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Les bons choix de John Kerry

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Les bons choix de John Kerry

La fonction de Secrétaire d’Etat américain est sans doute l’une des plus prestigieuses qui soient pour un responsable politique à Washington, mais elle est également l’une des plus épuisantes (si on se base sur un calcul associant le kilométrage, les décalages horaires et le nombre de pays visités), et l’une des plus difficiles dans le contexte actuel, compte-tenu des multiples défis auxquels la première puissance mondiale fait face. En prenant la succession d’Hillary Clinton, John Kerry savaient que la tâche qui l’attendait était importante. Il ignorait en revanche sans doute qu’il devrait faire face, dès ses premières semaines en transit à Foggy Bottom entre deux déplacements, à une crise coréenne de grande ampleur, qualifiée – de façon certainement excessive au passage – comme la plus grave depuis la fin de la guerre de Corée en 1953.

L’ancien candidat à la Maison-Blanche en 2004, soutien précoce à Barack Obama en 2008 (ce qui lui vaut la confiance du président américain) et sénateur du Massachussetts aussi expérimenté que respecté sur les questions internationales s’est lancé dans une tournée éclair, le conduisant en l’espace de trois jours à Séoul, Pékin puis Tokyo. En un weekend, John Kerry s’est entretenu avec les dirigeants des pays asiatiques directement concernés par la crise coréenne, et a délivré un message simple mais clair : les Etats-Unis ne veulent surtout pas d’une escalade militaire dans la péninsule, mais ils se tiennent dans le même temps prêts à porter assistance à leurs alliés sud-coréens et japonais. Le résultat fut un réel succès, qui réaffirme la présence américaine en Asie du Nord-est, crée un précédent sur les possibilités de coopération entre Washington et Tokyo, et offre une porte de sortie à Pyongyang, qui pourra même se targuer de sortir vainqueur de la crise.

La smart diplomacy façon Kerry

Si le style a changé, John Kerry maintient en revanche le cap d’Hillary Clinton sur une question centrale : la place de la smart diplomacy dans la gestion des dossiers internationaux. En associant la recherche du dialogue et des conditions fermes, le Secrétaire d’Etat s’inscrit dans la continuité de l’ancienne First lady, mais avec une confiance sans doute plus affirmée de Barack Obama, qui s’éclipsa sur cette crise pour laisser à son Secrétaire d’Etat le soin d’occuper le devant de la scène. La smart policy sur le dossier nord-coréen est simple : les Etats-Unis font leur possible pour désamorcer la crise, mais à condition que Pyongyang s’engage à s’asseoir à la table des négociations, et accepte une nouvelle fois de discuter les termes de l’abandon de son programme nucléaire. La différence majeure avec les initiatives précédentes vient du fait que le message vient de Washington, mais avec la détermination de Tokyo et de Séoul et le soutien de Washington. Les Etats-Unis se placent ainsi dans une position où ils proposent un dialogue à Pyongyang, plutôt que d’en accepter les conditions de crainte d’une escalade à l’issue incertaine. De cette manière, la Corée du Nord se trouve au pied du mur, et dans l’obligation d’accepter de baisser la tension d’un cran.

En clair, John Kerry a parfaitement compris que le meilleur moyen de mettre un terme à cette énième crise coréenne est d’anticiper la prochaine, ce que ses prédécesseurs échouèrent systématiquement à faire, quelles que soient leurs positions sur le régime nord-coréen et la nécessité d’engager le dialogue ou au contraire de diaboliser le régime. De Madeleine Albright à Hillary Clinton (si on ne tient compte que des initiatives depuis le début du millénaire), les Secrétaires d’Etat américains se firent tantôt les avocats du dialogue, tantôt les apôtres de l’intransigeance. Mais aucun ne parvint à faire avancer le dossier au point d’entrevoir une possibilité de sortir de la crise. Difficile de savoir si John Kerry réussira là où les autres ont échoué, mais sa smart policy a au moins le grand mérite d’associer les différentes approches.

Calmer les ardeurs et les angoisses des Séoul et de Tokyo : la priorité

Dans les jours qui précédèrent la visite de John Kerry, Séoul et Tokyo multiplièrent les annonces fermes, faisant notamment menton de représailles en cas d’attaque de Pyongyang et même, dans le cas de la Corée du Sud, de possibles frappes préventives contre certains sites, au point de voir le risque d’une escalade se déplacer de Pyongyang vers Tokyo et Séoul. Les effets de telles initiatives, influencées par les mouvements réciproques soutenant en partie le Premier ministre japonais Abe et la Présidente coréenne Park, seraient catastrophiques et déstabilisants. John Kerry a ainsi compris que si l’objectif dans la péninsule est de maintenir le statu quo en pointant du doigt Pyongyang, il est tout aussi nécessaire de contenir Séoul et Tokyo. Pour ce faire, le chef de la diplomatie américaine réaffirma son soutien, confirmant par ailleurs le message de Barack Obama assurant ses alliés de la mise à disposition du parapluie nucléaire américain. Le message fut bien reçu dans les deux pays, légitimement inquiets pour leur sécurité. Dès le lendemain du passage de John Kerry, Park Geun-hye déclarait ainsi être prête à écouter les dirigeants nord-coréens, signe de la volonté de la présidente sud-coréenne de désamorcer la crise, sans doute au grand dam des éléments les plus conservateurs de son parti, qui ont manifesté leur volonté de choisir la manière forte en manifestant le 15 avril, jour anniversaire de la naissance de Kim Il-sung. Mais John Kerry était déjà parti vers d’autres destinations. En faisant du soutien à Séoul et à Tokyo la priorité de sa visite, le Secrétaire d’Etat américain a démontré la solidité du partenariat stratégique qui lie les Etats-Unis à ses alliés, et exclu par la même occasion toute initiative unilatérale aux conséquences plus que risquées.

Ne pas fermer la porte à Pyongyang : la sagesse

John Kerry a compris que la fermeté est indispensable face à Pyongyang, à condition toutefois de ne pas donner l’impression aux Nord-Coréens qu’ils perdent la face. Le scénario idéal consiste même à laisser au régime nord-coréen la possibilité d’exploiter la sortie de crise, en arguant de son succès. Le maintien du statu quo vaut bien quelques scènes d’autosatisfaction à Pyongyang, et Kerry sait par ailleurs qu’en cas d’échec pour Kim Jong-un, ce dernier risque d’être déstabilisé par les éléments les plus conservateurs du régime, et donc potentiellement les plus dangereux. Mieux vaut donc un Kim bombant le torse en se targuant d’avoir fait plier les Etats-Unis plutôt qu’un Kim frustré et affaibli. Il y a donc une certaine sagesse à ne pas chercher à humilier le régime nord-coréen, et cette stratégie est exactement l’inverse de ce que fit l’administration Bush entre 2002 et 2005, quand le président américain moquait Kim Jong-il pour ses caractéristiques physiques. Kerry a bien compris que dans le bras-de-fer qui oppose Pyongyang à ses voisins, il ne faut jamais chercher à donner l’impression à l’un des acteurs que la partie est perdue.

Les capacités nucléaires nord-coréennes : l’habileté

Le Secrétaire d’Etat a introduit un nouveau regard sur le régime nord-coréen : le doute concernant ses réelles capacités nucléaires, en et particulier la possibilité pour Pyongyang d’équiper des missiles d’ogives nucléaires. Cet effort visant à minimiser la menace nord-coréenne est inédite dans la posture officielle américaine, elle est également très habile. De fait, on ne sait quasiment rien des capacités nucléaires nord-coréennes, en dehors des annonces officielles, et de l’existence d’un programme qui aurait, selon les témoignages d’inspecteurs de l’AIEA, permis de mettre au point quelques armes nucléaires. On sait aussi que la Corée du Nord a testé avec succès des missiles balistiques, mais on ignore si Pyongyang dispose d’une force de frappe. Cette incertitude constitue l’une des principales forces du régime nord-coréen, mais plutôt que d’en accepter les règles, John Kerry propose cette fois de minimiser le risque de voir la Corée du Nord se lancer à l’attaque, au simple prétexte que ses capacités ne le lui permettraient pas.

Ce changement d’attitude dans la perception de la menace nord-coréenne sonne potentiellement comme un véritable pour Pyongyang, qui a construit toute sa stratégie du fou autour de la crainte que soulève l’existence supposée de ses capacités nucléaires. Il va être désormais intéressant de suivre l’adaptation du régime nord-coréen à cette nouvelle donne.

L’endigagement en direction de Pékin : le vrai succès

De l’avis de John Kerry lui-même, le plus grand succès de sa tournée fut l’engagement pris avec Pékin d’œuvrer de concert pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne. La rencontre avec son homologue Yang Jechi puis celle avec Xi Jinping furent ainsi l’occasion de voir Pékin et Washington s’accorder sur des objectifs communs : éviter coûte que coûte une escalade militaire dans la péninsule coréenne. John Kerry sait que la donne a changé en Asie du Nord-est, et que la participation de la Chine est désormais indispensable. L’initiative associée des deux pays précédant l’adoption de nouvelles sanctions frappant l’élite dirigeante nord-coréenne début mars fut le déclencheur de la crise, mais aussi le signe que les Etats-Unis et la Chine peuvent travailler main dans la main sur ce dossier. Pas certain que cette coopération ouvre une nouvelle ère dans la relation complexe entre les deux pays, mais John Kerry est un habitué des rouages de la politique étrangère, et il sait que les rivaux d’un jour peuvent être les complices du lendemain, sur des dossiers différents. Cette approche en direction de Pékin illustre en tout cas le volet partenariat de la stratégie d’endigagement de Washington à l’égard de la Chine.

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