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Un monde sans leader ?

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Un monde sans leader ?

Et si les relations internationales, tant sur le plan économique que politique et stratégique, étaient marquées dans les prochaines années par l’absence d’un leader, et caractérisées par une sorte de chaos pré-Westphalien, où la multipolarité serait désorganisée et chacun chercherait à mettre en avant ses propres cartes ? Tandis que les dirigeants des grandes puissances multiplient les rencontres et forums pour chercher à s’accorder face aux défis internationaux, cette perspective semble à première vue déplacée. Il faut pourtant se rendre à l’évidence. Le G7 (puis G8) appartient désormais au passé, le G20 ne fonctionne pas aussi bien qu’on pourrait le souhaiter, et le G2 relève plus du fantasme que de la réalité, au même titre que la Chimérique (associant Washington et Pékin). Au lieu de cela, on assisterait à une situation dans laquelle chaque Etat se définirait uniquement en fonction de ses intérêts, et dans laquelle des structures internationales s’effaceraient au profit d’un désordre généralisé.

Le récent livre de Ian Bremmer, président de Eurasia Group, est un véritable pavé dans la mare qui soulève de multiples interrogations qui mériteront sans nul doute de larges développements dans les prochaines années, tant leurs réponses détermineront les équilibres internationaux. Voilà un essai stimulant et provocateur qui ne devrait pas rester sans suite. Prenant à contre-courant les réflexions sur la nouvelle multipolarité, le poids du G20 et la réalité d’un G2 associant les Etats-Unis et la Chine, Ian Bremmer voit dans le nouvel ordre économique mondial le grand retour de l’intérêt national, au détriment de tout le reste. Les Etats seraient ainsi précipités dans une logique de survie, cherchant à utiliser les institutions internationales à leur profit plutôt que de servir une cause transnationale, et valideraient ainsi la thèse d’un G-zéro, en d’autres termes l’absence de véritables structures internationales compétentes et puissantes.

Si son analyse se veut globale, Bremmer prend surtout appui sur l’attitude des Etats-Unis et de la Chine, des multiples disputes entre les deux pays qui rendent déplacées les thèses sur un partenariat inévitable, et les effets sur les structures économiques mondiales. L’auteur argue ainsi que les Etats-Unis sont de moins en moins en mesure d’assurer un rôle de leader planétaire, les Européens étant dans une situation comparable. En face, les puissances émergentes sont confrontées à des défis politiques et sociaux qui se maintiendront, voire pour certains seront amplifiés. Reste le cas de la Chine, qui pourrait prendre les devants, mais aurait tout intérêt à refuser de se substituer à la puissance américaine. En conséquence, ce serait l’absence de véritable leader qui pourrait marquer l’avenir des relations internationales.

Le constat implacable de Ian Bremmer est très pessimiste et inquiétant, et par conséquent particulièrement utile. Loin des idées reçues sur la formation d’un bloc occidental et une rivalité inévitable avec la Chine, l’auteur dessine les contours d’un monde qui, à défaut d’être celui auquel on pourrait rêver, pourrait être celui dans lequel nous vivrons bientôt. Il s’interroge cependant sur ce qui viendrait après cette période de G-zéro, qui ne sera forcément qu’une transition, plus ou moins longue, vers de nouveaux équilibres. Il rejette à cet égard, et c’est un point de vue sage, l’hypothèse d’une nouvelle Guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine, mais ne croit pas à l’inverse à une coopération accrue entre les deux pays, qui s’érigent de plus en plus comme des rivaux sur de multiples questions. Il s’interroge également sur ceux qui souffriront de ces nouvelles réalités et ceux qui en tireront des bénéfices, développant le thème – qui devrait lui aussi ouvrir de très riches réflexions dans les milieux académiques – d’Etats « pivots » étant amenés à jouer un rôle important en raison de leur géopolitique, de leurs ressources, ou de leur population.

L’essai de Ian Bremmer apporte de la fraicheur dans des réflexions qui semblent engluées dans le G20 et le G2, comme si aucune alternative à un monde bipolaire ou une multipolarité réactivée ne serait possible. C’est en ce sens une très précieuse contribution aux débats actuels et futurs.

Ian Bremmer, Every Nation for Itself. Winners and Losers in a G-Zero World, Londres, Portfolio, 2012, 229 pages.

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