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Iran et Occident: rapprochement et blocage

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Iran et Occident: rapprochement et blocage

Iran et Occident: rapprochement et blocage géopolitiqueComment composer avec la double stratégie iranienne de survie et d’influence

Même si des signes encourageants sont régulièrement rapportés par la presse, les négociations de Genève entre la République islamique d’Iran et le groupe du P5+1 demeurent laborieuses et peinent à aboutir à une résolution de la crise nucléaire qui les oppose depuis plus d’une décennie. Au-delà des désaccords de façade qui freinent le règlement de la question – essentiellement de nature technique ou idéologique – les discussions se heurtent à des paramètres structurels rarement débattus par les spécialistes et savamment éludés par les décideurs politiques. Parallèlement, l’Iran et la coalition dirigée par les États-Unis combattent côte à côte l’ennemi commun que constitue l’État islamique en Irak et au Levant (Daech), sans se résoudre toutefois à officialiser cette coopération militaire de facto; une démarche qui aurait, en outre, le potentiel de favoriser les relations entre l’Iran et la communauté internationale et, incidemment, de faciliter les négociations nucléaires. Certes des oppositions internes sont à l’œuvre tant du côté occidental que du côté iranien. Mais rarement l’envie n’a été aussi forte de part et d’autre de résoudre ces différends et les astres si bien alignés pour un rapprochement historique. Londres a entamé un début de réconciliation avec Téhéran et le Guardian titrait récemment: «Qu’attendons-nous pour remplacer notre alliance avec l’Arabie Saoudite par une alliance avec l’Iran?» Pour Hubert Védrine, la question ne laisse plus de doute: «L’Iran devrait réintégrer la scène internationale» (voir l’article Query d’Hubert Védrine dans le dernier numéro de GB). Les observateurs occidentaux n’hésitent plus à parler d’un retour en grâce de ce pays qui, encore récemment, était classé dans l’«Axe du Mal».

Quels sont les obstacles véritables qui se dressent contre la résolution de la crise nucléaire ainsi que l’affirmation de la coopération anti-Daech? Ni les démêlés techniques sur le programme nucléaire, ni les dissensions diplomatico-militaires, ni même l’opposition des forces internes (le Congrès aux États-Unis, les conservateurs en Iran) – autant d’éléments sur lesquels se focalise habituellement l’attention des observateurs – ne suffisent à expliquer ce double blocage. Celui-ci ne peut être compris qu’en tenant compte des fondements structurels de la politique étrangère iranienne et des implications majeures que pourrait avoir un réchauffement des relations irano-occidentales pour l’ensemble du Moyen-Orient. Car reconnaître la souveraineté de l’Iran en matière nucléaire et son rôle d’arbitre des crises régionales – deux exigences fondamentales de la politique étrangère de Téhéran – impliquerait d’entériner une réévaluation du statut de la République islamique et une restructuration du système régional. C’est la cause profonde qui fait obstacle à tout progrès majeur dans les deux dossiers.

L’impasse, ou du moins la lenteur, des discussions sur le nucléaire ne peut être comprise en se focalisant uniquement sur des questions techniques. Pourtant, à en croire la plupart des experts scientifiques, les désaccords entre Téhéran et le groupe du P5+1 porteraient essentiellement sur le nombre de réacteurs, le stock d’uranium enrichi ou la nature des activités de certaines centrales comme celle d’Arak. Les pourparlers achopperaient notamment sur le nombre de centrifugeuses auxquelles Téhéran devrait réduire son programme pour satisfaire aux exigences du P5+1. Pour les grandes puissances, les Iraniens devraient suspendre l’enrichissement au-delà de cinq pour cent et réduire de 50 pour cent le nombre de ses centrifugeuses. «Nous butons encore sur un point majeur qui est le nombre de centrifugeuses» ne cessent de répéter, à l’instar du ministre français des Affaires étrangères, les diplomates occidentaux. Sans nier son importance, cette dimension technoscientifique n’éclaire cependant que partiellement les raisons de la lenteur des négociations. Le 24 novembre dernier, Hassan Rohani, le président iranien, levait un peu le voile sur les causes réelles de la lenteur des négociations en déclarant que celles-ci ne se «limitaient pas à une question de centrifugeuses», et portaient avant tout sur des paramètres plus larges de «volonté» et de «puissance».

Dans le dossier de la crise irako-syrienne, le problème se pose de manière similaire: la réticence des Iraniens et des membres de la coalition anti-Daech à officialiser leur partenariat ne peut être expliquée sans la prise en compte de considérations géopolitiques. Depuis 2014, l’Iran et les forces arabo-occidentales combattent ensemble contre le califat du Cheikh Abu Bakr Al-Baghdadi. De fait, les Peshmergas kurdes et les frappes aériennes de la coalition arabo-occidentale sont appuyées, au sol, par un corps expéditionnaire iranien dirigé par la Force Al-Qods, et soutenu par une multitude de proxies pro-iraniens et de milices chiites comme le Hezbollah du Cheikh Nasrallah, les combattants de l’ex-Armée du Mahdi de Moqtada Al-Sadr ou ceux de la Brigade Badr de Hadi Al-Ameri. C’est un secret de polichinelle que cette lutte conjointe repose sur un effort de coordination permettant, notamment, d’éviter que les bombardements aériens ne fassent de victimes collatérales dans les rangs des combattants iraniens et pro-iraniens. Malgré tout, de part et d’autre, les autorités se gardent de rendre officielle une alliance quelconque entre la coalition internationale et la République islamique. Parmi les raisons invoquées pour expliquer cette réticence se retrouvent pêle-mêle des différends idéologiques (Washington accusant Téhéran d’être motivé par des considérations communautaristes), tactiques (l’Iran privilégiant la protection des lieux saints chiites) et politiques (l’Iran soupçonnant la coalition de vouloir, sous couvert de lutte anti-Daech, de se débarrasser de Bachar al-Assad). Individuellement importantes, ces explications ne sont cependant que les symptômes d’une inhibition aux causes beaucoup plus profondes.

Afin de comprendre les raisons véritables pour lesquelles les négociations nucléaires peinent à aboutir et la coalition anti-Daech rechigne à divulguer sa collaboration avec l’Iran, il faut prendre en compte les fondements de la politique étrangère de l’Iran, les objectifs stratégiques qui la sous-tendent et leurs implications géopolitiques pour le Moyen-Orient. Souvent discutée mais rarement définie, cette politique s’articule autour de deux axes majeurs: garantir l’indépendance nationale de l’Iran ainsi que la préservation du régime islamique et constituer autour de l’Iran une sphère d’influence protectrice. Pour bien saisir sa portée géopolitique il faut revenir brièvement sur sa mise en œuvre au cours des 25 dernières années. Institutionnalisée après la guerre Iran-Irak de 1980-1988, cette double stratégie de survie et d’influence a été poursuivie par les dirigeants iraniens qui se sont succédé à la tête du pays, et cela quelle que soit leur obédience idéologique. Basée sur une logique asymétrique, elle consiste à éviter la confrontation directe avec les adversaires américains, israéliens et arabes, à agir là où l’Iran jouit d’avantages comparatifs (comme les domaines idéologiques et religieux), et à «gagner en ne perdant pas» (Henry Kissinger) en se concentrant sur les deux objectifs permanents: établir un Iran fort et souverain dans un environnement régional exempt de l’influence des États-Unis, d’Israël et des monarchies du Golfe.

Durant les années 1990, cette approche multifacette a permis à l’Iran de marquer des points importants comme la vassalisation du régime alaouite dirigé par la famille Assad et l’enracinement au Liban où, par l’intermédiaire du Hezbollah, Téhéran est parvenu à établir une «frontière virtuelle» avec Israël. C’est la naissance de l’axe Téhéran-Damas-Beyrouth sur lequel repose depuis la base du système stratégique pan-chiite de l’Iran. Jusqu’au début des années 2000, l’influence régionale de la République islamique demeure néanmoins relativement limitée – cloisonnée par l’Irak de Saddam Hussein, le Conseil des états du Golfe (GCC) et les Talibans afghans, fondamentalistes sunnites férocement anti-chiites et donc anti-iraniens. Ce cloisonnement est déverrouillé lorsque les Occidentaux délogent les Talibans (2001) et Hussein (2003), offrant aux Iraniens les coudées franches pour prendre pied en Afghanistan (où ils étaient totalement absents auparavant) et pour initier la satellisation de l’Irak – gouverné pour la première fois de son histoire par des Chiites, qui plus est pro-iraniens. La guerre des 33 jours du mois d’août 2006 est pour Téhéran l’occasion de couronner ces succès en remportant, par l’intermédiaire du Hezbollah, une victoire symbolique sur Israël. De sorte qu’à la fin de la décennie, certains commentateurs estiment que la République islamique est la véritable superpuissance régionale, d’autres évoquent une Pax Iranica pour décrire la nouvelle configuration de puissance moyen-orientale, tandis que les chancelleries arabes s’effraient de l’émergence de ce qu’elles appellent le «Croissant chiite» (Moubarak, Roi de Jordanie).

Dans un premier temps, le «Printemps arabe» de 2011 semble avoir pour effet d’accroître davantage la marge de manœuvre de l’Iran et de conforter sa position régionale: en éliminant des adversaires farouches comme les présidents égyptien, Hosni Moubarak, ou yéménite, Ali Abdullah Saleh; en favorisant ce que le président Mahmoud Ahmadinejad a appelé le «Réveil islamique» et l’éclosion d’États organisés autour de la charia; en étendant le «terrain de jeu» des Gardiens au Bahreïn, au Yémen, en Égypte, dans la Corne de l’Afrique, au Sahel et au-delà; et, surtout, en mettant Israël, les Pétromonarchies arabes et les États-Unis sur la défensive. Lorsque le nouveau président égyptien issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi, invite la flotte iranienne à passer par le détroit de Suez pour la première fois depuis la Révolution islamique de 1979, le rêve stratégique des Mollahs et des Gardiens semble exaucé. Le président Ahmadinejad va alors jusqu’à prophétiser «un Moyen-Orient sans Américains, sans Israéliens et sans Monarchies arabes».

Mais, très vite, le vent tourne contre la République islamique lorsque la vague des révoltes arabes gagne la Syrie et menace le régime alaouite, principal maillon du système d’alliance pro-iranien. Dès 2012, une coalition hétéroclite visant à faire tomber le régime de Bachar al-Assad réunit, outre les États-Unis et leurs alliés européens, les puissances sunnites. Apportant leur soutien diplomatique mais aussi financier et logistique à la rébellion syrienne, la Turquie, l’Arabie Saoudite ou le Qatar ne cachent pas leur volonté de profiter de la crise syrienne pour «briser l’axe chiite». Pour Téhéran, le maintien du verrou syrien devient, plus que jamais, une question de survie géopolitique. La chute du régime de Bachar al-Assad, son principal allié régional, ferait courir à la République islamique le risque d’un nouvel isolement stratégique et diplomatique. C’est pourquoi l’Iran met en œuvre tous les moyens disponibles pour sauver le régime syrien: sur le plan diplomatique, Téhéran s’appuie sur Moscou et Pékin pour faire échouer le vote, au Conseil de sécurité des Nations Unies, d’une intervention militaire anti-Assad. Sur le plan militaire, Téhéran intervient sur le terrain en déployant notamment ses Gardiens, al-Qods et ses alliés du Hezbollah.

En 2013-2014, la situation se complique davantage pour la théocratie iranienne lorsque le conflit syrien déborde en Irak – et dans une moindre mesure au Liban – avec l’apparition de l’État islamique, dont l’un des principaux chevaux de bataille est d’«éradiquer les hérétiques iraniens et leurs alliés chiites». Pour répondre à cette nouvelle menace, l’Iran apporte son soutien aux milices chiites irakiennes, fait appel à ses alliés du Hezbollah et déploie, comme en Syrie, des combattants du Corps des gardiens et d’Al-Qods. Ce faisant, Téhéran joint de facto ses efforts à ceux de la coalition internationale contre le fléau de l’État islamique. De prime abord, l’intervention iranienne aux côtés des coalisés se présente également comme une opportunité pour le président Hassan Rohani d’acquérir du crédit aux yeux de l’opinion publique internationale, horrifiée par les exactions barbares des islamistes, et d’amorcer discrètement une réintégration au sein de la communauté internationale, quittée 35 ans plus tôt au moment de la révolution islamique. Dans l’immédiat, cette collaboration symbolique offre surtout la possibilité de négocier dans une situation plus confortable la question douloureuse du nucléaire iranien. En d’autres termes, l’aide apportée par l’Iran à la lutte anti-Daech semble monnayable pour résoudre simultanément la crise irako-syrienne et celle du programme nucléaire contesté de la République islamique.

Cependant, la possibilité pour l’Iran de faire d’une pierre deux coups est entravée par des obstacles majeurs de nature structurelle. D’abord, même s’ils coopèrent activement mais officieusement avec les Iraniens, les États-Unis sont soucieux de ne pas froisser la susceptibilité de leurs alliés sunnites et israéliens. Comme le notait très justement Paul Richter du Los Angeles Times, «La coopération irano-américaine est un sujet très sensible parce que la plupart des acteurs importants dans la région – les Irakiens, les États arabes sunnites et Israël – craignent qu’une telle collaboration ne se fasse à leur désavantage». Pour une fois à l’unisson, Israël, l’Arabie Saoudite et les pétromonarchies du Golfe n’ont eu de cesse de dénoncer les «manigances iraniennes» et les faiblesses de l’administration Obama vis-à-vis des velléités hégémoniques du régime islamique. La peur des puissances régionales est non seulement de voir remettre en cause leurs relations privilégiées avec les États-Unis, mais aussi de voir mises en place les conditions d’un renforcement de la prééminence iranienne sur l’échiquier moyen-oriental.

À cette méfiance anti-iranienne s’ajoute celle des Iraniens à l’égard des puissances arabes et des objectifs qu’elles poursuivent au sein de la coalition anti-Daech. Ce sont elles que le président Rohani pointe du doigt lorsqu’il déclare à l’Assemblée générale des Nations Unies que: «Certains états ont aidé à créer [Daech] et se montrent à présent incapables de le combattre». Ce sont les mêmes suspicions qu’exprime Mohamed Ali Jafari, Commandant du Corps des Gardiens de la révolution islamique, lorsqu’il dit: «[N]ous avons de sérieux doutes quant à la volonté réelle qu’a la coalition d’éliminer [Daech]». En termes encore moins voilés, ce dernier surenchérit, un mois plus tard, en affirmant que «les adversaires transnationaux de la République islamique complotent pour nous menacer à nos frontières». En d’autres mots, les dirigeants iraniens ont la certitude que l’État islamique est l’avant-garde d’une campagne internationale visant à briser le «Croissant chiite», reprendre la main sur la Syrie et l’Irak tombés dans le giron iranien et, au final, déstabiliser le régime islamique. Paranoïa? Manifestations du fameux «syndrome de citadelle assiégée» des Iraniens? Toujours est-il que la méfiance profondément ancrée de part et d’autre hypothèque non seulement l’officialisation de la coopération militaire irano-américaine dans la lutte contre Daech mais également la possibilité pour l’Iran de s’en prévaloir pour avancer ses intérêts dans le dossier nucléaire.

Si, comme on vient de le voir, les négociations sur le programme nucléaire iranien ne sont pas facilitées par l’aide apportée par l’Iran à la lutte anti-Daech, elles sont également freinées par les implications stratégiques qu’entraînerait l’accession de l’Iran au statut de puissance nucléaire. Au-delà des désaccords techniques, ces pourparlers achoppent surtout sur la crainte que le régime iranien ne se serve de son statut de puissance nucléaire pour asseoir son hégémonie régionale. Du point de vue de l’Iran, cela ne fait d’ailleurs aucun doute: l’outil nucléaire n’a d’intérêt que dans la mesure où il permet de poursuivre ses deux objectifs stratégiques, c’est-à-dire la préservation de sa souveraineté nationale et la promotion de son influence régionale. L’acquisition de la technologie nucléaire, militaire et civile, peut supporter ces deux impératifs stratégiques en offrant à Téhéran 1) une assurance-vie garantissant la pérennité du régime et l’indépendance du pays, et 2) une source de prestige international permettant, en outre, de développer autour de l’Iran une sphère d’influence protectrice. De manière générale, le nucléaire n’est pas une fin en soi mais un moyen au service des deux grands objectifs de la politique étrangère et de sécurité iranienne.

Or, le fait que l’Iran veuille se doter d’une capacité de dissuasion et de persuasion nucléaire ne signifie pas que les dirigeants iraniens soient totalement opposés à une négociation, voire à une réorientation de leur programme. En revanche, ils ne sont disposés à le faire qu’en échange de contreparties équivalentes permettant d’assurer les deux grands objectifs stratégiques de l’Iran. Plus précisément, Mollahs et Gardiens ne sont enclins à faire des concessions sur le nucléaire que contre des garanties équivalentes en termes de souveraineté nationale et de statut régional. Dans le cadre de ce «grand marchandage», les exigences iraniennes sont cependant confrontées à la difficulté du camp occidental à les satisfaire en raison des implications stratégiques pour leurs alliés régionaux. Pour les Occidentaux, la reconnaissance du statut de puissance régionale de la République islamique se heurterait au refus catégorique des alliés régionaux de Washington. Reconnaître le statut de superpuissance de l’Iran: voilà l’enjeu, mais voilà plus que les Occidentaux ne peuvent offrir et plus que leurs alliés régionaux ne pourraient tolérer.

Au final, il paraît que la résolution du bras-de-fer nucléaire et celle de la crise irako-syrienne sont non seulement des enjeux considérables mais qu’elles sont, dans une large mesure, inter-reliées. De prime abord, cette situation de «linkage» offre à l’Iran une opportunité sans précédent de jouer sur les deux tableaux pour normaliser ses relations avec la communauté internationale et espérer obtenir, dans la foulée, une reconfiguration géopolitique avantageuse. Pour les Occidentaux, ce scénario est non seulement envisageable mais tout à fait souhaité. À travers la «politique de la main tendue», l’administration Obama n’a eu de cesse de multiplier les signes d’ouverture à l’égard du régime iranien. Les autres capitales occidentales lorgnent, quant à elles, vers les opportunités économiques que laissent entrevoir une normalisation des relations avec Téhéran et une réouverture du marché iranien. Certes, les exigences stratégiques iraniennes semblent faramineuses, mais les Occidentaux trouvent de plus en plus d’avantages à une «réintégration» de l’Iran dans le concert des nations. Cette possibilité est cependant hypothéquée par le refus de leurs alliés régionaux à voir la République islamique retrouver le rôle de «Gendarme régional» autrefois joué par l’Iran du Chah.

Confrontés à l’hostilité des alliés israéliens et arabes des États-Unis vis-à-vis d’un rapprochement avec l’Iran, Téhéran, Washington et les capitales occidentales se contentent pour l’heure de soigner les apparences, de temporiser et de miser sur une évolution favorable du rapport de force régional. Sur le plan nucléaire, à défaut de réduire la pression, la Maison-Blanche s’efforce de ménager le président Rohani en menaçant d’opposer le veto présidentiel à l’adoption d’une nouvelle série de sanctions économiques par le Congrès. Pour sa part, la République iranienne continue de cultiver son image de fer de lance de la lutte anti-terroriste en Mésopotamie mais aussi désormais, et cela mérite d’être souligné, dans la péninsule Arabique. Rares sont ceux à avoir relevé que Téhéran, tout en réprouvant les caricatures de Charlie Hebdo, a été l’une des premières capitales à condamner les attentats du mois de janvier à Paris. L’Iran bénéficie également de l’évolution de la situation au Yémen avec la démission du gouvernement pro-saoudien et la montée en puissance des Houtis chiites pro-iraniens qui se revendiquent comme la principale force capable de résister à la menace d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA). Tous ces éléments semblent converger pour faire apparaître le régime iranien comme un partenaire à nouveau fréquentable pour l’Occident.

Cependant, ni les manœuvres diplomatiques ni l’évolution de la lutte anti-islamiste sur le terrain ne suffiront à gommer le refus des Israéliens et des puissances sunnites à voir reconnaître les ambitions nucléaires de l’Iran et ses prétentions sur le Moyen-Orient. Redoutant plus que jamais d’être relégués au second plan par leurs alliés américains, les premiers ne cessent de désapprouver le «marché du siècle» que l’Iran pourrait, à leurs yeux, remporter advenant un rapprochement avec Washington. Plus inquiets encore d’une éventuelle réintégration de l’Iran dans le giron occidental, l’Arabie Saoudite et ses partenaires du GCC n’ont pas de mots assez durs pour condamner le réchauffement des relations irano-américaines et la prééminence régionale que cela pourrait conférer au régime des Mollahs. S’il n’est pas exclu que le nouveau roi saoudien Salman opte pour une désescalade avec Téhéran, il est en revanche fort à parier que la Monarchie wahhabite et la République chiite continuent de concevoir leurs relations comme un jeu à somme nulle: ce que gagne l’un, l’autre le perd. C’est d’ailleurs en ces termes que tous les protagonistes envisagent une éventuelle refonte de l’échiquier moyen-oriental. Voilà pourquoi le blocage géopolitique ne sera solutionné ni à Vienne ni sur le champ de bataille irako-syrien. Aucune avancée majeure n’aura lieu sans la prise en compte de ses implications géopolitiques et, in fine, sans une modification majeure du statu quo moyen-oriental. Souhaitée par les uns, redoutée par les autres, cette restructuration promet d’être complexe, fastidieuse et périlleuse pour l’équilibre du système régional et international.

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Pierre Pahlavi est professeur agrégé au Département des études de la défense du Collège des Forces canadiennes, où il est Directeur du Centre des études sur la sécurité nationale. Son nouveau livre s’intitule Le Marécage des Ayatollahs: histoire de la révolution iranienne (Perrin).

(PHOTOGRAPHIE: DÉPARTEMENT D’ÉTAT / SIPA / AP)
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