Regards sur la Révolution culturelle au Tibet
Poétesse tibétaine née à Lhassa au début de la Révolution culturelle, Tsering Woeser vit depuis 2003 à Pékin, où elle est étroitement surveillée par les dirigeants chinois pour ses prises de position en faveur des droits de l’homme et de la démocratie. Son combat pour son peuple, qu’elle mène avec passion sur Internet, ne lui a cependant pas enlevé un sens critique aigu, et dans ce récit composé de nombreux témoignages, elle porte un regard sans concession sur la période de la Révolution culturelle au Tibet. Ces dernières années, les témoignages sur ces dix années douloureuses (1966-1976) se sont multipliés, mais celui qu’elle propose ici est l’un des rares traitant de évènements au Tibet, région particulièrement meurtrie par les ravages des gardes rouges, et pour laquelle les documents sur cette période sont rares. L’ouvrage apporte à cet égard de multiples éclairages, grâce notamment à une chronologie complète et un texte de Wang Lixiong daté de 1998, qui traite en détail de la question tibétaine.
La particularité de l’enquête de Tsering Woeser est qu’elle porte sur la participation des Tibétains à la destruction de leur propre culture. Loin de chercher à victimiser son peuple, elle s’efforce au contraire de comprendre comment il s’est engagé dans un processus d’autodestruction qui emporta pratiquement tout sur son passage. Pour ce faire, elle a choisi de faire parler d’anciens responsables du parti, ou tout simplement des jeunes gardes rouges, qui se confient sur des faits dont ils furent à la fois les victimes et les coupables. Les personnes interviewées, restées anonymes, sont pour leur grande majorité rongées par le remord, et parviennent difficilement à expliquer l’élan destructeur dans lequel ils furent entraînés, sans même prendre la mesure de leurs actes. D’autres ont été à la fois les bourreaux et les victimes de la Révolution culturelle, engagés précoces dans les gardes rouges, et se lançant dans des critiques haineuses de leurs ainés, et même de leurs propres parents. Dans certains des récits, les drames familiaux rejoignent ainsi le calvaire d’une nation toute entière.
Au-delà des témoignages, c’est à une réflexion sur la culpabilité que nous invite Tsering Woeser, la culpabilité d’un peuple emporté dans les délires d’une folie incontrôlable. C’est donc, plus qu’un travail remarquable sur le Tibet, un vrai regard sur les excès dans lesquels s’engagea une génération de Chinois, de manière totalement désordonnée, presque chaotique. Une invitation à reconsidérer cette période, sans chercher de coupables ni de victimes.
Tsering Woeser, Mémoire interdite. Témoignages sur la Révolution culturelle au Tibet, Paris, Gallimard, 2010, 568 pages.
Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
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