Europe : quand Gazprom fait du lobbying
Voici le courriel que je viens de recevoir dans ma boîte de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS).
« Cher Monsieur,
Chargés des relations gouvernementales et de la communication en France de la branche externe de la société de gaz russe Gazprom, mon cabinet et moi-même serions très heureux de nous entretenir avec vous des derniers thèmes de l’actualité énergétique, de vous présenter nos activités et de répondre à vos éventuelles demandes.
Nous pourrions notamment vous présenter les projets en cours de Gazprom (projets de gazoducs Nord Stream et South Stream, investissements, relations gazières avec l’Ukraine…) et discuter d’autres sujets liés à notre client qui seraient susceptibles de vous intéresser. Seriez vous disponible pour une rencontre les 11 ou 12 avril prochains ?
Dans l’attente d’une réponse de votre part sur vos disponibilités, je reste bien entendu à votre disposition pour tout renseignement complémentaire. Cordialement », L. Donceel, Senior Account Executive, GPlus Europe.
Des collaborateurs expérimentés
GPlus Europe est un cabinet de lobbying actif à Bruxelles. Il se présente ainsi : « GPlus a une équipe qui compte plus de 50 spécialistes des politiques, des institutions, et des médias européens. La plupart de nos collaborateurs les plus expérimentés ont occupé des postes de premier ordre au sein de la Commission européenne, du Parlement européen ou de gouvernements nationaux. Certains d’entre nous ont été des journalistes internationaux, tandis que d’autres sont issus du monde de l’entreprise. […] Opérant depuis Bruxelles, Londres et Paris, notre expertise couvre les principaux domaines de l’action européenne et inclut la politique de la concurrence, la politique commerciale, les services financiers, les secteurs de l’énergie, des télécoms et de la santé, ainsi que les politiques environnementales, alimentaires ou de protection des consommateurs. Membre du groupe Omnicom, nous formons part d’un réseau de portée mondiale et menons des campagnes paneuropéennes s’appuyant sur notre solide réseau de partenaires présents dans toutes les grandes capitales européennes.
Nos clients sont des entreprises internationales de premier plan, des fédérations professionnelles, des ONG et des gouvernements, tant en Europe et en Amérique qu’en Asie. Les services que nous leur offrons sont uniques car nous comprenons à la fois les procédures, les politiques et les acteurs de l’Union européenne. C’est notre valeur ajoutée. »
Tout laisse à penser que bien d’autres chercheurs ont reçu de GPlus Europe la même invitation à recevoir la « bonne parole » de la société russe Gazprom.
Perspectives
De quoi s’agit ?
La Russie est depuis plusieurs années le premier fournisseur de l’Union européenne (UE) en matière d’hydrocarbures. Les uns présentent cette situation comme mutuellement bénéfique, une forme d’interdépendance vertueuse. Les autres y voient une dépendance excessive de l’Europe communautaire. Quoi qu’il en soit l’UE remplit généreusement les caisses du Kremlin puisqu’elle achète bien plus à la Russie que la Russie n’achète à l’UE.
La Russie a démontré plus d’une fois qu’elle entendait faire du gaz un outil de puissance, notamment vis-à-vis de l’Ukraine, en 2006 et 2009. Lors de la dernière crise plus d’une vingtaine de pays membres de l’UE n’ont pas obtenu au plus froid de l’hiver les livraisons promises à cause d’une sombre affaire entre Moscou et Kiev.
C’est pourquoi Bruxelles tente depuis le début des années 2000 de desserrer l’étau russe en portant le projet d’un gazoduc – appelé Nabbuco. Celui-ci aurait pour principale qualité de ne pas passer par la Russie pour accéder aux ressources d’Asie centrale, voire d’Iran.
Cependant, l’Allemagne et la Russie lui ont déjà largement coupé les ailes en lançant le projet Nord Stream, qui mettra d’ici peu l’Allemagne directement sous perfusion du gaz russe, en passant par la mer baltique. Ce qui permet d’éviter les pays intermédiaires. Par ailleurs, l’Italie et la Russie donnent à Nabucco un deuxième coup en projetant le gazoduc South Stream.
Tout laisse à penser que l’objectif de Gazprom à travers cette nouvelle campagne de lobbying est de démontrer combien les gazoducs Nord Stream et South Stream sont préférables au projet communautaire Nabucco. Afin que les experts, puis les opinions européennes, approuvent le passage par pertes et profits de Nabucco, voire se réjouissent de la finalisation de Nord Stream et du lancement de South Stream… qui remettent la Russie en position de force.
Quand l’Europe communautaire se retrouvera avec une double clé de bras énergétique, ses citoyens auront tout de même une satisfaction. Savoir à qui ils le devront.
Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
The opinions expressed in this blog are personal and do not necessarily reflect the views of Global Brief or the Glendon School of Public and International Affairs.
Les ressources énergétiques en gaz de la Russie sont-elles illimitées ou connaîtront-elles le même sort que le pétrole, à savoir une diminution inéluctable et une possible disparition? Egalement, où en est la volonté Russe d’intégrer l’UE ? Les ressources en gaz seraient-elles un moyen de grignoter peu à peu du terrain pour avoir un argumentaire béton au moment de poser une candidature à l’UE ?
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Les ressources énergétiques de la Russie ne sont pas illimitées mais elles restent considérables. Un des enjeux de la relation consiste justement à communiquer des chiffres sur-estimés ou sous-estimés, selon les intentions stratégiques des acteurs. Seule certitude: le gâchis énergétique reste considérable en Russie. Concernant la volonté russe d’intégrer l’UE, il s’agit davantage d’un discours subliminal, porté par des vecteurs complaisants pour tester l’idée auprès des responsables politiques et des opinions.