un président pour l’éternité (9)
Puisqu’il est difficile de savoir exactement ce qui se passe en Corée du Nord et dans l’entourage du clan Kim, le mieux c’est parfois de l’inventer… Voici mon roman sur la succession de Kim Jong-Il, neuvième partie.
Chapitre V
Loin de la campagne nord-coréenne, pour ne pas dire dans tout le reste du monde, ça faisait longtemps que les médias ne s’étaient pas agités de la sorte. Depuis que l’affaire des clones de Kim Il-song a éclaté, il y a plus de trois semaines, il ne s’est pas passé une seule journée sans que les nouvelles stars soient à la une de la moitié des quotidiens, interviewés sur les ondes de radio, et photographiés sous tous les angles. La place accordée à Kim Jong-un, l’héritier désigné du régime désormais un peu oublié, quand il sortit de l’ombre, ne peut tenir la comparaison. Cette fois, c’est la Corée du Nord super star, même si c’est un peu malgré elle.
Au bout de deux semaines de cette couverture médiatique intense, un collectif de stars hollywoodiennes a organisé une immense grève dans les studios de cinéma de la cité des anges, pour protester contre la remise en cause de leurs acquis. Au premier rang de leurs revendications figurait le trop d’importance accordé aux jumeaux/clones, dont ils se sentent directement victimes. Concurrence déloyale selon eux, qui plus est de la part de gens qui ne sont même pas du métier, mais monopolisent malgré tout l’attention de tous les médias. Afin de se faire entendre, ils organisèrent une gigantesque marche sur Hollywood Boulevard, parcourant exceptionnellement à pieds une distance de deux blocs, garant leurs humvees à au moins deux cents mètres du lieu du rassemblement. Du jamais vu de mémoire de star ! Certaines actrices avaient même sorti leurs plus beaux attributs, exhibant leurs protubérances pour rappeler aux spectateurs pourquoi elles ont fait carrière, et pourquoi elles sont devenues si populaires. Mais il n’y avait pratiquement personne pour voir défiler les stars du grand écran. Et pour cause. Pendant la manifestation, les deux clones arrivaient à l’aéroport de Los Angeles, entourés d’une nuée de journalistes et de badauds, sans compter les dizaines de millions de personnes suivant l’évènement à la télévision. Pourtant habitué à voir défiler les vedettes du matin au soir, jamais LAX n’avait connu une telle ferveur, et jamais depuis les attentats du 11 septembre 2001 les chaines télévisées d’information en continue toutes dépêchées sur place n’avaient fait une telle audience.
Le soir de l’arrivée des jumeaux/clones dans la cité des anges, Lady Gaga donnait un concert au Hollywood Bowl. Mais devant l’annonce que les célèbres transfuges étaient attendus au même moment sur le plateau du Larry King Live, la grande majorité des spectateurs choisit de ne pas s’y rendre, au point que les billets étaient offerts gratuitement au marché noir à l’entrée du stade. Dépitée devant une audience réduite à quelques vicieux et fans autistes, la chanteuse arriva nue sur scène pour provoquer un nouveau scandale, histoire de faire la une des médias le lendemain. Mais seules quelques manchettes rapportèrent la scène, et les milieux conservateurs, généralement très attentifs, n’y prêtèrent pas la moindre importance. La rencontre entre les deux Kim et Larry King battit en revanche le record absolu d’audimat. Des écrans géants furent même installés aux quatre coins du monde, à des heures parfois incongrues, pour permettre au maximum de personnes de suivre en direct l’évènement du siècle, rapporté par des journalistes enflammés comme étant le plus important depuis le premier pas sur la lune.
Et pourtant, les téléspectateurs n’eurent pas grand-chose à se mettre sous la dent qu’ils ne savaient déjà. Il faut dire qu’ils avaient été tellement abreuvés de reportages en tous genres qu’ils ne pouvaient plus rien ignorer, ou du moins le croyaient-ils.
Pour l’évènement, CNN bénéficia de tant de sponsors que les spots télévisés se multiplièrent jusqu’à indigestion. Et au milieu de ce tumulte, l’entretien se limita à des lieux-dits, sans qu’aucune révélation ne soit levée. Quand le célèbre journaliste demanda aux jumeaux s’ils sont vraiment les clones de Kim Yong-il, après leur avoir souhaité avec un large sourire la bienvenue en Amérique et remercié d’avoir finalement choisi le Larry King Live plutôt que de rendre visite à Jay Leno, qui les avait également invités, tous deux se regardèrent avant de répondre qu’ils n’en avaient pas la moindre idée, que personne ne les a jamais briefé sur ce genre de choses, et qu’ils n’avaient jamais entendu parler de clonage avant de passer la zone démilitarisée. Quant à savoir ce qu’ils pensent de leur ressemblance, ils répondirent le plus naturellement du monde que comme tout le monde leur ressemble et porte le même nom là où ils ont grandi, cela n’a jamais éveillé le moindre soupçon chez eux. Cette réponse provoqua une longue clameur dans le public, et CNN assura après l’émission qu’il ne s’agissait pas d’un son pré-enregistré placé là pour provoquer un effet de surprise supplémentaire, mais bien de la réaction du public, dans lequel on releva d’ailleurs la présence de nombreuses personnalités de la politique comme du monde des spectacles.
Plusieurs experts de la Corée du Nord, invités à dialoguer avec eux en duplex, relevèrent une telle ressemblance avec l’ancien dictateur nord-coréen que la thèse du clonage ne pouvait évidemment pas être exclue, se refusant malgré tout à l’affirmer de manière catégorique quand Larry King leur demanda avec insistance d’être plus précis. Il faut dire qu’aucun d’entre eux n’a jamais approché le dictateur nord-coréen, et les informations dont ils disposent se basent sur des photos. A part ce point de détail, tous s’évertuèrent à rappeler la situation politique en Corée du Nord et la nature du régime nord-coréen, ce qui fut d’ailleurs commenté ensuite par les responsables de CNN comme le seul moment de l’émission où l’audience connut une baisse significative, avant de reprendre à la hausse au moment de la coupure publicitaire.
En tout et pour tout, les jumeaux ne communiquèrent pas grand-chose sur leur vie, se contentant de rapporter des informations très générales sur le quotidien dans leur camp en Corée du Nord, ou les raisons les ayant poussé à fuir. C’est d’ailleurs sur ce point que l’essentiel de la conversation porta. Quand King leur demanda pourquoi ils avaient pris des risques insensés pour passer de l’autre côté, ils répondirent que depuis leur plus tendre enfance, on leur a tout appris du reste du monde, et qu’ils ont découvert, dès leur plus jeune âge, le Larry King Live, ce qui provoqua à nouveau une immense clameur dans le public. Conscients de vivre dans un pays décalé et à l’avenir incertain, ils tentèrent de fuir à plusieurs reprises, imitant leurs camarades. Si eux ont réussi à passer, les autres sont restés bloqués de l’autre côté de la frontière. Enfin, quand le journaliste leur demanda où ils avaient appris à parler anglais aussi bien, ils répondirent que cela faisait partie de leur formation, leur permettant d’avoir un accès plus rapide et plus complet à l’information extérieure. Mais ils ajoutèrent pouvoir parler couramment, en plus de l’anglais, le français, le mandarin, le japonais, le russe, l’espagnol et l’arabe, ce qui provoqua une autre clameur admirative dans le public immédiatement accompagnée d’applaudissements nourris, et fronça les sourcils de l’animateur, qui clôtura son programme en disant ne jamais avoir rencontré des phénomènes tels que les Kim – et il serait d’ailleurs intéressant de comptabiliser combien de fois il a sorti la même réplique dans sa carrière avec d’autres invités.
Le lendemain du show, tous les plus grands quotidiens de la planète faisaient la une des jumeaux/clones Kim, une fois encore, retranscrivant toutes leurs interventions, et commentant leurs moindres faits et gestes pendant l’émission diffusée en direct. Des analystes politiques rivalisant avec des experts en communication et des psychologues débattant avec de fins connaisseurs du monde des people : tous voulaient donner leur avis sur l’évènement. Larry King lui-même fut interviewé par quantité de médias une fois son programme terminé, tous lui demandant comment s’était passé la rencontre, au point de l’assimiler à un exploit sportif surhumain, ou à une exploration exceptionnelle et périlleuse dont il serait revenu vivant par on ne sait quel miracle. Quand on lui demanda ce qu’il penserait d’avoir un clone de lui-même, l’animateur répondit malicieusement que cela lui permettrait de prendre des vacances bien méritées sans avoir à laisser son show orphelin.
Cette petite phrase fut reprise en boucle dans le monde entier, et dès le lendemain, des centaines de manifestations furent organisées dans les capitales occidentales, appelant à un clonage généralisé pour permettre à tous les employés de prendre des vacances permanentes, tandis que leurs clones assureraient le travail à leur place. Des contre-manifestations, organisées par des ligues de défense des droits de l’homme et de la lutte contre l’esclavage furent également organisées dans le même temps, et des heurts violents éclatèrent dans plusieurs villes.
Ce n’était que les prémices d’un vaste mouvement rapidement incontrôlable. Aux quatre coins du monde, plusieurs sectes se lancèrent dans une sacralisation du clonage humain, après en avoir le plus souvent pendant des années rejeté le principe au nom d’un risque de diabolisation de l’Humain. Confortés dans leurs théories et surfant sur une vague inespérée de succès, les Raéliens bénéficièrent parmi d’autres mouvements d’une attention au-delà de leurs attentes, et certains demandèrent à ce que des grandes figures de l’histoire soient clonées dans les meilleurs délais, afin de faciliter le travail des historiens et biographes. Une multitude d’Elvis sortit des placards des costumes poussiéreux, arguant d’être le clone du King, et on vit déambuler dans les rues de certaines villes du Midwest des individus arborant fièrement un uniforme nazi, et prétendant être le clone d’Adolf Hitler de retour d’un séjour en Corée du Nord. A Moscou, plusieurs Staline furent aperçus lors de rassemblements de nostalgiques, et on organisa même simultanément des concerts de Cloclo dans plusieurs villes de province. De leur côté, des groupes écologistes réclamèrent un partage de ce savoir avec les autres espèces vivantes, et établirent des listes des multiples créatures ayant disparu de la surface du globe, pour demander une renaissance de ces témoins d’un temps où l’homme ne dominait pas encore l’ensemble de la nature. Des animaux de toutes sortes, mais aussi des dinosaures, furent ainsi listés comme « candidats à la renaissance ». En marge de ce mouvement, une nouvelle version de Jurassic Park sortit en 3D sur les écrans, et battit tous les records de recettes.
Partout dans le monde, des rassemblements spontanés de personnes de toutes croyances et de toutes cultures se multiplièrent pour demander soit à ce que Kim Il-song soit éliminé, comme le serait une mauvaise grippe virale menaçant de se répandre, afin d’éviter la contagion, ou soit au contraire candidat au titre d’homme de l’année du magazine Time, et même Prix Nobel de la Paix. Des honneurs auxquels le grand dirigeant n’a jamais eu droit quand il était officiellement vivant !
Mais des groupes religieux, associés, une fois n’est pas coutume, à des philosophes de renom, protestèrent de leur côté contre la fin de l’humain, et la disparition à terme des repères qui ont fait l’histoire de l’humanité. Leur argument part d’une idée simple, mais pour le moins troublante : le dernier homme sur terre sera Kim Il-song. Et le pire, c’est qu’il ne sera même pas tout seul si ça se trouve. Il sera entouré de ses semblables. C’est une nouvelle race qui va peu à peu se développer, et remplacer l’homo sapiens. Avec Kim Il-song, l’humanité est entrée en possession de sa propre mort. La question de la reproduction ne se posera plus. On se contentera de créer de nouveaux Kim Il-song. Et au bout d’un moment, ce seront des Kim Il-song qui créeront d’autres Kim Il-song. L’humanité aura disparu, mais lui sera toujours là. Omniprésent, à tous les échelons, dans tous les recoins. Il y en aura de plus en plus. Dans un ouvrage rapidement devenu un best seller traduit dans toutes les langues intitulé Being Kim Il-song, un collectif de scientifiques de plusieurs disciplines s’interrogèrent pour certains sur la gestion de la politique internationale une fois qu’il n’y aura plus que des Kim, d’autres sur la question de l’identité nationale une fois que tout le monde aura la même identité, et certains enfin sur la fin du monde, tout simplement.
Jamais, depuis l’utilisation de la bombe atomique en 1945 et les réflexions qui suivirent sur l’atome et la fin de l’humanité, les intellectuels ne se sont autant mobilisés pour une question d’actualité.
Plusieurs cliniques de chirurgie esthétique proposèrent des traitements révolutionnaires, jouant sur la ressemblance troublante entre les deux Kim, et arguant qu’elle n’a rien à voir avec le clonage, mais est le résultat des miracles de la technologie plastique moderne. Surfant sur la vague de leur succès en Corée du Sud, les campagnes publicitaires rivalisèrent de slogans accrocheurs, promettant aux clientes de ressortir avec exactement le même physique que leur star préférée, au millimètre près. Les ventes explosèrent. Dans cette course aux canons de la beauté, les hommes ne furent pas en reste, et on trouva des arguments du genre « et si vous sortiez de votre existence médiocre et de votre physique ingrat pour devenir une star hollywoodienne connue de tous ? ». Succès garanti, mais résultats malheureusement pas toujours à la hauteur des promesses. Charlatans en tous genres, vendeurs de rêves et surfeurs sur la vague des frères Kim en tous genres surent tirer profit de cet étonnant engouement pour la chirurgie esthétique.
A Séoul, le sergent Lee fut promu général quatre étoiles, battant un record mondial de précocité à un échelon aussi avancé, et provoquant une véritable course aux étoiles dans les dictatures, rassurées sur le fait qu’on donne aussi des lauriers sans raison dans les démocraties et encouragées à aller plus loin. Il reçut dans les jours qui suivirent de multiples décorations des mains des ambassadeurs, et dans certains cas de chefs d’Etat étrangers ayant fait le déplacement pour rencontrer le jeune général. Choi devint star de la K pop, la pop coréenne, avec une chanson intitulé sobrement « Sympathy for Kim Il-song ».
De leur côté, Bob et John réalisèrent rapidement à quel point leur bref communiqué changea radicalement leur vie. Ou plus exactement, leurs confrères journalistes leur firent réaliser. Surmédiatisés comme jamais dans leur carrière, ils se trouvèrent sous les feux de la rampe sans trop comprendre pourquoi, ni être en mesure d’apporter des explications dignes de ce nom sur l’affaire des clones. Il ne leur resta rapidement que le matin comme moment de répit, ce moment qu’ils affectionnent tant, et au cours duquel ils s’adonnent à leur jeu favori, décortiquer l’information. Sauf que cette fois, avec l’ampleur du phénomène Kim, toute leur attention se porta sur un buzz dont ils étaient eux-mêmes à l’origine.
Chaque matin, ils prenaient un plaisir non dissimulé à voir les derniers délires du monde en proie à la Kimania, comme cela était répété partout. Un moyen aussi de préparer leurs propres interventions à la télévision ou à la radio, qui rythment le reste de leurs journées plus chargées que jamais.
– Ecoute ça Bob : « Le gouvernement chinois a officiellement annoncé que tout ressortissant nord-coréen pénétrant illégalement en territoire chinois ressemblant trop à Kim Il-song sera désormais reconduit immédiatement aux autorités de son pays ».
– Mais je croyais que la Chine ramenait déjà les immigrés clandestins nord-coréens à la frontière quand ils étaient capturés.
– Nan. Ça c’est pour la galerie, histoire de rassurer Pyongyang et de dissuader une immigration massive. Mais en fait, les Chinois se foutent pas mal d’avoir quelques nord-coréens qui passent par chez eux. Surtout qu’ils ne restent généralement pas longtemps. Ils filent vers la Mongolie où on les expédie directement en Corée du Sud, ou ils font le voyage jusqu’en Thaïlande, où là aussi on les renvoie en Corée du Sud. Mais cette fois, c’est du sérieux, et ce sont vraiment des mesures discriminantes. Je suis sûr que d’ici peu, ils pondront une sorte de North Korean Exclusion Act, comparable à ce que les Etats-Unis avaient fait avec les Chinois à la fin du XIXème siècle. C’est le délit de sale gueule institutionnalisé.
– Pas mal en effet. Et celle-là, qu’en dis-tu ? : « La junte birmane offre un milliard de dollars à la première équipe de scientifiques qui lui permettra de percer à son tour les secrets du clonage humain ». Un milliard de dollars, tu te rends compte ? Et à quoi ça peut leur servir de toute façon ? On ne sait même pas qui dirige ce pays, alors qu’il soit cloné ou non, ça ne change absolument rien.
– Mais non, tu n’y es pas. A tous les coups, ils veulent cloner leur armée, ou un truc du genre. Ou alors c’est un moyen de se faire remarquer.
– Attends, ce n’est pas fini. Ecoute la meilleure : « Une société de travail temporaire a proposé un clonage à échelle industrielle de Kim Il-song afin de rationnaliser les employés qu’elle propose à ses clients. Des employés bien entrainés, bosseurs et courageux, et qui ont un tel égo qu’ils ne se mettront pas en difficulté, au risque de perdre la face devant les autres sujets. Il ne reste qu’à leur donner envie de travailler, en les entraînant dès leur plus jeune âge. Mais l’offre s’est étendue à des services aux particuliers : offrez-vous un Kim à domicile, pour vous aider dans vos tâches ménagères, et vous amuser en vous racontant l’internationale socialiste ! ».
– Mais est-ce qu’on est sûr qu’il s’agit vraiment des clones de Kim Il-song ? Parce que franchement, moi je n’en sais rien du tout. Nous avons lancé cette idée un peu au hasard, sans imaginer que ça prendrait une telle ampleur. Mais je suppose que les scientifiques les plus sérieux se sont quand même penchés sur la question. On ne dispose d’aucun résultat ?
– Non. Et ce n’est pas demain la veille que nous aurons des informations plus précises là-dessus de toute façon. Et si tu veux mon avis, ça fait bien l’affaire de tout le monde. Les journaux n’ont jamais tiré autant d’exemplaire, au point de faire croire aux plus optimistes que la crise de la presse écrite est de l’histoire ancienne, et on ne compte plus les produits dérivés qui se vendent comme des petits pains. Les seuls qui ne sont peut-être pas satisfaits dans l’affaire, ce sont les principaux intéressés. C’est un imbroglio juridique incroyable. Et comme ils n’existent pas officiellement, ces deux « jumeaux », ça n’aide pas. Si la Corée du Sud voulait débloquer l’affaire, on pourrait peut-être avancer. Mais ce n’est pas dans son intérêt.
– Pour quelle raison ?
– Rends-toi compte. Si on leur annonce officiellement que leur pire ennemi est non seulement vivant, mais en plus éternel, ce pays va connaître la pire crise de son histoire. Entre ceux qui le vénéreront et ceux qui demanderont la guerre immédiate, ce sera un bordel sans nom. Alors pour le moment, Séoul préfère nier toute l’affaire.
– Et les habitants de la Corée du Sud ? Qu’est-ce qu’ils en pensent ? Parce qu’ils sont quand même en première ligne sur ce coup-là.
– Je suppose qu’ils suivent l’affaire au jour-le-jour, avec le plus grand intérêt. Forcément. Mais ils n’ont pas non plus trop intérêt à ce que les choses bougent de manière trop brutale. Rends-toi compte, si la Corée du Nord se casse la gueule, c’est la Corée du Sud qui va payer la note. Et crois-moi, la population n’est pas franchement partante. D’un autre côté, je suppose qu’ils ne sont pas franchement emballés à l’idée de voir débarquer une véritable armée de Kim sur leur territoire. Ils ont beau refiler la nationalité à tous les ressortissants nord-coréens, en vertu de leur constitution, je ne suis pas sûr qu’ils soient ravis si on leur annonce que ce sont 100 ou 200 000 Kim qu’il va falloir nourrir, loger, et intégrer à un mode de vie qu’il n’a cessé de dénoncer tout au long de sa vie.
De fait, les évaluations les plus fantaisistes circulèrent sur l’ampleur du phénomène, le nombre de sujets présumés, et la possible augmentation sensible de la population nord-coréenne consécutivement au programme de clonage. Bien que ne disposant même pas de certitudes quant à la réalité de ce programme, des analystes en tous genres imaginèrent que la population totale des Kim pouvait représenter entre 1 et 10 % de la population totale du pays, soit un nombre de 20 000 à 200 000 personnes. Pour étayer leurs propos, certains ressortirent des images des grandes célébrations à Pyongyang, et affirmèrent avec certitude qu’une grande partie de la foule était composée de Kim tous identiques. Mais la mauvaise qualité des photos et les sourires figés et identiques de l’ensemble de l’assistance ne permirent pas d’apporter des preuves irréfutables à ces affirmations.
Un grand expert démographe s’interrogea dans une très sérieuse conférence dans une prestigieuse université américaine sur les risques de déséquilibres des sexes consécutifs au clonage de Kim Il-song, et préconisa aux autorités nord-coréennes, dans un discours qui fut repris en écho dans le monde entier, de penser très vite à cloner des sujets de sexe féminin pour compenser le manque. A partir de là, les propositions les plus fantaisistes fusèrent sur le profil de l’heureuse élue, et le cycle infernal du déferlement médiatique repartit de plus belle, en attendant mieux.
Pour beaucoup, l’affaire des jumeaux Kim est finalement plus une plaisanterie qu’un véritable sujet de géopolitique. Mais c’est une plaisanterie qui, comme tant d’autres, donne des idées. Des bonnes comme des mauvaises d’ailleurs.
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