Is Anyone Pivoting to this Continent?
Proposition: Latin America is the world’s most astrategic continent
Alejandro Garcia Magos is an economist and a GB Geo-Blogger (in favour): Yes. For all of the vast natural and human resources of the region, Latin America has little strategic importance on the global stage. This is fundamentally because the continent has failed to achieve significant political unity, which means that its capacity to impact global affairs and act as a reliable partner remains limited.
Currently, Latin America is divided into two sub-regions that are premissed on competing political narratives or schools of thought. The first one – let us call it ‘Pan-American,’ contends that this century will witness the removal of the physical and cultural barriers between the US and the region. Governments that support this narrative like to emphasize less their ‘Latinness’ than their ‘Americanness,’ and tend to explain or justify their close links with the US on the argument that it is natural for democracies to work together. The primary representatives of this school are the members of the Pacific Alliance: Mexico, Colombia, Chile and Peru. For these countries, the Organization of American States (OAS) should continue to be the main meeting point for North-South dialogue in the hemisphere.
The second narrative in Latin America can be called ‘South Atlantic’ – for lack of a better expression. This narrative is inward-looking, and contends that Latin America is capable of transforming itself into a major strategic global actor. It holds that the region is self-sufficient in terms of resources, and considers the US a direct rival with antagonistic interests. Governments of this school coalesce around Mercosur and the more feisty Bolivarian Alliance (ALBA). They favour closer ties among themselves and with emerging powers outside of the region. China is here the preferred partner: witness the fact that in 2009 China became Brazil’s largest trading partner, and Argentina’s second.
In sum, there is a major rift in the region. It does not look as if it is going to close any time soon. In fact, the divergent interests of regional countries will likely push them further and further apart into their preferred sub-regional organizations. If this is the case, Latin America will surely remain the least strategic continent for years to come.
Victor Armony est professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et co-directeur du nouvellement créé Réseau d’études latino-américaines de Montréal (RELAM) (contre): Non, parce que l’Amérique latine se trouve aujourd’hui dans un contexte unique qui permettra aux pays de la région de réaliser, enfin, leur véritable potentiel. Malgré les multiples difficultés et les grands défis auxquels les Latino-Américains font encore face, une profonde mutation s’est produite depuis les dernières 20 années – un tournant qui permet déjà d’envisager la place significative que cette région occupera dans le monde. En effet, une Amérique latine à la hauteur de ses pleines capacités sera un continent stratégiquement clé durant les prochaines décennies, et cela pour trois raisons principales. D’abord, sur le plan économique, l’Amérique latine a réalisé des gains très importants, et cela sur des bases solides qui, même devant les circonstances moins favorables d’aujourd’hui, augurent une reprise éventuelle de la croissance. Bien évidemment, tout n’est pas rose (et le portrait varie d’un pays à l’autre), mais la qualité de la gestion macroéconomique a généralement connu un saut qualitatif, ce qui s’est avéré par la manière dont la plupart des pays latino-américains ont traversé la crise globale sans trop de bouleversements. Il n’y a qu’à se rappeler des violents soubresauts du passé pour mesurer le degré de robustesse que ces économies ont atteint durant les années 2000. Certes, ce progrès est à relativiser, car le présent semble meilleur quand on le compare avec la longue litanie de ratés qui l’a précédé. Mais il serait absurde de nier que l’amélioration, jaugée sur une échelle historique, a été formidable.
On le sait, l’Amérique latine a toujours été un lieu d’inégalités extrêmes, ainsi que de puissants projets de justice sociale. Rappelons-nous, donc, que l’élan économique des derniers temps a été étroitement associé au soi-disant «virage à gauche». Au-delà des couleurs et nuances politiques, il est certain que les processus mis en branle depuis le début de ce siècle ont eu des effets colossaux sur la distribution de la richesse: plus de 50 millions de Latino-Américains ont rejoint les rangs de la classe moyenne. Ce phénomène n’est pas qu’économique, car il constitue un pas de géant vers la consolidation de sociétés plus stables, cohésives et politiquement centristes. Voilà donc la deuxième raison qui doit nous amener à valoriser le statut stratégique de la région: l’Amérique latine se développe maintenant au son de la démocratie, se démarquant ainsi d’autres cycles historiques et d’autres dynamiques géopolitiques ailleurs dans le monde actuel. Finalement, la troisième grande raison d’être optimiste quant à l’avenir de l’Amérique latine est liée à sa fortune quant aux richesses naturelles, à la fois comme réservoir de matières premières et comme écosystème. Le continent représente, à plusieurs égards, une superpuissance de la biodiversité et des ressources environnementales (dont l’eau potable). Avouons que l’on ne peut exagérer l’importance cruciale de cet enjeu aux ramifications planétaires.
AGM: Economic stability, democratic rule, and natural resources are neither exclusive to Latin America nor is the region particularly exceptional in any of these areas. And even if that were the case, a question would still need to be addressed: what are the leaders of the region prepared to do about it? Or, to put it more clearly, what notion of international order are Latin Americans prepared to support with their capacity and resources? If you want to have strategic importance in the world, you need to let others know what you stand for. Latin America is mute in this respect. The problem here is that, as of today, the region’s leaders have not agreed on a common agenda. A modicum of stability and natural richness is not a substitute for foreign policy and strategy. You still need the will and the skill to transform these assets into political currency. Instead, what we observe today in the region is something very different: commodity-based economies that fuel a competition of narratives and are largely undertaking efforts that neutralize each other. Witness, for instance, the arms race in the Andean region in the late 2000s – one that cost billions of petrodollars.
You mention Latin America’s left turn as a source of economic élan and, in the next breath, the political nuances around this left turn. This is problematic. It has been pointed out elsewhere that the purported left turn blurs the distinction between two strains of leftist politics that have little in common. On the one hand, there is a reformed left such as the one in Brazil, Chile and Uruguay, which has accentuated increased social spending within market and democratic parameters. On the other hand, there is the left represented by Venezuela, Bolivia and Ecuador, which has used social spending primarily as a means to stay in power at the expense of basic democratic principles. These are not meaningless nuances. On the contrary, they are at the core of why the leaders of the region are incapable of putting together a unified programme. Let me be extra clear on this: I am not laying the blame on a lack of political will by regional leaders. Rather, I am suggesting that there are important geopolitical considerations that prevent them from working together toward common objectives. And the division in the left is but one example of the significant political nuances that divide the region and prevent it from becoming truly strategic. There are – to be sure – other critical differences, such as ones shaped by the level of closeness with the US.
VA: Je crois qu’il ne faut pas tomber dans le piège du volontarisme, surtout lorsqu’il est question de l’Amérique latine comme un tout. Au-delà de l’imaginaire de l’unité latino-américaine, il n’existe pas de fil conducteur qui pourrait relier l’ensemble des pays de la région sous l’égide d’un projet commun. Bien sûr, on peut souhaiter l’articulation d’alliances diplomatiques et commerciales, voire la mise en place éventuelle de structures supranationales ou le renforcement de certaines initiatives comme le Parlement du Mercosur ou l’UNASUR (l’Union des nations sud-américaines). Mais il ne faut pas se faire d’illusions quant à la formulation d’un plan d’action concerté à portée géopolitique. Cela n’est jamais arrivé et je ne pense pas que cela se produise dans les prochaines années. Cette dose de réalisme – qui nous empêche de miser sur une quelconque «volonté des leaders» – ne doit pas pour autant nous rendre pessimistes. L’Amérique latine est, aujourd’hui, un lieu d’effervescence politique et économique, le tout encadré par l’expérience démocratique et la recherche de modèles de développement plus justes et plus durables. Je ne me cache pas les défis de la croissance – ainsi que les graves déficits démocratiques – que l’on observe avec inquiétude dans certains pays de la région (dont le Venezuela, bien évidemment). Cependant, la majorité des nations latino-américaines sont bien ancrées dans un processus de stabilisation politique (avec, par exemple, l’alternance gouvernementale et la cohabitation de partis dans les institutions représentatives) et de consolidation de leur culture civique. Pensons au Brésil ou au Pérou, pour ne pas parler du Chili et de l’Uruguay. Est-ce que la gauche au pouvoir en Bolivie, en Équateur et au Venezuela contredit la tendance lourde que je viens de décrire? Je penche plutôt vers une lecture structurelle, moins centrée sur les conjonctures et les cycles idéologiques que sur les profondes mutations sociales, politiques et culturelles en cours: montée des classes moyennes, amélioration significative de la condition des femmes, reconnaissance du pluralisme et de la diversité (de modes de vie, d’ethnicité, etc.), expansion des politiques redistributives (dont les transferts conditionnels en espèces), expérimentation démocratique, pour ne nommer que ces quelques réalités. Bref, la plupart des Latino-Américains traversent actuellement une véritable «révolution tranquille» aux accents profondément civiques. Les ingrédients du succès sont donc là: une citoyenneté en progression, des économies en expansion, des ressources naturelles et des avantages environnementaux en profusion. Les conditions sont exceptionnelles et, sans attendre les politiciens et leurs agendas, le décollage de l’Amérique latine a déjà commencé.
AGM: So maybe our disagreement is less fundamental than what it originally seemed to be. In fact, it looks like it boils down to the choice of measuring sticks: you focus on the social development of a region as the basis for its strategic importance, whereas I focus on the capacity of its leaders to find areas of cooperation and to act upon them. If I push myself to adopt your perspective, then I would agree that Latin America’s development over the last 20 years gives it a strategic edge over other geographical areas or theatres of the developing world – particularly in terms of attracting foreign investment and strengthening its internal market. I would like to add, however, a note of caution: social development can lead to political and economic demands that may overload state capacity. In the case of Latin America, there is plenty of evidence to suggest that the states in the region are not able to keep up with ever-demanding and attentive societies, and that this is bringing negative consequences. Consider, for instance, the high levels of dissatisfaction with democratic rule across the region as one incompetent government after another is elected. Is it possible to say that Latin American leaders are victims of their own initial successes? Probably. But they are also victims of their incapacity to envisage and enact policies that can build upon these initial accomplishments. The current state of the economy is a case in point: the commodity boom that started in the early 2000s and fuelled the growth of the region for more than 10 years did not give way to higher levels of productivity or better infrastructure in the region. Now that the boom is over, Latin America’s perspectives look grim again: the current economic growth forecast for this year sits at a meagre 1.3 percent. Last but not least, social development also puts stress on the environment as increased consumption leads to intensive use of natural resources. In sum, social development might well be a necessary condition for a region to achieve strategic status, but it is not a sufficient one. Political leadership is still necessary to channel it into partnerships and policy.
VA: En effet, nous ne sommes pas totalement en désaccord. Je suis bien conscient de l’importance des obstacles sur la route du décollage latino-américain, dont le manque d’une vision commune pourrait être un aspect à ne pas négliger. Cependant, je pense que les conditions sont bien en place pour que l’Amérique latine devienne un joueur majeur sur la scène internationale, bien qu’il me semble que le leadership – s’il faut accepter cette idée qui, comme je l’ai mentionné, accorde à mon goût trop de poids au volontarisme des chefs et des élites dans l’histoire – se trouve plutôt dans le rôle de certains pays en particulier. La montée du Brésil comme géant économique et géopolitique structurera la région (du moins le cône Sud, possiblement toute l’Amérique du Sud) et, en ce sens, comme son leader de facto. Le Mexique, quant à lui, est aussi appelé à montrer le chemin, quoique sa situation actuelle soit moins prometteuse que celle de la puissance lusophone.
Ceci dit, j’admets que le paradoxe (social-)démocratique représente un problème supplémentaire – une sorte de mécanisme d’autodestruction qui consiste à toujours élargir la brèche entre les aspirations suscitées par un système de plus en plus inclusif et sa capacité de réponse effective à l’amplification exponentielle des attentes, générant ainsi davantage un sentiment de frustration que de satisfaction chez les citoyens. Cette dynamique nous force à distinguer les acquis (ce que l’on a grâce aux progrès de la démocratisation) des déficits à combler (ce que les gens s’attendent à avoir dans le cadre de la démocratisation grandissante de leur société). Prenons pour exemple la question de la corruption. Cet enjeu est en soi grave, mais il s’inscrit dans une problématique plus vaste: celle de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les Latino-Américains ont besoin de savoir que les coupables seront châtiés, alors que malheureusement ce n’est pas souvent le cas. La distribution de la justice (au sens premier du terme) doit être équitable, si l’on veut que les gens «ordinaires» fassent confiance aux juges et aux tribunaux.
Dans des pays comme l’Argentine, on vit actuellement un double processus: celui du renforcement de l’indépendance judiciaire (et sa dépolitisation) vis-à-vis du pouvoir exécutif, ainsi que celui qui vise à contrecarrer sciemment une telle autonomie (afin d’assurer l’impunité des corrompus). La présidente Kirchner fait face à de sérieuses accusations de malfaisance (notamment son enrichissement illicite) et de trafic d’influences autour du procès d’enquête sur l’attentant terroriste contre la communauté juive commis à Buenos Aires en 1994. La récente mort mystérieuse du procureur chargé de l’inculpation de la présidente pour complot a ajouté une autre couche d’incertitude pour les Argentins. Leur suspicion et leur scepticisme à l’égard des institutions de la République viennent d’atteindre des niveaux inédits. Évidemment, ces événements fragilisent la confiance publique et peuvent miner les assises de l’État de droit. Mais il est également légitime d’y voir un contexte dans lequel la volonté présidentielle se heurte enfin à des limites. Le dégout manifeste de la population envers les magouilles du gouvernement et l’admiration ressentie devant le courage de certains magistrats et fonctionnaires (dont le procureur décédé) reflètent un nouveau standard de probité que l’on attend des dirigeants et des serviteurs publics. Il s’agit, d’après moi, d’un signe du jaillissement d’un nouvel esprit civique en Amérique latine.
Alejandro Garcia Magos is an economist and a GB Geo-Blogger.
Victor Armony est professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et co-directeur du nouvellement créé Réseau d’études latino-américaines de Montréal (RELAM).