La Syrie: une tragédie révélatrice
Alors que la révolte syrienne a débuté le 15 mars 2011 – soit deux mois après la chute de Ben Ali, un mois après celle de Moubarak – 16 mois et 16 000 morts plus tard, le régime alaouite de Bachar el Assad est toujours là, même s’il doit se battre de plus en plus férocement pour sa survie, au risque de provoquer une vraie guerre civile et de déstabiliser ses voisins.
Que nous apprend sur notre monde cette résilience d’un régime aussi cruellement répressif ?
D’abord, que ce que l’on appelé au début de façon aimable et champêtre, le « printemps arabe » prend, d’un pays à l’autre, des formes très contrastées, prometteuses ou tragiques, du statu quo à des guerres civiles, en passant par des évolutions et des révolutions. Et que personne ne sait comment vont évoluer, dans la longue durée, les pouvoirs et les mouvements islamistes. Il faudra beaucoup plus de recul pour en juger.
Ensuite que le cas libyen était tout à fait particulier, et pas un précédent. Qu’on en juge : les dirigeants arabes n’étaient en fait pas mécontents d’être débarrassés de Kadhafi et le désordre ultérieur en Libye ne les inquiétait pas spécialement, alors que concernant la Syrie, les dirigeants arabes, comme les minorités à l’intérieur du pays appréhendent la suite. Nous avons vu aussi que les pays arabes les plus engagés – Qatar, EAU – avaient pu entrainer les autres à propos de la Libye, ce qui n’est pas vraiment le cas sur la Syrie, même si l’Arabie est devenue anti-Assad. La faiblesse et la division de l’opposition n’ont pas été un problème en Libye, alors qu’elle l’est en Syrie. Dans un cas, l’appel de la Ligue arabe a pu être assez fort pour paralyser un moment la Russie et la Chine et permettre à la France et à la Grande-Bretagne de faire voter une résolution au Conseil de sécurité, au titre du Chapitre VII, ce qui ouvrait la voie à une intervention. Dans le cas syrien, la Russie et la Chine ne sont pas prêtes à s’abstenir une seconde fois au Conseil de sécurité, cela montre que même le principe de « responsabilité de protéger », beaucoup plus légitime que le droit d’ingérence discrédité, auquel il a été substitué par un vote de l’Assemblée générale de l’ONU en 2005, se heurte à son tour à un blocage de principe de la part des non occidentaux, en particulier des BRICS.
Cela confirme aussi que les occidentaux ne peuvent plus continuer à prétendre parler au nom de la « communauté internationale » toute entière, ce qui était évident depuis longtemps, mais qu’ils avaient du mal à admettre, car cela les humilie et les inquiète. Au-delà du cas syrien, ils devront en tirer les leçons sur leur stratégie à long terme vis-à-vis des émergents, et sur la nécessité de se coordonner entre eux.
C’est donc une leçon d’impuissance internationale que nous inflige l’affaire syrienne. Impuissance occidentale, israélienne (Israël est inquiet) et même turque. C’est très loin de l’idée que les occidentaux se font de leur rôle, ou de la croyance dans une « communauté internationale » inspirée par eux. C’est pour eux une douche froide.
Cependant l’impuissance n’est pas générale. La Russie a démontré ici dans l’affaire syrienne sa capacité résiduelle de blocage du Conseil de sécurité. Sûr de leur bon droit (a fortiori devant une répression aussi abominable et la quasi absence de résultat de la médiation de Kofi Annan, qui fait pourtant de son mieux) les occidentaux sont alors confrontés à un choix douloureux : Soit intervenir unilatéralement comme Bush en Irak (ou Israël au Liban ou dans les territoires palestiniens) sans résolution du Conseil de sécurité, ce a quoi ne songent ni Obama ni les Européens. Qui pourrait d’ailleurs concevoir une solution purement militaire au drame syrien ?
Soit se résigner à continuer à multiplier proclamations, annonces de sanctions de plus en plus fermes, mais sans effet assuré, encouragements et incitations à l’opposition. Le risque est que cela s’éternise… sauf si les occidentaux arrivent à convaincre Poutine qu’il aurait tout à gagner à parrainer une sortie de crise et un processus de transition, après avoir obtenu des garanties pour ses intérêts (Tartous, vente d’armes, influence). Cela permettrait à la Russie, pour la première fois depuis 1992, de jouer un rôle positif dans une crise de premier plan. Cela intéresse-t-il Poutine plutôt soutenu dans son intransigeance par son opinion qui craint d’abord une contagion islamiste ?
Les occidentaux ont tenté d’avancer dans cette voie progressive en acceptant à Genève, le 30 juin, un compromis sur un gouvernement de transition, sans plus faire du départ d’El Assad un préalable, et en incitant l’opposition à s’unir. Du coup, pour la première fois, les cinq membres permanents se sont mis d’accord sur un texte, et ce n’est pas négligeable. Mais ce progrès est ténu et fragile. Si la Russie persiste dans son blocage les occidentaux devraient alors, sur d’autres terrains, accroître pour Moscou le prix politique à payer pour cette attitude. Mais en ont-ils les moyens ?