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La démocratie américaine à genoux

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La démocratie américaine à genoux

Alors que Joe Biden débute officiellement sa présidence cette semaine, il est difficile de ne pas repenser au petit scénario de politique-fiction que nous avons proposé aux lecteurs et lectrices de Global Brief le 11 novembre 2019.

Voici ce que nous écrivions sur les développements à prévoir après la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle de 2020 :

« La période de transition ne se déroule cependant pas comme prévu. Trump passe les dernières semaines de son mandat, de novembre à janvier, à remettre en question la légitimité de Biden et à affirmer que les élections ont été truquées. Il refuse de concéder la victoire et de rencontrer le démocrate et son équipe de transition à la Maison-Blanche.

Le 20 janvier 2021, après avoir laissé planer le doute, Trump accepte finalement de quitter la présidence, mais il s’absente de la cérémonie d’inauguration de Biden, préférant tenir son propre événement public au Wisconsin, où des milliers de partisans se réunissent pour entonner les thèmes habituels du milliardaire : Biden est corrompu, les médias sont biaisés, les élections étaient truquées ».

Joe Biden s’apprête à diriger une démocratie extrêmement fragile à partir de cette semaine. Une démocratie à genoux.

Notre intuition n’était donc pas erronée, mais nous nous sommes tout de même trompés sur deux points. D’une part, Trump n’a pas attendu le 20 janvier pour organiser un grand rassemblement exhortant ses partisans à rejeter les résultats des élections de 2020. Il l’a fait le 6 janvier à Washington, alors que le Congrès s’apprêtait à certifier la victoire de Biden. D’autre part, nous n’avions pas imaginé la limite que les plus fervents partisans de Trump seraient prêts à franchir pour lui permettre de rester au pouvoir.

L’assaut contre le Congrès pour interrompre le processus démocratique et électoral américain ne devrait pourtant pas nous surprendre. Des dizaines de livres publiés durant la présidence de Trump ont mis en garde contre ce risque, notamment Twilight of Democracy d’Anne Applebaum, How Democracies Die de Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, et On Tyranny de Timothy Snyder.

Ces trois livres ne sont pas identiques, mais leurs auteurs tirent des conclusions similaires:

  1. La démocratie américaine telle que nous la connaissons n’existera peut-être pas éternellement. Elle peut très bien glisser vers autre chose à tout moment, un système autoritaire, une tyrannie ou une dictature;
  2. De nos jours, les démocraties ne disparaissent pas tout à coup et du jour au lendemain, en un coup d’éclat, une révolution par exemple. Comme l’écrivent Levitsky et Ziblatt, la fin des démocraties résulte de l’affaiblissement lent et constant d’institutions essentielles à la vie démocratique, comme le pouvoir judiciaire et la presse, et l’érosion progressive de normes politiques que l’on croyait pourtant bien établies;
  3. Historiquement, cette érosion de la démocratie a souvent été favorisée par des leaders élus démocratiquement, mais dont les comportements et attitudes consistent à :
  • Discréditer le système politique de leur pays et ses institutions;
  • Faire preuve d’hostilité à l’égard de réalités qui peuvent être vérifiées par des faits;
  • Répéter des mensonges et des faussetés que leurs partisans en viennent à embrasser et à répéter eux-mêmes;
  • Alimenter la foi envers leur propre personne, en promettant la lune à leurs partisans et en exagérant leur capacité à résoudre des problèmes complexes;
  • Qualifier les gens qui ne pensent pas comme eux ou qui s’opposent à leurs politiques de « traîtres » ou « d’ennemis » du peuple;
  • Et comme le souligne Anne Applebaum, ces leaders ne seraient pas aussi puissants s’ils ne pouvaient pas compter sur des alliés politiques et médiatiques dont la loyauté rend leur entreprise encore plus efficace. Ces alliés appuient le leader soit parce qu’ils en retirent des avantages personnels, soit parce qu’ils craignent de tout perdre s’ils ne l’appuient pas.

Si l’actualité des dernières semaines ne convainc pas encore les plus sceptiques des risques d’un tel cocktail pour la démocratie américaine, il est peut-être nécessaire de rappeler un certain nombre de faits :

  • Selon un sondage Reuters de novembre, près de 40% des Américains sont entièrement ou partiellement d’accord que l’élection de 2020 a été truquée. Joe Biden arrive donc à la présidence alors que près de la moitié des Américains pensent qu’il ne devrait pas diriger le pays;
  • Washington est une véritable zone de guerre à l’occasion de l’investiture de Biden : 25 000 soldats de la Garde nationale y sont déployés, un nombre plus important que le nombre de soldats américains servant actuellement en Irak et en Afghanistan;
  • Alors que le Congrès débat actuellement de la nécessité de destituer Trump au prétexte qu’il aurait incité ses partisans à prendre le Congrès d’assaut le 6 janvier, le leader de la minorité républicaine de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a averti les élus de son parti de ne pas attaquer verbalement leurs collègues qui votent pour la destitution, car cela pourrait mettre leur vie en danger. Les membres du Congrès ne cherchent donc plus seulement à protéger leur poste d’élu ces jours-ci; certains s’inquiètent également pour leur vie;
  • Il y a environ une semaine, les chefs militaires américains (membres du comité des chefs d’état-major interarmées) ont publié une lettre officielle rappelant que l’armée américaine accepte le résultat de l’élection de 2020, et s’attend à servir sous les ordres du prochain commandant en chef du pays dès le 20 janvier, c’est-à-dire le président Joe Biden. Même si ce genre de lettre vise à anéantir tout espoir de ceux et celles qui rêvaient que les militaires aident Trump à conserver le pouvoir par la force, le simple fait que l’on ressente le besoin de le préciser (alors que ces choses vont habituellement de soi) illustre non seulement la fragilité de la démocratie américaine, mais également la crainte que les forces armées du pays soient elles-mêmes noyautées par de fervents partisans de Trump qui pourraient être tentés d’appuyer le type de mouvement que l’on a vu le 6 janvier.

Comme Rocky Balboa dans les célèbres films, les États-Unis sont souvent allés au tapis dans leur histoire et ont su se relever, mais les événements des dernières semaines montrent que le pays est peut-être plus défiguré que Rocky ne l’était lors de ses combats les plus difficiles.

Joe Biden s’apprête donc à diriger une démocratie extrêmement fragile à partir de cette semaine. Une démocratie à genoux. Comme Rocky Balboa dans les célèbres films, les États-Unis sont souvent allés au tapis dans leur histoire et ont su se relever (guerre civile, échec au Vietnam, Grande Dépression des années 1930, etc.). Mais les événements des dernières semaines montrent que le pays est peut-être plus défiguré que Rocky ne l’était lors de ses combats les plus difficiles.

 

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