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Quel avenir pour la Corée du Nord?

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Quel avenir pour la Corée du Nord?

Quatre scénarios que pourrait prendre la Corée du Nord, à condition que le président américain ne change pas de position

Qui l’eut cru? Après une année 2017 marquée par un vif regain de tensions entre Pyongyang et Washington, dont le point d’orgue fut le discours de Donald Trump à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre, les événements se sont enchainés de manière presque incontrôlable depuis janvier 2018: participation de la Corée du Nord aux Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang (Corée du Sud); rencontre historique entre les dirigeants des deux Corées à Panmunjom (suivie d’une autre); annonce du gel des activités nucléaires; et – sommet de cette séquence qualifiée de «diplomatie express» – rencontre entre Kim Jong-un et Donald Trump à Singapour le 12 juin dernier.

Cet emballement assez mal contrôlé, mais qui ouvre des perspectives encore inespérées il y a quelques mois en matière de pacification de la péninsule – et de dénucléarisation, ajouteraient les plus optimistes (ou les plus naïfs) – impose de réfléchir à l’avenir de la Corée du Nord, celui-ci étant à la fois déterminé par des tendances lourdes, aussi bien que par une actualité riche. La rencontre, à Pyongyang cette fois, entre Kim Jong-un et Moon Jae-in, le président sud-coréen, et l’ouverture d’un bureau de liaison dans la ville nord-coréenne de Kaesong, sont les signes indiquant que la dynamique pourrait s’accélérer. Ou pas. Car si les espoirs sont grands, ils doivent être modérés par la précarité de la relation entre Pyongyang et Séoul d’une part, et entre Pyongyang et Washington d’autre part. Plus que jamais, la question de l’avenir de la Corée du Nord mérite ainsi d’être posée.

Voici la prémisse de quatre possibles lignes que la Corée du Nord pourrait adopter, du moins au plus probable.

Scénario 1: Dénucléarisation, effondrement du régime et démocratisation (probabilité très faible)

Ce premier scénario ferait la joie des libéraux, partisans du regime change et partisans de valeurs universelles prenant le dessus sur l’intérêt national. Le simple fait que la dénucléarisation fut mentionnée lors des différentes séquences diplomatiques depuis le début de l’année a suffi à raviver la flamme de la «dés-invention» de la bombe atomique (jamais observée). Et, pourquoi pas, d’un effondrement du régime et d’une démocratisation de la Corée du Nord? Le fait est que depuis la fin de la Guerre froide, et selon des thèses de Francis Fukuyama et des prophéties formulées par des experts américains comme Nicholas Eberstadt ou Victor Cha, qui annonçaient l’effondrement de la dynastie des Kim comme une évidence, les études consacrées à la Corée du Nord ne sont que rarement parvenues à sortir du piège consistant à confondre le régime et le pays. Et si les regards portés sur la Corée du Nord cherchent aujourd’hui de plus en plus à faire la part des choses, les libéraux sont ressortis de leur torpeur, en voyant dans les développements récents la marque d’incontournables changements politiques profonds.

Les limites de ce scénario se situent à plusieurs niveaux. D’abord, la dénucléarisation reste un espoir plus qu’un objectif, et il serait extrêmement naïf de considérer que Kim Jong-un accepte de se priver de la principale assurance-vie de son régime. Il n’y a pas de feuille de route, ni même d’engagements clairs, sinon celui seul de reprendre le dialogue. Ensuite, l’effondrement du régime est une perspective plus faible aujourd’hui qu’il y a quelques années. Cette réalité que l’on peut déplorer s’explique par le résultat des réformes économiques engagées par Kim Jong-un. Ces réformes restent modestes et évidemment insuffisantes, mais elles s’alignent sur le modèle chinois, et les conditions de vie sont infiniment meilleures en Corée du Nord en 2018 qu’elles ne l’étaient dans les années 1990. La légitimité du régime s’en trouve confortée, et à moins de l’émergence d’une conscience démocratique, l’effondrement de la dynastie Kim n’est pas à l’ordre du jour – sauf accident du jeune dirigeant ou crise de succession dont on voit mal, actuellement, les contours.

Reste la démocratisation justement, qui serait donc orchestrée par le régime lui-même, et non consécutif à l’effondrement du régime. Là aussi, il convient de rester très prudent, voire fataliste. La Corée du Nord est un régime totalitaire qui pourrait, à la manière de ce que la Chine proposa, se muer progressivement en régime autoritaire, avec des espaces de liberté plus importants, mais tout en maintenant les institutions de l’État-parti inchangées. Mais une telle mutation ne se fera pas en quelques mois, ni même en quelques années, et elle ne pourra aboutir qu’à partir du moment où la Corée du Nord sort de l’isolement dans lequel elle est plongée. La responsabilité relève à la fois du régime et de la communauté internationale, qui est incapable de repenser un cadre de sanctions ayant prouvé ses limites et son incapacité à faire évoluer le dossier. Tant qu’aucune réflexion ne sera menée de ce côté, l’espoir de voir le régime sortir du totalitarisme et évoluer vers une plus grande souplesse restera infécond.

Scénario 2: Ouverture du régime et réunification (probabilité faible)

Plus que la rencontre, certes historique, entre Kim Jong-un et Donald Trump, l’événement le plus important de ces derniers mois est la reprise du dialogue entre les deux Corées, que portent à la fois Pyongyang et Séoul, avec le soutien de Washington et, plus encore, de Pékin. D’abord parce que cette reprise referme une parenthèse d’une décennie d’absence totale de relations entre Pyongyang et Séoul. Ensuite parce qu’elle dépasse très largement les symboles de la poignée de main entre Kim Jong-un et Moon Jae-in à Panmunjom, en attendant celle de Pyongyang.

Les échanges se multiplient à tous les niveaux, et la confiance s’est considérablement accrue entre les deux entités rivales. Est-elle au point que la perspective d’une réunification soit envisageable? Il convient ici encore de rester très prudent. Ainsi, si la réunification reste inscrite dans les discours officiels au Nord comme au Sud, elle se heurte à des obstacles, pour certains infranchissables dans le contexte actuel. D’une part, une réunification est rare, voire quasi impossible, en relations internationales, et ce sont plutôt des extensions de domaines politiques qui furent observées, de l’Allemagne au Vietnam. Difficile d’envisager dans le cas coréen une réunification qui se traduirait par la mise en place d’un nouveau système politique, a fortiori synthèse des deux modèles existants. Au Nord, cette fusion se traduirait par la fin des privilèges de la caste dirigeante. Et comme il n’y a ni opposition, ni alternative politique, elle n’est pas à l’ordre du jour.

D’autre part, la réunification ne fait plus rêver, au Sud en particulier. Les jeunes générations, qui ont porté Moon Jae-in au pouvoir, ne manifestent pas de grand intérêt pour la Corée du Nord, après sept décennies de séparation. Ils se montrent par ailleurs, comme l’indiquent de très nombreuses études en Corée du Sud, hostiles à une réunification dont le coût serait très prohibitif, et dont la symbolique n’est pas pour eux aussi forte que pour la génération de leurs grands-parents. La société sud-coréenne est en mutation, comme l’ont indiqué les rassemblements populaires massifs pour réclamer la destitution de l’ancienne présidente Park Geun-hye. La société sort peu à peu d’un système articulé autour d’une relation étroite entre le pouvoir politique et les chaebols (conglomérats), qui a permis le miracle économique de ce pays, mais qui impose des conditions d’existence à laquelle il n’aspire plus.

En clair, les jeunes Sud-coréens ne cautionnent pas une réunification dont ils seraient les principaux débiteurs. Moon Jae-in en a d’autant plus conscience que si sa politique nord-coréenne est majoritairement approuvée, il est attendu au tournant. C’est pourquoi il se garde bien d’évoquer une réunification très improbable dans le contexte actuel, préférant mettre l’accent sur une pacification pour laquelle il trouve un écho favorable au Nord.

Scénario 3: Dialogue renforcé et pacification durable de la péninsule (probabilité moyenne)

Après une année 2017 très difficile et une mise à l’écart systématique par Washington du dossier nord-coréen, la Corée du Sud est revenue sur le devant de la scène. C’est une excellente nouvelle en vue de l’établissement d’un dialogue renforcé et d’une pacification qui s’inscrira dans la durée.

Le pari de Moon Jae-in est ainsi surtout un succès en ce qu’il émancipe Séoul des turpitudes de l’administration Trump, et replace la diplomatie sud-coréenne au centre de toutes les discussions sur l’avenir de la péninsule. L’annonce de multiples initiatives, qui dépassent les symboles puisqu’elles concernent la mise en place de dispositifs visant à maintenir un dialogue à plusieurs niveaux, entretient l’espoir d’une pacification durable dans la péninsule. Même le principe d’un traité de paix (qui n’a jamais été signé depuis la fin des combats en 1953) est évoqué.

Moon Jae-in fut l’un des artisans de la Sunshine Policy qui, dans les années 2000, se caractérisa par une politique d’engagement de la Corée du Sud en direction du Nord, avec en toile de fond des efforts de réconciliation que les rencontres entre familles divisées symbolisèrent. Mais c’est surtout le site industriel de Kaesong, porte d’entrée de la Corée du Nord aux entreprises et investisseurs du Sud, qui fut la plus grande avancée de cette politique, avant d’être fermé sous le mandat de Park Geun-hye en représailles des provocations nord-coréennes.

Si le président sud-coréen se refuse à faire mention d’une Sunshine Policy 2.0 pour qualifier sa politique nord-coréenne, la réouverture de Kaesong fait partie de ses objectifs, et la reprise du dialogue se fait en grande partie sur les bases de cette politique abandonnée par Lee Myung-bak après son élection en 2008. Moon semble même aller encore plus loin en estimant qu’une pacification durable – c’est-à-dire à la fois inscrite dans le temps et qui ne soit pas une simple déclaration d’intention mais un acte concret – est à portée de main.

Ces espoirs se heurtent cependant à l’attitude et à la bonne volonté de Pyongyang. Si l’échec de la Sunshine Policy fut prononcé par Lee Myung-bak, il fut surtout provoqué par le maintien du programme nucléaire nord-coréen et l’absence de réciprocité dans les efforts fournis par les deux Corées. Cette politique est d’ailleurs aujourd’hui jugée avec méfiance en Corée du Sud, où l’opinion publique pointe du doigt le risque d’une trop grande naïveté de Séoul à l’égard de Pyongyang. Les plus optimistes rétorqueront que le leadership a changé en Corée du Nord depuis une décennie, et que Kim Jong-un saisit mieux que son père les enjeux et les avantages à répondre favorablement aux efforts du Sud. Les plus pessimistes mettront pour leur part en avant les tactiques de Pyongyang et la stratégie sur le fil qui permet au régime de se maintenir, sans engager la moindre réforme de ses institutions.

De fait, les risques de voir les espoirs du cabinet Moon déçus restent importants, et ne reposent pas uniquement sur des critères objectifs, mais aussi sur les perceptions de la Corée du Nord et de ses gesticulations au sein de la société sud-coréenne. En clair et dans un contexte de désir de pacification exprimé par les dirigeants au Sud, l’avenir de la relation entre les deux Corées dépend de la bonne volonté de Pyongyang, tout autant que de la confiance perçue au sein de la population sud-coréenne. Cette équation reste fragile, mais l’espoir est permis.

Scénario 4: Dialogue fragile et des avancées quasi nulles (probabilité élevée)

La rencontre de Singapour du 12 juin dernier, dont l’organisation resta jusqu’au bout incertaine par un revirement de l’une ou l’autre des parties, fut historique. Pour la première fois, un président américain en exercice rencontrait un dirigeant nord-coréen. Elle est porteuse d’espoir dans la mesure où les deux dirigeants se sont entendus sur des engagements visant à désamorcer une crise qui avait empoisonné la sécurité internationale en 2017. Au-delà du symbole, elle reste cependant très modeste sur le fond, et aucune feuille de route – et encore moins un agenda – n’a été adoptée.

La crédibilité des États-Unis en Asie du Nord-Est est aujourd’hui fortement remise en question, à Séoul et à Tokyo notamment, et on imagine difficilement la Chine valider le principe d’un accord bilatéral dont elle serait exclue. Les rencontres à répétition entre Kim Jong-un et Xi Jinping ne font que confirmer cette idée.

On remarque aussi que dans l’équipe accompagnante de Donald Trump à Singapour aucun expert de questions nucléaires était présent, ce qui est pour le moins étonnant compte tenu du haut degré de technicité d’un tel dossier. Les rencontres entre Kim Jong-un et le chef d’État américain Mike Pompeo à Singapour furent par ailleurs révélatrices des obstacles qui restent à franchir pour parvenir à un accord, le Secrétaire d’Etat américain indiquant même qu’il faudrait des années pour parvenir à un accord. Si le décalage est donc perceptible entre l’enthousiasme suscité par les symboles et une réalité plus complexe et moins optimiste, vient s’y ajouter le risque d’une décadence du dossier au niveau régional et international. La crédibilité des États-Unis en Asie du Nord-Est est aujourd’hui fortement remise en question, à Séoul et à Tokyo notamment, et on imagine difficilement la Chine valider le principe d’un accord bilatéral dont elle serait exclue. Les rencontres à répétition entre Kim Jong-un et Xi Jinping ne font que confirmer cette idée. Le dialogue reste fragile.

Se trouve enfin posée la question des avancées sur le dossier nord-coréen. Il convient à ce titre d’indiquer que les attentes ne sont pas les mêmes entre les différents acteurs impliqués dans la sécurité de la péninsule, et moins encore parmi ceux qui se penchent sur l’avenir de la Corée du Nord. Washington a fait de la dénucléarisation la priorité absolue. C’est juridiquement (au respect du droit international) et moralement (au risque de voir une guerre nucléaire se déclencher) tout à fait acceptable, mais c’est à la fois irraisonné, car c’est ignorer la stratégie de Pyongyang et l’importance accordée à l’arme nucléaire, et limité car la sécurité dans la péninsule reste précaire, même sans l’arme nucléaire.

Côté nord-coréen, tout est question de reconnaissance internationale, ce qui est assez improbable dans le contexte actuel. En Corée du Sud, on mise sur la pacification, mais tout en conservant taboue la question de la réunification. Au Japon, le retour des kidnappés est le sujet central, et la menace nord-coréenne est très utile à un cabinet Abe désireux d’augmenter son budget de défense, mais qui dans le même temps ne veut pas se mettre à dos son allié américain. En Chine, la levée des sanctions reste cruciale, ce qui permettra aux investisseurs chinois de déferler dans toute la péninsule, ainsi que la pacification qui rendra la présence militaire américaine injustifiée. Difficile de voir à moyen terme une possible convergence des agendas aussi divers, étant donné qu’il soit peu probable que le statu quo soit profondément modifié.

Trump, héros coréen malgré lui

Reste l’espoir que la raison l’emporte, et que les intérêts des uns et des autres parviennent à trouver un terrain mutuel d’entente, à défaut de converger. Ainsi, s’il est légitime de s’interroger sur les effets de la rencontre de Singapour et de rester méfiant face aux annonces de Pyongyang, il ne faut pas non plus bouder le plaisir de voir le dossier nord-coréen moins figé qu’il y a quelques mois. Ainsi, ne peut-on estimer que c’est l’amateurisme de l’équipe de Donald Trump et l’absence de réelle vision sur le dossier nord-coréen qui pourraient, paradoxalement, être à l’origine d’une sortie de crise? Là où ses prédécesseurs, trop exigeants et rigoureux sur des éléments de détail, se sont heurtés à la détermination et au sens de la négociation des dirigeants nord-coréens, Donald Trump semble prêt à apporter des garanties, sans demande de réciprocité, simplement pour défaire le nœud.

Cette approche affole les juristes internationaux – soucieux de maintenir les traités à un niveau de sacralisation parfois irrationnel – et inquiète ceux qui y voient un signe de faiblesse de la diplomatie américaine. Sans doute ont-ils raison sur le fond. Mais quelles solutions les Américains étaient-ils capables d’apporter quand leur approche était divisée, personnifiée par les prédécesseurs du président américain?

Pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de George W. Bush en janvier 2001, le déploiement de la diplomatie américaine à l’égard de la Corée du Nord est suivi par la Corée du Sud – pas parce que Trump est considéré comme l’homme de la situation à Séoul, mais simplement par pragmatisme.

En répondant aux demandes de Pyongyang, l’administration Trump participe à la dédiabolisation du régime nord-coréen, au point que Kim Jong-un est devenu un des dirigeants les plus sollicités, lui qui a eu très peu de visites officielles ou de rencontres au sommet depuis son arrivée au pouvoir en 2011. Certes il ne s’agit là que d’un symbole, mais les symboles ont justement une importance toute particulière pour Pyongyang. En se mettant au niveau de la Corée du Nord, Donald Trump ne fait pas honneur à la diplomatie américaine, mais il peut espérer des avancées sur un dossier dont l’asymétrie entre les différents acteurs avait rendu insoluble. S’il bénéficie d’un écho évidemment favorable en Corée du Nord, il est aussi porté par un agenda qui joue en sa faveur.

Pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de George W. Bush en janvier 2001, le déploiement de la diplomatie américaine à l’égard de la Corée du Nord est suivi par la Corée du Sud – pas parce que Trump est considéré comme l’homme de la situation à Séoul, mais simplement par pragmatisme. À condition toutefois que le président américain ne change pas une nouvelle fois de position sur le dossier nord-coréen – scénario qui n’est pas à exclure et qui donne des sueurs froides non seulement aux dirigeants sud-coréens, mais aussi à des diplomates américains pris de court.

bioline

Barthélémy Courmont est maître de conférences à l’Université catholique de Lille et directeur de recherche à l’IRIS. Son nouveau livre est intitulé Identités mineures.

(ILLUSTRATION: JEAN TUTTLE)
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