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La Corée du Nord, orpheline de père et de mère

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La Corée du Nord, orpheline de père et de mère

La mort de Kim Jong-il n’a pas, pour des raisons évidentes, de raison de faire pleurer dans les chaumières du monde entier. Quel contraste cependant avec le peuple nord-coréen, qui semble pleurer à l’unisson la disparition de son « cher dirigeant ». Journaliste en larmes annonçant d’une voix tremblante la terrible nouvelle sur la télévision d’Etat, badauds les yeux rougis déambulant dans les rues de Pyongyang, certains laissant exploser une rage quasi hystérique, ou tout simplement exprimant leur tristesse comme on le ferait à la perte d’un proche : c’est toute une nation qui est en deuil.

Comment expliquer et interpréter ce décalage ? La propagande joue bien sûr un rôle très important, dans un pays totalement fermé au monde, et qui vit replié sur lui-même depuis la fin de la guerre froide et, dans une moindre mesure, depuis la fin de la guerre de Corée en 1953. On imagine ainsi des mises en scène, dont le régime est friand, afin de montrer au monde l’image d’un peuple soudé derrière le clan au pouvoir. Mais cela ne suffit pas. Derrière ces fausses larmes et cette théâtralisation de la disparition du cher dirigeant, qui rappellent les scènes de tristesse lors de la mort de Kim Il-sung, le « grand dirigeant », en 1994, il y a une forme de sincérité d’un peuple qui se sent orphelin. Pour comprendre cette caractéristique propre au régime nord-coréen, il faut remonter aux origines de la propagande de Kim Il-sung. Dès 1945 (et de manière très prononcée après la guerre de Corée), le grand dirigeant s’est présenté comme le père de la nation, mettant en avant un passé de résistant héroïque face à l’occupant japonais, puis de bâtisseur d’une nation formellement créée en 1948, la République démocratique de Corée. Les représentations de Il-sung sont pour le moins éclairantes. Toujours souriant, il est gigantesque, tenant dans ses bras des enfants qui symbolisent le peuple coréen. Après sa mort, en 1994, il fut désigné, à la requête de son fils, président pour l’éternité (ce qui en fait le seul chef-d’Etat post-mortem de la planète). Son fils, justement, se devait de trouver une place afin de se construire une légitimité à la tête de la dictature familiale (rappelons que de nombreux experts prédirent alors la chute prochaine du régime, estimant que le fils ne pouvait rivaliser avec l’autorité du père). C’est la figure de la mère que semble avoir choisie Jong-il, s’appuyant sur un contexte très difficile (sanctions, isolement, et bien sûr les multiples pressions relatives au programme nucléaire). Pendant dix-sept ans au pouvoir, Jong-il fut dépeint par a propagande comme une mère portant assistance à son peuple meurtri, et blâmant la communauté internationale (en d’autres termes les Etats-Unis) pour les désastres humanitaires à répétition que connut ce pays les deux dernières décennies. On le voit ainsi le plus souvent le visage grave, le costume vert-gris et les traits amincis par les problèmes médicaux n’ayant fait, ces dernières années, que renforcer cette image austère.

Deux générations de dirigeants incarnant successivement père et mère au pouvoir, les Nord-coréens, infantilisés à l’extrême, se sentent orphelins. Le jeune Jong-un n’est ni un père, ni une mère, et son appellation de « grand héritier » en dit long sur le personnage qu’il souhaite jouer dans cet opéra (tragique) en plusieurs actes. Il cherchera sans doute à s’imposer comme une sorte de « grand frère », lui-même étant orphelin – sa mère est décédée en 2004. Sa ressemblance troublante avec son grand-père au même âge (mais quel est-il d’ailleurs ?) ne suffira cependant peut-être pas à façonner un nouveau dirigeant charismatique. Au pays des Kim, après le père et la mère, voici donc venir le fils, pour un saut générationnel à hauts risques pour un régime dont il est difficile de savoir s’il s’effondrera comme un château de cartes ou au contraire fera encore mentir les pronostics. La capacité du jeune général à imposer son style et à poursuivre l’infantilisation du peuple sera à cet égard sans doute déterminante.

Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.

The opinions expressed in this blog are personal and do not necessarily reflect the views of Global Brief or the Glendon School of Public and International Affairs.

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