La Chine, terre d’idées reçues
La montée en puissance de la Chine s’accompagne d’une multitude d’idées reçues à l’encontre de ce pays gigantesque, le plus peuplé de la planète, et à la culture plurimillénaire. On remarque cependant que les idées reçues sur la Chine, si elles se sont considérablement accentuées au cours des années récentes, ne sont pas nouvelles. Il suffit de lire les récits des voyageurs qui, de Marco Polo à Pierre Loti, traversèrent ce pays et en ramenèrent des perceptions aussi divergentes qu’enflammées, et qui développèrent un imaginaire qui dans certains cas se maintint pendant des siècles. Le voyageur vénitien a laissé derrière lui un Livre des merveilles dont le titre est révélateur de l’impression que lui laissa l’empire de Kubilai Khan dans lequel il séjourna près de deux décennies, et le militaire/écrivain français a lui au contraire fait état, en 1900 (quelques semaines après la révolte des Boxers), d’une civilisation décadente et au bord de la rupture, perception d’ailleurs souvent partagée par ses contemporains et confirmée par les évènements, une décennie avant la chute de la dynastie Qing.
La Chine fut ainsi en certains cas célébrée comme une civilisation florissante et très nettement en avance sur les autres, et en d’autres circonstances pointée du doigt comme un empire barbare et dépassé, le tout agrémenté de récits déformants et déformés selon l’image que les voyageurs souhaitaient donner de l’empire du milieu.
Les marasmes dans lesquels la Chine fut plongée au XXème siècle ne firent qu’amplifier les différences de perception et les idées reçues, les associant souvent étroitement à des prises de position politiques ou idéologiques. Dans l’entre-deux guerres, André Malraux s’attaqua par exemple à la Chine nationaliste dans La condition humaine, et imagina la fascination d’un jeune chinois à l’égard du monde occidental dans La tentation de l’Occident. Des perceptions magnifiques, mais qui sont d’avantage fondées sur les positionnements politiques et idéologiques de l’auteur à cette époque que sur les réalités de la Chine pendant les années de guerre civile.
La révolution communiste et les orientations idéologiques du Maoïsme ne firent que confirmer cette tendance à une perception très excessive et parti-pris de la Chine. La Révolution culturelle (1966-1976) fut ainsi encensée quasi unanimement par les sinologues occidentaux, à l’exception notable de Simon Leys, qui publia son retentissant Les habits neufs du président Mao, pamphlet à l’époque presque solitaire et pourtant si éclairé sur la Chine du Grand timonier. Notons ici que les louanges à l’égard de la Chine plongée dans sa révolution culturelle – dont il est pourtant aujourd’hui avéré qu’il s’agit d’une des pages les plus sombres de son histoire récente – n’étaient pas alors intimement liées à des positionnements idéologiques, mais résultaient véritablement d’idées reçues sur ce pays, sa population et sa culture plurimillénaire étant alors présentés comme les principaux gages de sa force. Le célèbre Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera d’Alain Peyrefitte est ainsi un étonnant exercice de contemplation de la Chine de Mao (avec des passages étonnants sur l’absence de pauvreté et le système de protection sociale) par un gaulliste qu’on ne saurait soupçonner d’une quelconque attirance pour le maoïsme, mais qui fut visiblement bien reçu lors de son séjour, et dressa un tableau presque surréaliste d’un pays pourtant à l’agonie. Les descriptions sur une civilisation et une société totalement différente de l’Occident, et presque en opposition à celui-ci, entretenaient le mystère sur un pays immense et refermé sur lui-même. Pour tous, la Chine restait un pays mal connu, et laissant ainsi la porte ouverte à toutes les interprétations et idées reçues.
Les secrets de la Chine sont aujourd’hui en partie percés, et ce pays désormais ouvert sur le monde est mieux connu de l’extérieur. Mais on note encore des divergences parfois très importantes dans la manière dont la Chine est perçue, y-compris (et surtout) chez ceux qui la suivent de près. Selon l’appellation en vigueur dans le monde anglo-saxon, on distingue ainsi les « China Watchers » qui suivent d’un œil méfiant et inquiet la montée en puissance de la Chine, et les « Panda Kissers » que son émergence émerveille de manière parfois béate. Cette distinction quelque peu manichéenne – après tout, on peut très bien être admiratif des progrès de la Chine contemporaine tout en montrant quelques signes d’inquiétude – est cependant révélatrice des perceptions de la Chine, qui sont souvent excessives et presque parti-pris, et s’appuient sur de multiples idées reçues dans leur argumentaire. La Chine ne laisserait ainsi personne indifférent, et stimulerait au contraire tous les excès.
On remarque enfin que les idées reçues sur la Chine varient très sensiblement selon leur origine. On distingue ainsi de manière très nette la manière dont ce pays est perçu dans le monde occidental et dans les régions en développement. De l’Asie du sud-est à l’Amérique latine, en passant par le Moyen-Orient et l’Afrique, la montée en puissance de la Chine n’est pas nécessairement considérée comme une menace, et de multiples sondages indiquent que la Chine est souvent mieux perçue dans les pays en développement que des pays occidentaux qui parviennent difficilement à se dépêtre d’une image néocoloniale qui leur fait défaut. Dans ces régions, les idées reçues sur la Chine et son émergence en tant qu’acteur majeur des relations internationales seraient dès lors plus positives. Dis-moi d’où tu viens, et je te dirai ce que tu penses de la Chine…
Douze idées reçues sur la Chine, certaines ancrées dans son histoire et son rapport aux autres cultures, d’autres directement liées à son ascension spectaculaire au cours des trois dernières décennies, ont été retenues pour illustrer un chapitre consacré à ce pays dans le cadre d’un ouvrage collectif pluridisciplinaire intitulé Anti-manuel des idées reçues, qui sortira prochainement aux éditions Septentrion.
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