COVID19 : radiographie du retard américain
Le gouverneur de l’État de New York, Andrew Cuomo, le répète quotidiennement : en quelques semaines, la COVID19 pourrait provoquer une catastrophe sanitaire rarement vue aux États-Unis. Pourquoi le pays tarde-t-il à faire le nécessaire pour éviter le pire?
L’effet Trump
Les critiques de Donald Trump disent qu’il est le principal responsable de la situation. Selon eux, le président a négligé le dossier pendant près de deux mois, alors que plusieurs membres de son administration sonnaient déjà l’alarme au début de l’année 2020. Le 18 janvier 2020, par exemple, après avoir insisté pendant deux semaines pour rencontrer Trump à ce propos, le secrétaire à la Santé Alex Azar a constaté le peu d’intérêt du milliardaire pour le virus. Près de deux mois plus tard, le 9 mars, Trump a même tweeté que la COVID19 affecte et tue moins de personnes aux États-Unis que la grippe saisonnière.
Ce tweet risque de ne pas bien vieillir, car la propagation rapide du virus a obligé Trump à changer de ton. Le 16 mars, lors d’un point de presse avec Azar, le vice-président Mike Pence et l’immunologiste Anthony Fauci, Trump a finalement admis que la COVID19 est un « ennemi invisible très contagieux », qu’une récession se profile aux États-Unis, et qu’il vaut mieux sauver des vies avant l’économie.
Le 9 mars, Trump a tweeté que la COVID19 affecte et tue moins de personnes aux États-Unis que la grippe saisonnière. Ce tweet risque de ne pas bien vieillir.
À ce moment, Trump et son équipe avaient déjà pris plusieurs mesures pour protéger les Américains contre la pandémie, notamment en fermant les frontières aux arrivées d’étrangers en provenance de Chine (31 janvier) et d’Europe (12 mars). Lors de son point de presse du 16 mars, Trump a toutefois révélé que des mesures nationales supplémentaires (distanciation sociale, confinement des Américains, etc.) seraient nécessaires pour éviter le pire.
L’effet de la culture nationale
Alors que la courbe de progression du virus aux États-Unis ressemble désormais à celle de l’Italie, où il a été le plus meurtrier jusqu’à présent, seul le temps nous dira si Trump a agi trop tard. Cependant, l’exemple du Québec montre que les Américains auraient peut-être tiré profit d’une décision plus hâtive de la part de la Maison-Blanche. En effet, les Québécois n’ont pas parfaitement respecté les instructions données par le premier ministre François Legault du jour au lendemain, dès les premières directives gouvernementales le 13 mars. Il leur a fallu un certain temps pour se conformer aux demandes de Québec, comprendre leur importance et les respecter.
Ce défi risque d’être plus grand et de prendre plus de temps aux États-Unis, pour des raisons culturelles notamment (lire à ce propos les travaux de Seymour Martin Lipset, Michael Adams ou encore Louis Balthazar). Tout d’abord, l’attachement des Américains aux libertés individuelles et leur méfiance à l’égard des intrusions gouvernementales dans leur vie quotidienne sont aussi anciens que la Déclaration d’indépendance de 1776 et la Constitution américaine de 1789.
Il a fallu un certain temps aux Québécois pour se conformer aux demandes de François Legault pour prévenir la COVID19. Ce défi risque d’être plus grand et de prendre plus de temps aux États-Unis, pour des raisons culturelles.
Ces documents fondateurs font partie de la religion civile américaine et permettent de comprendre l’attachement des uns au droit de porter des armes et l’allergie des autres à l’État-providence et au socialisme. Alors que les jeunes Américains apprennent dès leur enfance que les Pères fondateurs du pays voulaient empêcher la tyrannie et les abus du gouvernement au détriment des libertés individuelles, il n’était pas si surprenant, la semaine dernière encore, de voir de jeunes adultes à l’air désinvolte affirmer leur droit de profiter du congé scolaire (Spring Break) sur les plages de Floride malgré les sérieux avertissements des autorités à propos de la COVID19.
Ensuite, le mythe du rêve américain et la tendance de cette société d’abondance à définir la poursuite du bonheur en termes matériels vont de pair avec l’attachement des Américains au capitalisme et leur hantise pour toute mesure susceptible de ralentir l’économie (on peut lire David Potter sur cette question). L’ouvrage L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme de Max Weber n’est pas parfait, mais il rappelle à raison que les Américains peuvent avoir tendance à placer le travail acharné au cœur de leur vie, puisqu’il s’agirait là du meilleur moyen d’accumuler la richesse et de vivre une meilleure vie que celle des générations précédentes. Tous les Américains n’adhèrent pas à ces principes, bien sûr, mais ce n’est pas un hasard si l’actuel désir de Trump de relancer les activités économiques du pays d’ici quelques semaines, alors que la crise de la COVID19 ne sera vraisemblablement pas terminée, trouve davantage preneur aux États-Unis qu’au Québec par exemple.
Enfin, l’optimisme dynamique (ou ce que Louis Balthazar, inspiré de Stanley Hoffmann, appelle la « pensée experte »), incite nombre d’Américains à croire qu’il est toujours possible de trouver des solutions rapides aux problèmes de société, et que la COVID19 ne fait pas exception. Trump est peut-être l’exemple parfait de ce trait culturel : pressé d’en finir avec la COVID19, il brûle de trouver d’ici quelques semaines des solutions techniques (vaccin, chloroquine, production de masse de respirateurs artificiels par les entreprises américaines, etc.) à un problème qui lui paraît beaucoup moins complexe que le prétendent la médecine et les experts.
L’effet de la polarisation
Dans un tweet publié au cours des dernières heures, Trump allait même jusqu’à affirmer, pour une énième fois, que les médias exagèrent volontairement la crise de la COVID19 pour nuire à ses chances de réélection en 2020. Alors que les sondages démontrent que la popularité du président ne diminue jamais vraiment au pays (49% des Américains dont 90% des électeurs républicains l’appuient), ce type de déclaration peut inciter ses partisans à minimiser l’importance des mesures qu’il disait pourtant essentielles dans son point de presse du 16 mars dernier, dont la distanciation sociale et la mise en veilleuse de certaines activités économiques pour ralentir la propagation du virus.
L’existence de deux univers parallèles aux États-Unis (celui des partisans de Trump et celui des Américains qui le détestent) n’est pas nouvelle, mais représente certainement un obstacle additionnel à la mise en œuvre rapide des solutions requises pour lutter contre la COVID19. En effet, comment réduire la progression du virus quand la moitié du pays voue pratiquement un culte à un président qui ne semble pas convaincu que le problème est grave ou qu’il en vaut les sacrifices?
Comment réduire la progression du virus quand la moitié du pays voue pratiquement un culte à un président qui ne semble pas convaincu que le problème est grave ou qu’il en vaut les sacrifices?
* Une version balado (podcast) de cette analyse est disponible sur le “Balado de la Chaire Raoul-Dandurand”: https://podcasts.apple.com/ca/podcast/le-balado-de-la-chaire/id1483631088