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Renouveau des juges d’Afrique?

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Renouveau des juges d’Afrique?

L’évolution des sociétés africaines est certainement marquée ces dernières années par la récurrence du débat sur l’état de droit et les questions d’organisation des pouvoirs au sein de l’État. En effet, depuis l’accession à la souveraineté internationale, les États africains dans leur diversité ont démontré individuellement leur capacité à poser des actes significatifs pour organiser effectivement leur pouvoir judiciaire, même si des progrès importants restent encore à être réalisés dans ce domaine. Les signes les plus visibles de ces progrès doivent sans doute être notés dans les mutations intervenues concernant le statut du juge africain au sein de l’appareil judiciaire et de la régulation de la société elle-même. C’est dans ce contexte particulier qu’il faut situer le problème de l’indépendance du juge dans la gouvernance de la cité.inflatable double slip and slide with pool

Le principe d’indépendance du juge est expressément consacré par le droit interne de plusieurs États africains. Ils ont également intégré dans le droit positif, les instruments juridiques internationaux qui affirment ce principe. Il en est ainsi par exemple de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, des « Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature » adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies les 29 novembre et 13 décembre 1985.

L’indépendance du juge telle qu’elle ressort de ces textes signifie que le pouvoir (autorité) judiciaire et ses missions doivent être à l’abri d’ingérences extérieures, quelle qu’en soit l’origine, la nature ou l’auteur. Ceci implique dans un système cohérent l’obligation pour l’État d’adopter des mesures législatives et réglementaires pour assurer la mise en œuvre effective de cette indépendance. Cette exigence est reprise par l’Assemblée Générale des Nations Unies, dans ses résolutions des 29 novembre et 13 décembre 1985, invitant les États à assurer et à promouvoir l’indépendance de la magistrature. Quelles devraient être ces mesures pour donner un sens à l’indépendance du juge africain qui est devenu un acteur central de la régulation sociale et de la consolidation de l’état de droit dans les pays africains? Les États africains reconnaissent même implicitement qu’il est du devoir de chaque État, en tant que souverain, de recourir à des instruments adéquats pour organiser un système judiciaire bien établi, de façon à doter le juge de garanties essentielles de son indépendance, qu’elles soient statutaires, matérielles ou juridiques. Celles-ci sont jugées nécessaires pour l’application des règles et la protection des droits des citoyens généralement affirmés par le droit positif. D’un autre côté, les instances judiciaires et leurs acteurs sont les comptables de cette indépendance dont ils sont réputés avoir les moyens, lesquels resteront toutefois vains si les juges eux-mêmes n’y apportent pas le concours de leur volonté propre.

Au-delà de l’affirmation solennelle de l’indépendance de la justice dans les pays d’Afrique, il est clair qu’il appartient au juge africain lui-même sous le contrôle de ses pairs, de donner un sens à son indépendance, ceci autant dans son office que dans ses rapports avec les pouvoirs publics. A ce titre, les juges africains sont soumis à une déontologie dont la violation devrait être sanctionnée par un organe supérieur indépendant, (là où il n’existe pas) sur le modèle, par exemple, d’une Haute Autorité de la Magistrature à l’image du Conseil Supérieur de la Magistrature français. Ces règles éthiques, et les procédures disciplinaires y afférentes, ne doivent pas être détournées de leur but spécifique, c’est-à-dire être utilisées comme un moyen de pression sur le juge. Elles doivent être ainsi établies en consultation des membres de la magistrature et approuvée par l’autorité disciplinaire indépendante.

De même, si les juges africains ont des obligations, notamment en termes de secret professionnel, d’impartialité ou de représentation de l’institution, la législation nationale doit également prévoir l’immunité juridictionnelle des magistrats dans l’exercice de leur fonction et des garanties de protection concernant le déroulement de leurs carrières. Les principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature de l’Assemblée générale des Nations Unies prévoient que les juges ne peuvent faire personnellement l’objet d’une action civile en raison d’abus ou d’omissions dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, sans préjudice évidemment d’une procédure disciplinaire ou d’une action en indemnisation dirigée contre l’État. Dans ce sens, il va de soi que les conditions de service des magistrats africains, la durée de leur mandat et la gestion de leur carrière doivent être organisées, autant que possible, par l’administration judiciaire (ce qui est encore loin d’être le cas dans plusieurs États) afin de limiter les risques de pression. Ainsi, il ne suffit pas que la durée du mandat des juges, leur sécurité, leur rémunération, leurs pensions et l’âge de leur retraite soient garantis par la loi, il faudrait aussi que celle-ci prévoie des voies de recours effectifs. L’inamovibilité des membres de la magistrature et les garanties qu’elle présente constitue à cet égard une vraie solution pour consolider l’état de droit dans les États africains. Enfin, il est nécessaire que la promotion des juges soit fondée sur des éléments objectifs et pertinents et soit décidée autant que possible par l’autorité judiciaire elle-même.

Sur le plan social, le juge africain, qu’il soit juge administratif, judiciaire ou constitutionnel est un acteur essentiel de la régulation des rapports entre l’Administration et les administrés, de la résolution des conflits sociaux et de la garantie de la sécurité juridique elle-même. Mais doit-il être impliqué sans garanties suffisantes, en tout temps et en tout lieu, sur tous les problèmes de la société ? Le juge africain est de plus en plus sollicité dans tous les secteurs de la vie sociale. Il assume les tâches les plus ingrates dans le fonctionnement de la société. Il existe une grande tendance à lui confier des fonctions très sensibles, alors que les pouvoirs publics ne mettent pas souvent à sa disposition les moyens adéquats de l’accomplissement de sa mission. Il est chargé de vérifier la régularité des textes avant leur entrée en vigueur, de valider certaines opérations, de statuer sur l’illégalité des actes de l’administration, de lutter contre la corruption et le détournement des deniers publics, de diriger des commissions ou groupes de réflexion, de gérer le contentieux des élections, etc. Il est vrai qu’il est nécessaire dans beaucoup de cas de confier au juge africain de telles fonctions dont il est difficile pourtant de mesurer en amont l’impact sur le système judiciaire dans son ensemble. Cependant, la sensibilité de ces matières et le manque de moyens du juge africain pour assumer ses fonctions constituent des sources d’accusations très fréquemment formulées par les usagers contre la justice qu’ils suspectent de partialité politique. Dans d’autres cas, les conséquences sont plus lourdes parce que c’est la confiance en la justice et le respect dû au statut du juge africain qui sont atteints dans leur substance. Pour ces raisons, n’est-il pas plus opportun pour les pays africains en voie de démocratisation de confier le traitement du contentieux électoral, par exemple, à des institutions spécialisées et présentant le maximum de garanties pour assurer la transparence et la régularité des opérations ? Cette solution présenterait cet avantage de soulager le juge africain et de préserver davantage la crédibilité de la justice et de celle de ses acteurs.

Toutes les situations décrites ci-dessus rendent plus actuel encore, dans beaucoup de pays, le défi de la mise en place d’un système de contrôle de constitutionnalité qui serait confié à une instance constitutionnelle érigée en un organe suprême de l’appareil judiciaire, au moins sur des questions spécifiques. Il serait investi du mandat de veiller à la sauvegarde des principes juridiques consacrés dans les textes en vigueur et de sanctionner leur violation éventuelle. Cet organe donnerait l’exemple de l’indépendance, de l’impartialité et de la rigueur, et serait comme le « premier bouclier » de l’indépendance de tous les juges africains et le garant de la cohérence ainsi que de l’efficacité du système judiciaire dans son ensemble. Quant aux pays africains qui se sont déjà dotés d’une instance constitutionnelle efficiente, le défi majeur est celui de l’exportation, au moins de ses succès, ainsi que son adaptabilité et son ancrage dans les pays les moins pourvus en la matière. Cet objectif pourrait être atteint notamment par la coopération juridique et judiciaire entre les pays africains eux-mêmes et entre ceux-ci et leurs partenaires.

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L’auteur est juriste à la Cour pénale internationale (CPI), Avocat et Docteur en droit. Avant de rejoindre la CPI, Maître MBAYE était enseignant à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques à l’Université de Reims-Champagne-Ardenne, France. Il est l’auteur de plusieurs publications en droit international et sur des questions de justice et d’État de droit. Les opinions exprimées dans cet article ont été fournies dans la capacité personnelle de l’auteur, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de la CPI.

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