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L’avenir de la sécurité en Méditerranée

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L’avenir de la sécurité en Méditerranée

L’avenir de la sécurité en Méditerranée

En 1990, dans son Turbulence in World Politics, le regretté James N. Rosenau nous mettait en garde contre l’avènement d’un monde marqué par des vents et tendances contraires (tendance à l’intégration comme à la désintégration, à l’ouverture libérale comme à la crispation autoritaire), qui ne se réduirait plus à une formule unique. A la bipolarité ne succéderait donc pas l’uni- ni la multipolarité simples. A la guerre froide ne succèderait ni un « brave nouveau monde », ni un « choc des civilisations », ni encore moins une « fin de l’histoire ». Plus encore, aux monde des Etats se superposerait une monde multi-centré, animé par une prolifération d’acteurs non étatiques : mouvements, associations, groupes religieux, entreprises, jusqu’aux simples individus citoyens devenus producteurs d’action internationale et de discours compétent sur les enjeux mondiaux.

Ce constat nous revient aujourd’hui immanquablement en mémoire. Alors que plusieurs chocs systémiques se sont succédé en cascade, prenant chaque fois de vitesse les décideurs et les observateurs (la fin de la guerre froide, les attentats du 11 septembre, les printemps arabes…), le monde se trouve dans un entre-deux stratégique. Il a quitté la bipolarité sans savoir encore vers quoi. Cet état d’incertitude touche la Méditerranée, en proie au doute après les révoltes arabes, et ses perspectives d’avenir dépendront de trois grands facteurs : la gestion des « après-printemps », la gestion des grands abcès de fixation, et la posture des puissances.

La Méditerranée dans le doute : marginalisation et bouleversements

La Méditerranée est devenue périphérique dans les équilibres du monde qui se sont déplacés vers le Pacifique. Sans le dynamisme asiatique, et depuis que les Etats-Unis ont annoncé leur « pivot » vers l’Extrême-Orient, elle apparaît vue de Washington comme un handicap à gérer, qui empêche de se consacrer pleinement aux nouvelles priorités. Sur la rive nord, une Europe en crise, où l’euro est menacé, où les nations se raidissent, où l’aventure institutionnelle commune semble en panne, et où l’ambition d’une Europe puissance paraît abandonnée. Au sud, une succession de traumatismes (Irak 2003, Liban 2006, Gaza 2009-10, Libye 2011, Syrie…) vient se superposer aux déséquilibres structurels. Et entre les deux rives, une interaction en panne elle aussi, depuis l’échec rapide de Barcelone (1995) puis la caducité de fait du projet français d’Union Pour la Méditerranée (2008), qui n’aura pas résisté à l’opération Plomb Durci ni aux printemps arabes.

Sur ces printemps arabes justement, beaucoup a déjà été dit. On s’est interrogé en vain sur les mots à employer (« printemps arabes » suivis d’ « hivers islamistes » ? « révolutions », « révoltes » ou « soulèvements » ?), ou sur le rôle – réel mais exagéré – des réseaux sociaux. Quelques points de repère paraissent néanmoins incontestables. 1- Nous avons vu à l’œuvre des processus très différents d’un pays à l’autre : crispation rapide aboutissant à la destitution du régime (Tunisie, Egypte), résistance violente et durable du pouvoir (par ordre croissant d’exemple Bahreïn, Libye, Syrie), achat de la paix sociale par injection financière (Algérie, Golfe), réponse aux attentes par la réforme politique et institutionnelle (Maroc, Jordanie). 2- Les résultats de ces processus sont également très variés : processus électoral suivi d’une stabilisation politique (Maroc), processus électoral mis en œuvre mais stabilisation encore incertaine (Egypte, Tunisie, peut-être Libye), ou absence de processus électoral comme de stabilisation (Syrie). 3- Plusieurs modalités de regime change existent désormais dans la région : le changement imposé de l’extérieur (Irak 2003), le changement initié en interne voire par le bas (Tunisie, Egypte), le changement initié en interne mais qui réclame une intervention extérieure pour aboutir (Libye 2011, peut-être demain Syrie). 4- Enfin, nous avons assisté à l’irruption comme acteurs politiques véritables de sociétés dont l’Occident avait sous-estimé la détermination, la modernité, la force de revendication.

Quelles perspectives ? Les paramètres de la sécurité en Méditerranée

La gestion des situations « post-printanières » est sans doute le premier élément clef d’une sécurité à construire. Elle impose d’abord de réussir le pluralisme politique, de reconstruire un pacte démocratique, où les joueurs acceptent de gouverner en coalition, et acceptent la possible défaite électorale aussi bien que la remise en cause d’une victoire à échéance prévue. Les force de coercition (police, armée) devront également accepter de transférer la décision politique réelle à ce jeu politique recomposé. Elle impose ensuite de réussir l’intégration des partis religieux dans le jeu politique. Ces partis sont-ils des opposants comme les autres ? Des interlocuteurs comme les autres ? Des gouvernants comme les autres ? S’il est répondu non à cette question, la dérive sera certaine. Elle impose enfin de réussir la formulation d’une nouvelle politique étrangère et de sécurité dans chacun des Etats concernés, de manière à tenir compte aussi bien des contraintes extérieures de la Realpolitik que des aspirations sociétales, de manière aussi à reconstruire un système de dialogue régional. Cette tâche nécessitera parfois une remise à plat profonde des pratiques antérieures (Egypte), parfois de repartir de zéro (Libye). Sans ces conditions réunies, il sera difficile de construire la sécurité en Méditerranée.

Deuxième paramètre à surveiller : la possible revanche des enjeux, après la revanche des sociétés à laquelle on a déjà assisté. On le sait, certaines thématiques sont omniprésentes dans tous les esprits de la région et il serait vain de s’y dérober, sauf à courir le risque de les voir nous rattraper violemment. Derrière la question iranienne et celle d’une possible guerre avec l’Etat hébreu, se trouve bien évidemment l’enjeu de l’équilibre stratégique régional, donc de la prolifération, donc du nucléaire israélien. Refuser de discuter de cet enjeu aussi délicat soit-il, continuerait d’exacerber le malentendu avec beaucoup de pays de la zone. Surtout, la question palestinienne doit maintenant sortir de l’impasse. Abcès de fixation, moteur des frustrations et des colères, test pour la crédibilité du droit international et de la communauté internationale, cet enjeu ne peut plus être mis de côté, ou traité sous l’angle dilué d’un « grand Moyen-Orient » dont les enjeux économiques ou de développement humain, même s’ils sont primordiaux, seraient les seules priorités. Sans traitement prioritaire de ces enjeux il n’y aura pas de sécurité possible en Méditerranée.

Troisième paramètre enfin : le jeu des puissances. La puissance américaine d’abord, où deux visions du monde fort différentes s’affrontent. Celle des démocrates, qui refusent pour l’heure de se laisser entraîner dans un nouveau conflit avec l’Iran, et celle des Républicains, qui précisément accuse le président Obama de vouloir se dérober à cet affrontement. Le résultat des élections de novembre 2012 aura donc un impact majeur sur l’avenir de la région. Le scénario le plus probable à l’avenir est que les Etats-Unis deviendront à leur tour ce multivocal state où deux tendances se feront face avec force à propos du Moyen-Orient, empêchant la production d’initiative majeure. L’Europe ensuite, qui n’a plus ni l’ambition ni les moyens, pour l’heure, de redevenir un acteur politique majeur en Méditerranée, mais qui ne peut non plus être indifférente à l’évolution d’une rive sud avec laquelle elle interagit tant. Pour les années qui viennent, un grand retour européen en Méditerranée ne semble pas à l’ordre du jour. Il faut s’attendre plus probablement à un appui politique et financier utile mais modeste de l’Europe à la démocratisation du sud méditerranéen, sans toutefois avoir les moyens d’une politique plus ferme en cas d’échec de ce processus. Reste enfin l’option d’une reprise en main des enjeux par les acteurs régionaux eux-mêmes, en partenariat avec les grands émergents. Après l’initiative turco-brésilienne sur le nucléaire iranien en 2010 (vite repoussée par les puissances occidentales), un tel scénario n’est plus exclu. Comment seraient accueillis, par exemple, une initiative égypto-chinoise pour la paix, ou un rôle accru de l’Inde dans le Golfe ? Ce scénario est-il réalisable sans provoquer une nouvelle « guerre froide arabe » qui opposeraient des blocs et leurs parrains extérieurs ?

Ce sont à la fois les acteurs, les processus et les postures politiques qui doivent être revus aujourd’hui en Méditerranée. Après l’échec des Etats-Unis qui ont tenté d’être à la fois joueur et acteur des conflits régionaux, après celui d’une Europe qui a renoncé à un tel rôle politique et vit sa dernière initiative importante achevée par les printemps arabes (l’UPM ayant été lancée avec Hosni Moubarak comme co-président et Bachar al-Assad comme invité d’honneur…), seule une relance très volontariste et coordonnée de ces deux pôles en partenariat étroit avec les acteurs de la région pourraient relancer leur rôle. Autrement, d’autres le joueront à leur place.

Frédéric Charillon – http://fredericcharillon.blogspot.fr/ – //twitter.com/charillon

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