Le Kazakhstan et le Nobel de la Paix
Le 8 octobre, le Comité Nobel de la Paix a fait savoir sa décision de remettre l’un des prix les plus prestigieux de la planète à l’activiste chinois des droits de l’homme Liu Xiaobo, qui s’était illustré pour la première fois lors des manifestations estudiantines, place Tiananmen, en 1989. Malgré le fait que, bien avant l’attribution de ce prix à celui qui est considéré à Pékin comme le principal détracteur du régime communiste en place, le Ministère chinois des affaires étrangères ait manifesté à plusieurs reprises son profond mécontentement vis-à-vis de la nomination de Liu Xiaobo, les administrateurs du prix légué par son fondateur Alfred Nobel à l’humanité toute entière ne se sont pas ravisés.
On a droit à acclamer la décision prise à Oslo de reconnaître l’activisme civique dans la Chine contemporaine, mais en parcourant des flashes récents servant à raconter l’histoire triste de Liu, certains se rappelleront le discours du président américain Barack Obama il y a un an pour une récompense similaire. La différence majeure entre ces deux candidats victorieux n’est pas tellement dans leur statut social ou dans le fait que le premier est toujours séquestré et isolé de ses disciples, tandis que le second fait son apparition télévisée presque chaque jour. Les États-Unis de 2009, dont l’héritage politique s’était écroulé sur les épaules d’Obama d’un poids lourd et éprouvant, étaient au milieu de deux guerres décimant les populations civiles des pays envahis et occupés par les forces américaines ou alliées. Ceci dit, la signification du Prix Nobel de la Paix est désormais controversée et discutable.
Quoi qu’il en soit, les chefs d’état et de gouvernement continueront à figurer parmi les nominations au Nobel de la Paix dans les années à venir, car leurs activités, quelque équivoques qu’elles puissent paraître, se déroulent au vu et au su du monde entier et produisent davantage de résonance que la lutte quotidienne des particuliers pour leurs droits et libertés dans des pays non-démocratiques.
Il est intéressant de noter qu’au nombre de détenteurs du plus haut niveau de pouvoir qui n’ont jamais fait l’objet de mises sérieuses de bookmakers, se trouve un président dont la candidature avait été proposée au moins trois fois à la nomination au Nobel de la Paix. C’est le président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, en fonction depuis 1991. Son pays préside actuellement l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et bientôt l’Organisation de la conférence islamique en 2011 également. Quoique M. Nazarbaïev n’ait pas été sur la liste cette année, l’Assemblée internationale des pays turcs se propose d’inviter plusieurs représentants des parlements nationaux à soutenir sa candidature pour l’année prochaine. Il ne reste qu’à attendre une nouvelle décision du Comité Nobel, dont la publication officielle sera certainement précédée par une série de pronostics plus ou moins optimistes et crédibles. En même temps, on peut se demander quels sont les acquis personnels de Noursoultan Nazarbaïev en matière de paix, justifiant son passage à l’Hôtel de ville d’Oslo pour recevoir le Prix des mains du Président du Comité Nobel en présence de maintes personnalités de renommée internationale.
En 2009, l’organisation sociale «Les Enfants du Kazakhstan», fondée par les Tchétchènes déportés en Asie centrale pendant la Seconde Guerre mondiale et aidant leurs enfants et petits-enfants dans leur séjour sur la terre kazakhe, a fait part de sa volonté de nominer le président Nazarbaïev pour le Nobel de la Paix. Il est incontestable que la politique de paix et de réconciliation intérieure inspirée par M. Nazarbaïev a permis d’obvier à une crise identitaire ayant, par exemple, conduit le système kirghiz de gouvernement national à l’état de délabrement. Les événements de juin 2010, lorsque des milliers d’Ouzbeks ethniques furent massacrés dans les provinces du sud d’Och et de Jalalabad du Kirghizstan, démontrent avec toute une clarté les dangers inhérents aux états multiethniques, dont le Kazakhstan est un exemple sans égal. En même temps, il est bien difficile d’affirmer, comme le font «Les Enfants du Kazakhstan», que Noursoultan Nazarbaïev devrait accepter le Prix Nobel de la Paix pour les bienfaits qu’il n’avait pas lui-même prodigués, à l’époque stalinienne caractérisée par des déportations en masse et des histoires tragiques de survie au milieu de la terre d’autrui.
Un an avant, deux membres du Congrès américain, Darrell Issa et Charles Melancon, proposèrent de faire la nomination du président du Kazakhstan, ainsi que du sénateur républicain Richard Lugar et de l’ancien sénateur démocrate, Sam Nunn, au Nobel de la Paix pour cause de leur engagement pour la non-prolifération. En 1991, Noursoultan Nazarbaïev sanctionna la fermeture du site d’essais nucléaires à Semipalatinsk, à l’est du Kazakhstan, où la première bombe atomique d’origine soviétique avait explosé 42 ans auparavant. En 1994, avec l’aide des Américains, son gouvernement fit exporter des steppes kazakhes plus de 580 kilogrammes d’uranium hautement enrichi en direction des États-Unis, en prévenant par cette mesure l’utilisation d’une telle quantité de substance radioactive aux fins autres qu’industrielles. Néanmoins, il est également vrai que la Biélorussie et l’Ukraine, deux autres pays de l’ex-URSS, disposant au moment de son éclatement de considérables réserves d’uranium sous forme naturelle ou comme partie de missiles balistiques, ont contribué autant que l’a fait le Kazakhstan au démantèlement des armes nucléaires restées à l’abandon et sans protection réelle. Ceci étant dit, leurs leaders d’antan méritent une récompense égale à celle qu’aurait pu se voir attribuer le président kazakh.
Finalement, c’est l’Assemblée du peuple du Kazakhstan qui initia le processus de nomination de Noursoultan Nazarbaïev au Prix Nobel de la Paix, pour ses efforts pacificateurs aux niveaux national et régional et sa politique modérée envers des minorités ethniques et linguistiques vivant en bonne intelligence avec l’ethnie titulaire. Pourtant, le président du Kazakhstan n’a jamais été sérieusement considéré en tant que candidat au prix qui, selon certains, tarde à venir.
Il est vrai que les chefs d’état et de gouvernement savent se mettre en valeur plus visiblement que les autres, mais il est aussi indéniable que le travail de ces bénévoles invisibles et inconnus du grand public international est parfois plus précieux et plus prometteur que les efforts gigantesques très fréquemment controversés et non sans contradiction avec les valeurs humaines de base, notamment la liberté, l’égalité et la fraternité.
Georgiy Voloshin est le reporter de terrain du Central Asia-Caucasus Analyst, le journal bihebdomadaire du Central Asia-Caucasus Institute & Silk Road Studies Programme Joint Center.