mattel appartient pour sa part au domaine du tragi-comique. Après avoir accusé les Chinois de malfaçons sur les jouets fabriqués pour lui en sous-traitance, allant jusqu’à rappeler 21 millions de ces produits durant l’été, le leader mondial du secteur des jouets, l’américain Mattel, a reconnu qu’il était grandement responsable du problème avant de présenter ses excuses à la Chine. « Mattel endosse l’entière responsabilité dans ces rappels et je voudrais m’excuser personnellement auprès de vous, du peuple chinois et de tous les consommateurs qui ont acheté des jouets que nous avons fabriqués » a ainsi avoué à Pékin le 21 septembre 2007 Thomas Debrowski, vice-président du groupe et directeur de l’administration d’Etat pour le contrôle de la qualité, en présence de journalistes invités spécialement par les autorités chinoises pour l’occasion. Il est louable, bien que normal, que Mattel ait présenté ses excuses à la Chine. Mais, comme souvent en matière de désinformation, les réparations ne permettent pas de rétablir une situation fortement endommagée par un effet d’annonce initial. Par ailleurs, l’exposition médiatique a été beaucoup plus importante pour annoncer les accusations de malfaçons que pour rendre compte des excuses de ce qui s’avère finalement être une erreur de conception pour laquelle les fabricants chinois ne sont aucunement responsables. Il suffit de consulter les archives des grands quotidiens et magazines américains de l’été 2007 pour constater à quel point le syndrome chinois autour de la question des aliments et des jouets empoisonnés a pris une ampleur sans précédent. Même chose dans l’opinion publique. Un sondage de l’institut Zogby international, réalisé en juillet 2007, avant la dernière vague de rappels de millions de jouets américains fabriqués en Chine, montrait que 82 % des Américains s’inquiètent à l’idée d’acheter un produit chinois ! Plus de 63 % des Américains estimaient même qu’ils participeraient « probablement » à un boycottage pour forcer la Chine à adopter des normes de sécurité plus strictes. Toutes les excuses de Mattel ne pouvaient rien faire contre un tel déferlement, le mal était déjà fait, et la désinformation avait accompli son œuvre destructrice.
Entre tentation de protectionnisme et volonté de défendre les productions industrielles nationales dans un marché international de plus en plus difficile, le nation bashing ne cesse de gagner du terrain, et pollue les relations commerciales internationales.
Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
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