La Chine est-elle arrogante?
Six ans après avoir signé chez le même éditeur le remarqué Quand la Chine change le monde, Erik Izraëlewicz revient avec un nouvel essai consacré à la montée en puissance de la Chine. Le sujet abordé cette fois est celui de l’arrogance chinoise, un angle particulièrement intéressant pour analyser l’attitude des dirigeants chinois sur la scène internationale, et par extension le sentiment de fierté nationale grandissant dans ce pays, avec une attitude de plus en plus décomplexée. L’auteur part ainsi du constat que la Chine, désormais sûre de sa puissance économique (elle est au deuxième rang mondial) et de son rôle central dans l’économie internationale (conforté par la gestion remarquable de la crise économique), peut imposer ses vues à ceux qui souhaitent travailler avec elle. Cette arrogance dans le ton se double d’un non-respect quasi systématique des règles internationales en matière de protection de la propriété intellectuelle ou de transferts de technologie, et d’un « illibéralisme », terme utilisé ici pour qualifier le modèle de développement chinois, qui parvient à séduire les pays en développement et fait de l’Etat l’acteur central de l’économie de marché. De multiples exemples, anecdotes et chiffres viennent illustrer les stratagèmes qui sont aujourd’hui ceux de la Chine, et symbolisent les immenses progrès que ce pays a réalisé mais aussi ses ambitions, confirmant en cela les pistes avancées dans Quand la Chine change le monde. Décortiquant les déboires de Danone ou d’Alstom, mais aussi de Google et du magnat de l’information Ruppert Murdoch, l’auteur livre ainsi les confessions étonnantes d’hommes d’affaires pourtant rompus à la mondialisation, et qui se heurtent à des négociateurs chinois impitoyables. Erik Izraëlewicz relaie ainsi la question que semblent se poser de nombreux investisseurs dépités : faut-il quitter ce marché devenu véritable chasse gardée des entreprises chinoises ? Car si la Chine est bien, avec ses 1,3 milliard d’habitants, le marché le plus important de la planète, et un marché florissant si on tient compte de l’augmentation constante des revenus et l’émergence d’une classe moyenne, ce marché semble réservé presque exclusivement aux productions nationales, et le gigantesque plan de relance de la croissance pour faire face à la crise économique internationale ne fait qu’amplifier ce phénomène.
On peut cependant regretter que, plus que d’aborder véritablement la question de savoir si la Chine est arrogante, cet ouvrage se contente parfois de dresser le constat de l’exceptionnelle puissance chinoise, du nationalisme économique et de l’agressivité qui la caractérise. Agressivité ne signifiant pas forcément arrogance, et cette dernière ne pouvant par ailleurs se limiter aux questions économiques et commerciales, ce texte ne tient finalement pas entièrement ses promesses, et offre parfois un certain décalage avec le titre, malgré la qualité du contenu et la pertinence des analyses. Il aurait ainsi été nécessaire, sur un sujet comme celui-ci, de voir dans quelle mesure l’attitude chinoise est-elle, ou non, différente de celle des autres grandes puissances. Or, il ressort de la lecture de ce livre qu’il n’en est finalement rien. En plusieurs occasions, Erik Izraëlewicz semble même – et on ne peut d’ailleurs entièrement lui reprocher – donner raison à l’attitude chinoise qui serait une sorte de réponse à l’arrogance des puissances occidentales croyant, en la faisant entrer dans l’OMC il y a dix ans, pouvoir « dompter la bête », et se sentent aujourd’hui dupées. Il aurait également été intéressant de porter un regard sur les perceptions que les Chinois ont du reste du monde, piste qui n’est qu’abordée de manière très succincte. Il aurait enfin été utile de voir dans quelle mesure cette arrogance chinoise s’inscrit, ou non, dans la ligne de la stratégie de soft power, et serait ainsi la réaction de l’empire du milieu quand celle-ci ne fonctionne pas comme prévu. Ces réflexions n’enlèvent rien à la qualité de l’analyse, mais auraient permis de la mettre en perspective.
Reste que la question de l’arrogance chinoise est posée, et qu’elle risque fort de devenir un véritable sujet d’étude pour les prochaines années, tant sur les questions économiques, politiques ou sociologiques. Le consensus de Pékin, mentionné ici, sera-t-il ainsi le résultat d’un compromis, ou l’affirmation de la toute puissance chinoise ? Face à cette « bête », les autres grandes puissances auront-elles la force de s’unir et de trouver des parades, ou seront-elles à l’inverse contraintes d’accepter les conditions de Pékin ? Tant de questions que se pose ce livre, et qui ne manqueront pas de marquer les futurs travaux sur la Chine.
Erik Izraëlewicz, L’arrogance chinoise, Paris, Grasset, 2011, 254 pages.
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