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Un président pour l’éternité (6)

GB Geo-Blog

Un président pour l’éternité (6)

Puisqu’il est difficile de savoir exactement ce qui se passe en Corée du Nord et dans l’entourage du clan Kim, le mieux c’est parfois de l’inventer… Voici mon roman sur la succession de Kim Jong-Il, sixième partie.

L’arrivée à Kusong, la troisième étape de la tournée du major Kim, fut en tous points différente des précédentes. Pas de comité d’accueil pompeux, pas de sourires figés, pas de fleurs… Et au lieu de tout cela une réception peu amicale de soldats à la mine sévère. Un petit sergent ordonna une fouille complète du véhicule, et demanda à ses occupants de le suivre dans une petite baraque pour l’interrogatoire de routine.

– Comment ça, interrogatoire de routine ? protesta Kim avec véhémence. Vous savez qui je suis ? Vous savez qui m’envoie ?

– Oui, bien sûr, vous êtes le major Kim, en mission spéciale, et secrète, pour le compte de notre cher dirigeant, et avec l’accord du grand dirigeant.

– Dans ce cas laissez-moi passer. Je n’ai pas que ça à faire.

– Désole major, mais c’est la consigne.

– La consigne mon cul. Vous êtes gonflé mon p’tit vieux. Allez, trêve de plaisanteries, je suis un officiel.

– Même avec les officiels. Il n’y a pas la moindre exception. Désolé.

– Et si notre cher dirigeant était dans cette voiture, à ma place ?

– Ce serait la même chose. Pas d’exception.

– Eh bien, je vous féliciterais volontiers pour votre zèle si je n’avais pas une envie plus forte de vous botter le cul. Qu’est-ce que vous voulez savoir à la fin ? Et qu’est-ce que vous comptez trouver dans la voiture de toute façon ?

– Des produits américains.

– Des produits américains ?

– Oui. N’importe quoi. Coca cola, chewing-gums, paire de Rayban, oreilles de Mickey, caleçons Calvin Klein, Ipod, Ipad, Iphone… Tout produit américain.

– Et la voiture ?

– C’est une allemande, ça ira. Mais nous devons nous assurer qu’elle ne contient rien d’américain. Nous faisons cela pour votre bien. Question de sécurité.

– Comment ça, question de sécurité ?

– Eh bien si on voit sur vous des produits américains à l’intérieur du camp, vous risquez gros.

– Pour quelle raison ? C’est interdit ?

– Pas seulement que c’est interdit. C’est même dangereux.

– Dangereux ? Je suis chez les tarés ou quoi ?

– C’est dangereux à cause des sujets qui sont traités à l’intérieur du camp.

– Je sais bien qu’ils sont formés pour apprendre à détester l’Amérique. Je l’ai lu dans vos rapports. Mais à ce point…

– Ils détestent tout ce qui est américain. Alors s’ils vous voient avec des produits américains, nul ne sait ce qu’ils peuvent faire. Ils deviennent totalement incontrôlables. On a fait l’expérience à plusieurs reprises, et franchement c’était pas beau à voir.

– Mais enfin, je veux bien que ce soit dangereux si je me pointe dans le camp avec un immense drapeau américain sous le bras. Mais je ne porte pas de teeshirt « I love NYC ». Si les produits son cachés, ça ne devrait pas poser de problème. Foutez-moi donc la paix avec vos conneries.

– Ça ne suffit pas. Ils peuvent sentir les produits américains. Ils ont une sorte de sixième sens vous savez. Si vous planquez dans votre valise une plaque de chocolat Hershey’s, ils vont immédiatement s’en rendre compte. C’est le seul chocolat qui ne sent pas le chocolat, et qui n’en a pas le goût. Ça doit être pour ça. Ils le savent. Et à ce moment-là, nous ne pouvons plus rien pour vous. Non, croyez-moi major, il vaut mieux ne prendre aucun risque.

– Et si les produits américains en question sont Made in China, ils deviennent fous aussi ?

– Ça ne change absolument rien. De toute façon, tous les produits américains sont Made in China, alors vous savez…

– Bon, tout ça c’est bien joli, mais mes produits américains, qu’est-ce que vous allez en faire ?

– Parce que vous en avez ?

– Evidemment que j’en ai. Quelle question idiote ! Vous ne devez pas sortir souvent de votre campagne mon pauvre vieux. La voiture n’est pas américaine, heureusement d’ailleurs, il ne manquerait plus que ça… mais pour le reste… Vous n’avez qu’à voir mon équipement sportif dans le coffre. Mes paires de Nike, ma raquette de tennis Wilson, et sans doute tout un tas d’autres choses. Je ne m’en sépare jamais, même quand je viens dans des coins aussi paumés que le vôtre. Au cas où je dispose d’un peu de temps pour me détendre et oublier les crétins dans votre genre ! Mais qu’est-ce que vous allez en faire ?

– Ne vous inquiétez pas. On garde tout ça précieusement, et vous pourrez tout récupérer à votre départ.

– C’est en sécurité ici ? Ils ne risquent pas de chercher à s’approcher ? C’est un lieu sûr ?

– Oui, oui. Nous avons construit une barrière de sécurité. Des barbelés, des câbles à haute tension, et même quelques chiens de l’autre côté, au cas où certains passeraient quand même.

– Et vous n’avez jamais de problème ?

– Pour tout vous dire, on a eu quelques accidents. Certains sujets ont essayé de passer la barrière. Mais les câbles à haute tension, ça ne pardonne pas. Si vous aviez vu leur tronche (il éclate d’un de ces rires nerveux qui agace même les plus tolérants). Mais ne vous inquiétez pas major, ce sont des incidents très rares de toute façon. La plupart du temps, ils se contentent de rester derrière la barrière, et de nous regarder avec un air menaçant. Ils bavent un peu aussi. Vous savez, comme dans les films de morts vivants…

– Charmante perspective !

– Mais vous verrez, quand vous ne portez rien d’américain sur vous, ils sont super sympas, et viennent vous poser tout un tas de questions.

– Quel genre de questions ?

– Je ne sais pas. Tout et n’importe quoi. Si vous êtes marié, avec des enfants, si vous voyagez…

– Et si je leur réponds que je suis allé aux Etats-Unis ?

– Alors là malheureux, vous signez votre arrêt de mort immédiatement. C’est la pire des confessions que vous puissiez leur faire. Rendez-vous compte…

– Oui, enfin ce n’est pas si terrible que ça quand même !

– Parce que vous y êtes vraiment allé ?

– Oui, bien sûr. Vous savez, vous ne trouverez pas beaucoup de types dans le cercle restreint des dirigeants à Pyongyang qui n’aient jamais mis les pieds aux Etats-Unis. Comme dans d’autres endroits d’ailleurs. Nous disposons d’un excellent service de faux passeports, sans doute le meilleur au monde, et nous n’hésitons pas à nous en servir. Nous aurions tort de nous en priver d’ailleurs. En plus, comme nous y allons le plus souvent avec une identité du Sud, une adresse à Séoul et un compte en banque, faux évidemment, dans une banque sud-coréenne ou japonaise, inutile de vous dire qu’on se fait plaisir questions dépenses. C’est carrément sans limites.

– Vous avez bien raison. C’est toujours ça de pris à ces sales yankees.

– Le plus drôle, c’est que personne ne s’est jamais rendu compte de quoi que ce soit. Ils nous font chier en permanence avec nos exportations d’armes, qui entre nous ne représentent pas grand-chose, mais ils ne pensent jamais à regarder dans les valises de nos officiels qui transitent par Pékin pour rentrer à la maison. Et pourtant, ils seraient bien surpris. Mais bon, trêve de plaisanterie. Qu’est-ce qui m’arriverait s’ils savaient que je suis allé aux Etats-Unis ?

– Ils vous mettraient en pièces.

– Rien que ça ?

– Oh oui. Ne tentez pas le diable. C’est tout ce que je peux vous dire. Maintenant, vous êtes prévenu.

Une fois ces formalités accomplies, Kim fut enfin autorisé à entrer dans le camp, où il fut accueilli par le responsable, un colonel âgé arborant fièrement des médailles pour services rendus à la fière patrie lors de la guerre américaine. La guerre de Corée, comme on l’appelle dans le reste du monde.

– Je sais, dit-il en anticipant les remarques de son invité. J’étais très jeune à l’époque. Beaucoup plus jeune que tous les gamins qui sont dans ce camp. Mais je peux vous dire qu’on leur en a mis une sacrée branlée à ces sales yankees.

– Vous étiez déjà dans l’armée à l’époque ?

– Bien sûr ! J’étais haut comme trois pommes, mais brave comme un homme. Je me suis engagé dès que j’ai pu. Et j’y suis toujours resté. Je me dis qu’un jour ou l’autre, les Américains nous attaquerons à nouveau. Et ce jour-là, notre chère patrie aura besoin de types comme moi, qui ont l’expérience du feu. Parce que je peux vous dire que ça fait toute la différence. Et puis les Américains, je les ai vus de près, alors je sais mieux que quiconque de quoi ils sont capables.

– Ah parce que vous aussi vous êtes allé en Amérique ?

– Vous êtes fou ? Qu’est-ce que j’y ferais ? A peine arrivé là-bas, je me jetterais sur le premier venu, si on m’en donnait l’occasion. Ha ha, croyez-moi, il vaut mieux pour leur sécurité que je ne les croise pas ? Sans quoi ils devraient créer un nouveau ministère rien que pour moi, le Department of Homeland Security ou quelque chose de ce genre.

– Mais ça existe déjà.

– Eh bien c’est la preuve qu’ils ont peur de moi. Ma réputation a visiblement dépassé les frontières et est venue jusqu’à leurs oreilles. Ils se méfient. Mais s’ils viennent traîner dans les parages, ça bardera pour eux, croyez-moi.

– C’est comme ça que vous entraînez les sujets traités ici ?

– Absolument. Dès leur plus jeune âge, on leur a appris à détester l’Amérique sous tous ses aspects. Ils apprennent aussi à détester les Américains. Tous les Américains. Les soldats bien sûr, mais aussi les civils. Pas de distinction. Dans la grande guerre, nous n’en faisons pas. Nous n’avons pas le temps, et il ne faut surtout pas montrer des signes de faiblesse. Pas de pitié. Et je peux vous dire qu’ils ont bien retenu la leçon. Vous ne trouverez pas de meilleurs anti-américains dans toute la Corée. Peut-être même dans le monde entier.

– Et à part ça, qu’est-ce qu’ils apprennent ici ?

– Rien d’autre. Pensez bien que ça ne leur servirait pas à grand-chose de toute façon. On leur montre ce qu’est l’Amérique, et on leur apprend à tout détester de ce qu’elle représente. Hollywood, le Jazz, le Coca cola, l’US Navy, Marilyn Monroe, le rêve américain… tout ce que vous pouvez imaginer sur ce pays est ici décortiqué, et les sujets en ressortent avec une haine profonde.

– Mais à quoi ça leur sert ?

– Ça fait partie du programme.

– Ça, je le sais bien. Mais j’ai lu dans les archives que vous avez-vous-même joué un rôle important dans l’identification des différents programmes. C’est vous qui êtes à l’origine de l’ouverture de ce camp.

– Oui, en effet, je souhaitais qu’on ouvre un tel camp, et j’ai participé à sa planification. J’en ai même directement parlé à notre grand dirigeant. Vous vous rendez compte ? Pratiquement en tête à tête. Il n’y avait qu’une vingtaine de personnes autour de nous. Enfin de lui. Mais c’est moi qui lui ai soumis cette idée.

– Dans ce cas je repose ma question si vous me le permettez : à quoi tout cela leur sert-il ?

– L’Amérique est notre pire ennemie. Elle l’a toujours été. Depuis la naissance de notre glorieuse nation. Alors si nous souhaitons former notre président dans les meilleures conditions, il est indispensable de le conditionner dès son plus jeune âge à détester notre adversaire le plus coriace.

– Et en quoi cela diffère-t-il des programmes qui sont enseignés dans toutes les écoles primaires du pays ?

– C’est beaucoup plus poussé ici. On ne se contente pas de faire en sorte que les sujets détestent les Américains, mais qu’ils leur vouent une haine féroce. Chaque sujet traité ici est formaté pour devenir le pire cauchemar de l’Amérique.

– Cela signifie en faire une bête enragée ?

– Notre grand dirigeant doit être capable de faire preuve de fermeté face aux Américains. Je peux vous garantir qu’en 51, quand nous avions face à nous l’armée des impérialistes, il faisait preuve de fermeté. Alors il est nécessaire qu’il soit suffisamment déterminé pour ne jamais faillir à sa tâche.

– Comment vous y-prenez vous pour faire en sorte qu’ils détestent tant l’Amérique ?

– Ah ça, ce n’est pas bien difficile. Je vais vous faire une confidence major. Il est beaucoup plus facile d’apprendre à détester qu’à admirer.

– Cela veut donc dire que votre boulot est facile. Vous n’avez donc pas grand mérite.

– Je n’ai pas dit que c’était facile. C’est juste plus facile que de leur faire croire que l’Amérique est une grande nation, c’est tout.

– Certes, surtout de nos jours, mais c’est totalement inutile en tout cas.

– Inutile ? Quel affront ! Comment pouvez-vous considérer comme inutile le fait de se défendre contre notre pire ennemi ?

– Il y a plusieurs moyens de se défendre. Et visiblement vous n’avez pas choisi le plus efficace.

– Comment pouvez-vous dire ça ?

– Vous avez vu le film Le parrain ?

– Vous êtes complètement fou ! C’est un film américain. C’est strictement interdit, sauf dans les cours de formation sur le fonctionnement de la mafia américaine. Et encore, je ne suis même pas sûr.

– Oui, bon, peu importe. Vous devriez le voir quand même. Tout le monde l’a vu dans le cercle du pouvoir à Pyongyang. Il y a une réplique célèbre dans ce film, qui dit qu’il faut savoir garder ses amis proche, et ses ennemis encore plus proche.

– Qu’est-ce que ça veut dire ?

– Ça veut tout simplement dire que plutôt que de se braquer, et de dévoiler son jeu trop facilement, il est souvent préférable de feindre la proximité, afin de mieux découvrir les différentes facettes de ses ennemis.

– Dans ce cas, vous ne pouvez pas nier que nous faisons du bon boulot ici. Nous leur apprenons tout ce qu’ils doivent savoir sur l’Amérique. Croyez-moi, les sujets traités ici connaissent bien mieux l’Amérique que n’importe qui d’autre dans ce pays.

– Soit. Mais vous ne leur apprenez pas le sens de la diplomatie. Ils détestent l’Amérique, c’est bien, mais ils ne sont pas former pour pouvoir lutter contre elle de manière efficace. Nous ne sommes plus dans les années 50. Les temps ont changé. Et dans notre situation, nous n’avons pas le droit à l’erreur.

– Comment ça ?

– Nous sommes une nation faible.

– Mais non, nous sommes une glorieuse nation. Si le cher dirigeant vous entendait…

– … il me féliciterait pour mon bon sens. Epargnez-moi la propagande. Nous ne sommes pas filmés ici, et nous pouvons nous exprimer en toute franchise. Nous sommes une nation faible. Notre économie est ridicule, et notre armée est minable. Si nous voulons survivre, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Le faible n’a jamais le droit à l’erreur. C’est la condition numéro 1 de sa survie. Et face à une nation forte comme l’Amérique, à la moindre erreur c’est la mort assurée. Au lieu de cela, vous apprenez aux sujets à se braquer, et à réagir comme des fanatiques irréfléchis. On ne veut pas d’un grand dirigeant suicidaire, mais au contraire de quelqu’un qui soit capable de transformer nos faiblesses en une force, et de contester la puissance de l’Amérique. Certainement pas un fou qui se lancerait à l’assaut, sans aucune chance de succès. Si notre glorieuse nation était dirigée par l’un des sujets que vous éduquez ici, je ne donnerais pas cher de notre peau. Ce serait la guerre quasi immédiate, et donc la défaite assurée.

– Mais alors qu’est-ce qu’il leur manque ?

– Pas grand-chose, et tout à la fois. Ils ont de bonnes bases. Ils savent identifier qui est l’ennemi, et d’où vient la menace. Seulement, ils ne savent pas comment s’organiser pour y répondre efficacement. Il leur manque le sens de la diplomatie. Il leur manque ce jugement qui leur permet de dialoguer, même avec ce qu’ils détestent le plus ? Surtout avec ce qu’ils détestent le plus. Il leur manque cette aptitude à masquer leurs opinions, et à garder la main en toutes circonstances. De telles lacunes sont secondaires pour le dirigeant d’une nation forte, qui peut imposer aux autres sa volonté, parce qu’il a les moyens de le faire. Il peut se permettre de se lancer à l’assaut et de désigner ses adversaires avec mépris. C’est con et ça lui attire de nombreuses critiques, mais ça marche le plus souvent pour lui. Mais c’est strictement impossible pour le dirigeant d’une nation faible, surtout quand elle est dans la ligne de mire des principales puissances militaires mondiales. Notre grand dirigeant doit par conséquent être formé de manière à pouvoir négocier, avec le peu de moyens dont il dispose, avec des pays comme les Etats-Unis.

– Mais les sujets traités ici ne seront jamais capables de négocier avec les Américains.

– Dans ce cas, ils sont inutiles. Inaptes à la grande tâche qui doit être la leur. Incompatibles avec les obligations de la realpolitik. Incapables de gouverner un pays comme le nôtre.

– Mais alors que pouvons-nous faire ?

– Il n’y a pas trente six solutions. Je vais rédiger mon rapport pour Pyongyang, dans lequel je mentionnerai que ce programme est un échec. Cependant, on peut trouver du positif dans chaque échec, et je retiendrai que vous avez formé des soldats déterminés dans le cas, espérons-le hypothétique, d’une confrontation armée avec les Américains. S’il leur venait l’idée de chercher à nous envahir, ils trouveraient du répondant dans la présence de vos hommes en première ligne. Et si ça arrive, je n’aimerais pas être à leur place ! Ils ne sont utiles que dans le cas d’une guerre. Et qui sait, peut-être à ce moment-là aurons-nous besoin d’un grand dirigeant vouant une haine féroce à l’Amérique. Mais nous n’en sommes pas encore à de telles extrémités. Je maintiens donc votre programme, que nous mettons en stand bye.

– Je vous en remercie major, et n’ai qu’une seule requête.

– Laquelle ?

– Que vous ne reteniez pas dans votre rapport le terme « stand bye ». Comme nous communiquons les rapports aux sujets, nous ne voulons pas d’émeute…

– Et ?

– Stand bye est une expression en anglais. C’est trop proche des jargons utilisés par les Américains. Il vaut mieux donc l’éviter.

– Ha ha. Bien, je crois que je pourrai répondre favorablement à une telle requête.

Le major Kim ne pouvait s’attarder plus longtemps, sa tournée étant encore loin d’être terminée. Sur la route le menant à Kumchangni, il commença à rassembler ses notes en vue de rédiger son rapport, quand il fut arrêté par une bande armée, à quelques kilomètres du but. Pas des soldats, à en juger par leurs tenues dépareillées. Des mercenaires ? En Corée du Nord ? On peut toujours penser que tout est possible, mais il y a des limites quand même. Kim se demanda s’il ne s’agissait pas d’une mauvaise plaisanterie, quand il remarqua que tous les types armés avaient un physique identique. Des sujets, sans aucun doute.

– Bienvenue à Kumchangni, major Kim, dit l’un d’eux en s’approchant du véhicule.

– Comment ça bienvenue major Kim ? J’étais attendu ?

– Oui, bien sûr, nous savions que vous passeriez par cette route. Et comme il n’y a pas le moindre véhicule qui y passe, à part des officiels une fois tous les trente six du mois, ça ne pouvait être que vous.

– Mais ce n’est pas Kumchangni ici. Nous sommes au milieu de nulle part.

– Techniquement, nous ne sommes pas à Kumchangni en effet. Mais vous savez sans doute qu’il y a deux programmes distincts ici.

– Oui, je suis informé de cela.

– Eh bien nous sommes l’un de ces deux programmes. Nous sommes entraînés pour la guérilla, et vivons dans les environs, dans des lieux indéterminés et sans cesse modifiés par nos soins.

– Et où est le responsable de ce camp ?

– Si vous nous voyez nous, c’est qu’il n’est pas dans les parages. Sa mission est de nous traquer en permanence, et de nous arrêter quand il nous trouve.

– Et quand il vous arrête ?

– Il nous remet en liberté ensuite, bien entendu. Ce n’est qu’un entraînement après tout. Mais si vous le croisez, il vous confirmera qu’il tombe très rarement sur nous. C’est que nous avons l’habitude. Toute notre vie nous avons été cachés, déplacés, cherchant de quoi survivre dans un environnement hostile, avec des soldats à nos trousses. Je peux vous assurer qu’il n’y a rien de tel.

– Je pense bien. Mais si vous vivez dans le maquis, comment avez-vous été informé de ma venue ? Le responsable du programme a été prévenu, mais pas vous à ce que je sache.

– Nous avons intercepté ses retransmissions, comme nous avons l’habitude de le faire. Nous anticipons ainsi tous ses mouvements, ce qui nous permet d’éviter de mauvaises surprises. Alors quand nous avons vu passer un message informant de votre venue, pensez bien qu’on a sauté sur l’occasion. On voulait vous voir avant lui afin de lui donner une petite leçon. Ça fait partie de notre entrainement, et nous sommes sûrs qu’il sera fier, même si son nouvel échec risque de le rendre furieux.

– Eh bien je constate que vous êtes bien organisés.

– Bien sûr. C’est la condition indispensable pour qu’une guérilla soit efficace. D’autant qu’en face ils ont des moyens super sophistiqués. Derrière nos apparences un peu chaotiques, nous cachons un sens de la discipline très développé. C’est essentiel. Si nous sommes désorganisés, nous n’avons aucune chance. Acceptez-vous qu’on vous prenne en photo ?

– Euh, oui, bien sûr. Mais pour quelle raison ?

– Comme ça nous allons envoyer directement la photo au responsable du programme. Il va être furieux de réaliser que nous l’avons devancé. Nous paierions cher pour voir sa tronche…

– Où est-il basé exactement ?

– Dans un bunker, juste à l’entrée du camp de Kumchangni, où se tient l’autre programme. Vous le croiserez pour sûr en arrivant là-bas. Allez, on vous laisse le rejoindre maintenant, avant qu’il nous repère et n’envoie ses hommes. Bonne route major, et bonne continuation.

Quelques minutes après cet arrêt impromptu, Kim arriva en vue du camp de Kumchangni, où il remarqua effectivement, à quelques centaines de mètres de l’entrée ledit bunker. Le responsable du programme l’attendait à l’extérieur, visiblement embarrassé.

– Bienvenue major Kim. Désolé pour ce contretemps idiot. J’espère qu’ils ne vous ont pas fait de misère.

– Non, non, ils étaient sympas comme tout.

– Ah les petits salauds. Ce coup-là, ils ne me l’avaient pas encore fait. Ils sont forts quand même.

– Oui, c’est le moins qu’on puisse dire.

– Je suis partagé entre la colère que leur indiscipline impose, et la fierté de les voir se débrouiller avec un tel brio. Ce sont un peu mes gosses, alors forcément, quand ils parviennent à faire un coup de ce genre, ça me touche directement.

– Ils ont toujours vécu dans le maquis ?

– Toujours.

– Dès leur naissance ?

– Oui, mais à l’époque, ils étaient encadrés par des vieux guérilleros qui connaissent toutes les ficelles du métier. On avait même réussi à recruter des types qui avaient passé des années dans la jungle bolivienne, et qui ont servi d’instructeurs. La plupart sont morts depuis plusieurs années, mais leurs enseignements ont été assimilés avec soin. Ils sont seuls maintenant, mais ils n’ont plus besoin de personne pour leur apprendre quoi que ce soit. Croyez-moi, ces gamins-là pourraient stopper n’importe quelle armée d’invasion.

– Oui, c’est bien joli, mais d’un autre côté, je ne vois vraiment pas qui pourrait chercher à nous envahir.

– Vous n’y pensez pas. Les Américains, les traitres du sud, les Japonais, les Chinois même peut-être… la liste est longue. Tout le monde voudrait nous envahir. Enfin, vous ne regardez jamais les informations à la télévision d’Etat ? On ne parle que de ça.

– Mouais. On ne va épiloguer plus longtemps, parce qu’on m’a déjà fait le coup. Et je ne suis pas là pour ça de toute façon. Bon, si j’ai bien compris, les sujets qui sont éduqués ici suivent un entrainement de police.

– Absolument. Et comme vous avez pu le constater, leur tâche consiste à arrêter les autres sujets, ceux qui vivent dans le maquis.

– Oui. Et j’ai surtout pu constater qu’ils ne sont pas très compétents.

– Mmmm, j’en ai bien conscience, ce n’est pas toujours terrible, mais on fait vraiment de notre mieux vous savez.

– Pas terrible en effet. Mais ce qui m’inquiète plus que les résultats de vos troupes, c’est l’utilité de leur formation. Quel est votre opinion sur la chose exactement ?

– Eh bien nous essayons de les former de notre mieux pour en faire des forces de sécurité dignes de ce nom. Ce n’est pas toujours terrible, vous l’avez souligné, mais il faut dire qu’ils ont un adversaire coriace face à eux. Imaginez-les dans une autre configuration, avec d’autres types à attraper, et je peux vous assurer que le résultat n’a rien à voir.

– Certes, mais ça ne répond pas vraiment à mes interrogations. Même si vous parvenez à former les meilleures forces de sécurité qui soient, à quoi ça va servir.

– Oui, oui, je sais, personne ne veux nous envahir… Vous me l’avez déjà dit.

– Ce n’est pas uniquement ça. Je vous rappelle que l’objectif de cette formation est d’entrainer notre futur dirigeant. Or, vous formez des responsables de la sécurité, qui seront peut-être efficaces, je vous fais confiance sur ce point, mais qui ne feront pas forcément des dirigeants dignes de ce nom.

– Je comprends. Si vous voulez, on peut ajouter dans leur cursus des cours de science politique, ou des choses de ce genre.

– Ce n’est pas en suivant des cours que notre grand dirigeant est devenu ce qu’il est devenu. C’est justement pour éviter des formations trop académiques, et décalées avec son profil, que des entrainements et modes de vie comparables à ceux que vous imposez ici ont été privilégiés. Il n’y a donc pas de problème sur le fond, mais juste sur la finalité de l’exercice en ce qui concerne ce que vous apprenez à ces jeunes.

– Mais alors ça signifie que vous allez fermer le camp ?

– Certainement pas. Vous avez une utilité réelle en ce qui concerne la formation de nos futures forces de sécurité et de police, et la nation vous en est reconnaissante. Continuez donc ce que vous faites, sans rien changer. Par contre, arrangez-vous pour que les sujets n’aient pas la moindre idée de leur identité réelle. On ne veut pas de bataillons de types qui se prennent tous pour le dirigeant de ce pays. Inventez des histoires bidons pour expliquer leur ressemblance physique. Dites-leur que ça fait partie de leur métier, que tous les flics doivent se ressembler pour avoir un impact plus fort sur les citoyens, et que s’ils ressemblent comme deux gouttes d’eau à leur dirigeant, l’impact est encore plus fort. Imaginez une société dans laquelle tous les policiers ont exactement la même apparence que le président. Même les types de Matrix n’ont pas poussé l’imagination jusque là. C’est Big brother incarné, le rêve de toute dictature digne de ce nom. Continuez donc ce bon travail, et vous en serez récompensé. Je ne serais même pas surpris si votre famille obtient une liberté conditionnelle et est autorisée à quitter le camp de travail.

– Vraiment ? Merci major, merci infiniment. Je fais mon travail avec acharnement, et vos paroles ne font que me donner l’énergie supplémentaire qui me permettra d’obtenir des résultats encore plus satisfaisants.

– Oui, oui, je sais. Et croyez-bien que je le ferai savoir dans mon rapport. Mais bon, ne rêvez pas non plus. Votre bilan est bon, mais il aurait pu être meilleur. Et si votre famille sera libérée des camps en récompense de vos services, il est fortement probable que vous y soyez vous-même rapidement conduit pour les carences constatées. Mais je plaiderai votre cause, et au final on s’arrangera pour que vous n’y restiez pas trop longtemps, disons cinq ou sept ans. Comme ça, une fois sorti, vous pourrez profiter de vos proches, petit veinard !

– Merci major. J’apprécie vraiment votre générosité.

– Ce n’est rien. Je dois continuer ma tournée désormais, et vous laisse à votre travail. Méfiez-vous des maquisards quand même, parce qu’ils sont particulièrement doués je trouve. Ils n’ont pas fini de vous mener la vie dure. Faites quand même attention à ce que leur combat ne se pérennise pas trop non plus. S’ils deviennent des guérilleros permanents, ils deviendront une menace pour la sécurité de ce pays, et nous devrons mobiliser toutes vos forces contre eux. Du beau gâchis quoi ! Assurez-vous pour qu’ils limitent leurs actions à un périmètre restreint. C’est votre responsabilité, et dans mon rapport, je mentionnerai cela.

Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.

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