Avant de lire ce blog, je vous encourage à relire mon intervention du 13 mai titrée, L’UE et la Grèce. Je reprends, ici, certaines des idées de ce commentaire.

La crise des finances publiques tant en Europe que de ce côté de l’Atlantique fait encore beaucoup jaser. La volte-face de l’Irlande qui acceptera maintenant de l’aide de l’UE et du FMI est remarquable. L’aide devrait se chiffrer à 85 milliards d’euros. Le gouvernement irlandais annonça hier son plan de rigueur, plus de 15 milliards d’économies en quatre ans. Le plan coupe dans les dépenses publiques et hausse les impôts des contribuables. Les impôts sur les entreprises restent inchangés à 12.5%. En plus du plan de rigueur, le gouvernement doit s’attarder à un plan de réorganisation bancaire pour assurer la stabilité du système financier irlandais. S’ajoute à la crise économique maintenant une crise politique alors que la coalition au pouvoir est en train d’imploser. Il y a quelques temps à peine, les autorités affirmaient encore que tout était sous contrôle. L’Irlande, le tigre irlandais, allait renaître de ses cendres. Tout optimiste comme quoi l’Irlande allait s’en sortir par des actions décisives est maintenant disparu. La crise perdure et la lumière au bout du tunnel est bien loin.

Ceci étant dit, j’ai la nette impression qu’il y a quelque chose qui cloche dans les plans de rigueur et dans les plans d’aide en Europe. De l’Angleterre à l’Irlande, en passant par l’Espagne, le Portugal et l’Italie, sans oublier la France et même l’Allemagne, qui aide-t-on vraiment ? Qui paie les frais des mesures draconiennes ? Les gouvernements devaient sans doute intervenir en 2008 pour minimiser la crise. Deux ans plus tard, ceux qui paient la note sont les gens, la population … et non ceux qui ont amené l’économie mondiale, le système financier international, au bord du gouffre. Le travail de réforme du secteur financier se fait, tranquillement pas vite. Les responsables de la crise, eux, s’en sont sortis plutôt glorieusement.

Comment justifier l’austérité ? Je suppose que la logique est qu’en gardant un gouvernement et les institutions financières d’un pays solvables, on permet à l’État dans son ensemble de poursuivre. La rigueur permet d’accentuer la compétitivité internationale des pays européens et d’assurer la relance dans de meilleures conditions. Et s’il y avait une autre façon de faire ?

Pourquoi l’Europe est-elle prête à aider l’Irlande et ses banques ? Est-ce que ça serait parce que les banques allemandes ont 25 milliards d’euros investis au pays du trèfle ? Est-ce l’Irlande et les Irlandais que l’on aide, ou les banques allemandes ? La réorganisation bancaire à venir, il me semble, profitera autant, si pas plus, aux banques allemandes et autres institutions étrangères qu’aux banques irlandaises. Des milliards en aide pour l’Irlande combien iront directement dans les poches des sphinx de la haute finance mondiale ? Si les investisseurs sont incompétents, si par le passé ils n’ont pas fait leurs devoirs, s’ils ont passé de l’argent sans faire attention, pourquoi encore leur venir en aide avec des fonds publics ?

Je comprends que la finance est au cœur de l’économie. Lorsque la finance s’écroule, c’est notre capacité en tant que société à se financer qui est remis en question. Ceci étant dit, j’ai l’impression qu’avec tous ces plans d’austérité et tous ces plans d’aide, ce sont les coupables que l’on récompense.

Pourquoi ne pas permettre à un État en dernier recours de déclarer faillite ? Je reviens sur cette idée, la stratégie semble avoir bien fonctionnée pour l’Argentine. Les dirigeants argentins ont simplement déclaré qu’ils ne paieraient plus. L’administration Bush à l’époque a laissé faire. L’Argentine a par la suite renégocié sa dette et la croissance est revenue. Pourquoi certains États européens ne font simplement pas de même ? L’Irlande n’est pas sans ressources. Elle a un vrai pouvoir de négociation. Les investisseurs ne s’envoleront pas dans la nature. Ils resteront, mieux vaut obtenir quelque chose que rien du tout. Le politique a une chance de se tenir debout, de faire quelque chose d’historique, de remettre l’économique à sa place au service de la population, de parler au nom du peuple, et de repartir à zéro. L’Irlande était mal gérée. La chance est maintenant là de démontrer qu’elle peut faire mieux.

Je ne dis pas que tout pays a carte blanche pour déclarer faillite. J’affirme que tenant compte de l’évolution de la crise en Europe et ailleurs, il est devenu insensé de demander encore à la population de payer le prix de l’incompétence de certaines élites.

Dans une entrevue à un journal régional français, l’ancien joueur de soccer français Eric Cantona affirmait récemment que le visage de la révolution se devait de changer. Rien ne sert de protester dans la rue, cela ne donne plus rien. Cantona suggérait plutôt que tout citoyen responsable se devait simplement de retirer son argent de sa banque, un geste simple, non-violent – un geste incroyablement significatif et puissant à l’échelle d’une région, d’un pays, d’un continent. Cantona a lancé le mouvement, des dizaines de milliers de personnes promettent de sortir leur argent des banques le 7 décembre. L’adresse internet du mouvement est la suivante, http://www.bankrun2010.com/.

L’idée apparaît saugrenue. Pourtant, la grogne populaire est réelle. Elle est parfois fondée. Qu’on la prenne, donc, au sérieux !

Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.