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Pourquoi la Corée du Nord ne veut pas la guerre

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Pourquoi la Corée du Nord ne veut pas la guerre

L’attaque nord-coréenne contre l’île de Yeonpyeong a provoqué un émoi international considérable et légitime (par égard aux victimes), mais nombreux sont ceux qui s’amusent depuis maintenant quelques jours à agiter le spectre de la guerre entre les deux Corées. Ces manœuvres m’agacent un peu, et semblent totalement décalées de la réalité dans la péninsule coréenne. La guerre est toujours une possibilité, certes, d’autant que l’armistice n’a jamais été signé entre les deux entités. Elle est cependant hautement improbable dans le contexte actuel, et certainement plus encore après l’assaut nord-coréen. Voici une liste, sans doute non exhaustive, des différentes raisons qui expliquent pourquoi la Corée du Nord ne souhaite pas la guerre quand elle bombarde l’île de Yeonpyeong :

1- Petite leçon de stratégie militaire élémentaire : si vous attaquez un autre pays, il faut, en plus de le faire par surprise (ce qui est le cas ici) chercher à détruire ses capacités de riposte, soit en détruisant totalement son arsenal militaire (un peu à la manière de la tentative des Japonais d’éliminer la flotte américaine du Pacifique à Pearl Harbor en décembre 1941), soit en attaquant son centre décisionnel, pour décapiter le pouvoir, semer la panique, et gagner du temps. Ce sont là des conditions essentielles pour s’assurer la victoire dans une guerre. A l’inverse, attaquer une cible très secondaire est doublement contre-productif, puisque non seulement l’effet de surprise est dissipé, et en plus les effets de l’attaque sont nuls, puisque l’adversaire n’a pas subi de lourdes pertes. En clair, si la Corée du Nord voulait vraiment la guerre, ce n’est pas l’île de Yeonpyeong (dont personne n’avait jamais entendu parler jusqu’ici) qui aurait été attaquée, mais Séoul, sachant en plus que la capitale sud-coréenne n’est située qu’à quelques dizaines de kilomètres de la zone démilitarisée, et donc à portée de feu de l’artillerie nord-coréenne. Il est évidemment impensable que le régime nord-coréen ne soit pas au fait d’une telle règle, d’autant qu’il l’a lui-même expérimentée en 1950, quand les troupes du Nord déferlèrent sur Séoul !

2- Deuxième leçon de stratégie élémentaire : les dirigeants nord-coréens sont certainement critiquables à de multiples égards, mais ils ne sont pas idiots. Ils savent parfaitement quel est l’état de leurs forces, et qu’une guerre contre la Corée du Sud se solderait par une défaite militaire cuisante, et ce même sans la participation des Etats-Unis. Le déséquilibre capacitaire entre les deux pays n’a cessé de se creuser, et si on met de côté la question nucléaire, Pyongyang ne fait pas le poids. Dans ce contexte, et à moins de considérer qu’il s’agit d’un régime imprévisible (ce qui est une grave erreur de jugement), la Corée du Nord n’a pas de raison de se lancer dans une nouvelle guerre qui signerait l’arrêt de mort du régime.

3- Troisième leçon de stratégie élémentaire, de grande stratégie (dans le sens anglo-saxon du terme) cette fois : pourquoi changer ce qui fonctionne très bien ? La Corée du Nord se complait depuis vingt ans dans un statu quo qui assure la survie du régime. Quel est donc son intérêt à modifier ce statu quo sachant que (et je renvoie au point précédent), cette modification ne se ferait pas à son avantage, à moins que Kim Yong-il s’imagine capable de contrôler l’ensemble de la péninsule (et je renvoie encore au point précédent, le dirigeant nord-coréen n’étant pas un idiot).

4- Petite leçon de politique étrangère nord-coréenne (ou Corée du Nord pour les nuls) : toutes les gesticulations de Pyongyang répondent à un objectif politique précis. Le régime nord-coréen ne se lance jamais dans des attaques sans savoir à l’avance qu’elles resteront impunies, et choisissent des circonstances particulières. Dans le cas présent, on peut citer dans le désordre le récent sommet du G20 de Séoul qui plaça la Corée du Sud sous les projecteurs (rien n’agace plus Pyongyang, qui aime « s’inviter » à ce type de célébration), les récentes révélations (ou fausses fuites, au choix) concernant les installations nucléaires de Yongbyon, la question de la succession de Kim Yong-il (qui fait couler tant d’encre, et fait espérer à certains une évolution du régime, comme la mort de Kim Il-song l’avait déjà fait en 1994), et enfin les manœuvres militaires menées par la Corée du Sud, que Pyongyang a d’ailleurs dénoncé comme étant une agression, justifiant par la même occasion ses frappes par le besoin de riposter. Avec la Corée du Nord, on est toujours dans la rhétorique, celle-ci s’accompagnant quand c’est nécessaire d’actions, que ce soit des tirs de missiles, des essais nucléaires, le renvoi d’inspecteurs de l’AIEA, l’enlèvement de Japonais, ou des attaques contre des cibles sud-coréennes.

5- Dernier point, qui découle directement du précédent : la Corée du Nord pratique une politique étrangère et de sécurité (si on peut l’appeler ainsi) sur le fil du rasoir, poussant à la limite pour ensuite s’inviter à la table des négociations, et réclamer le trio habituel des exigences de Pyongyang, à savoir des garanties sécuritaires, une aide alimentaire, et une aide financière. Si la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, pour la Corée du Nord, la menace de la guerre suffit bien, sans qu’il soit nécessaire de pousser plus loin.

Ajoutons ici que Pyongyang n’est pas le seul acteur directement concerné par cette affaire qui ne souhaite pas la guerre. Séoul au premier rang, qui ne veut pas voir ses agglomérations cosmopolites prises pour cible des missiles nord-coréens, et payer la note d’une réunification-reconstruction qui plongerait le pays dans une crise insurmontable. La Corée du Sud est un pays qui est actuellement sur une pente ascendante exceptionnelle, que ce soit économiquement (certains analystes tablent sur le fait que ce pays pourrait être la troisième puissance économique en 2050, après la Chine et les Etats-Unis) ou politiquement (intégration au G20, dont le dernier sommet s’est tenu à Séoul justement, reconnaissance du statut de puissances asiatiques, accords avec diverses puissances…). Bref, à moins de perdre leur sang-froid, les dirigeants sud-coréens n’ont aucun intérêt à une guerre qui hypothétiquerait toutes les chances du pays du matin calme. Le Japon ne veut pas la guerre pour les mêmes raisons (la portée avérée des missiles nord-coréens leur permet de frapper n’importe quelle cible de l’archipel), s’ajoutant à cela bien entendu les restrictions imposées aux forces armées japonaises dans l’article 9 de la Constitution. En clair, le Japon ne se lancera dans une guerre contre la Corée du Nord que s’il est directement agressé, et encore (tout dépendra en fait de l’évaluation du niveau de cette agression). La Chine ne veut surtout pas d’une guerre à ses frontières, d’autant que celle-ci la placerait dans une position délicate, du fait de la relation amicale que Pékin entretient encore avec Pyongyang (et que la Chine ne veut surtout pas perdre, puisqu’elle lui permet de se placer comme le médiateur indispensable sur ce dossier). Enfin, les Etats-Unis ont depuis longtemps exclu toute possibilité de guerre contre la Corée du Nord, et même les faucons de l’administration Bush avaient parfaitement compris que c’était la pire des choses à faire. Les raisons : incertitude sur les capacités nucléaires nord-coréennes (imaginons un scénario catastrophe, avec une grande agglomération de la côte ouest frappée par une arme nucléaire américaine !) qui ont conduit depuis longtemps les dirigeants américains à ne faire la guerre que contre des adversaires dont on sait avec certitude qu’ils ne disposent pas de tels moyens (comme l’Irak), et le refus de s’embarquer dans un nouveau bourbier, qui plus est à la frontière chinoise. Bref, la rationalité et le bon sens ne sont pas l’apanage de la Corée du Nord !

Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.

The opinions expressed in this blog are personal and do not necessarily reflect the views of Global Brief or the Glendon School of Public and International Affairs.

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