Trente ans de relations entre peinture et politique en Chine
Au cours des trente dernières années, l’exceptionnelle croissance économique chinoise a généré de profondes mutations sociales et culturelles dans un pays à la culture plurimillénaire, mais qui resta dans l’ombre pendant plusieurs décennies. Au niveau social, l’émergence d’une classe moyenne et la multiplication du nombre de personnes fortunées (millionnaires et milliardaires) a créé une nouvelle catégorie de consommateurs. Au niveau culturel, le sentiment de fierté retrouvé et une émancipation très forte en comparaison avec la période de la Révolution culturelle permirent l’émergence de nombreux artistes. La rencontre de ces deux phénomènes a réveillé les innovations culturelles, picturales en particulier, enfouies pendant la période maoïste, faisant de la Chine un véritable laboratoire dans lequel la peinture est repensée, réinterprétée, et sert de véritable indicateur de l’état de la société chinoise. Ainsi, dès la mort de Mao Zedong, nous assistons à une véritable renaissance de l’art en Chine, qui se poursuit dans les années suivantes, et prend fin en marge des évènements de la place Tian Anmen en 1989, de nombreux artistes ayant soutenu les manifestations étudiantes. Mais 1989 est aussi l’année d’un « putsch esthétique » avec l’exposition « China/avant-garde » qui marque le début d’une nouvelle période, et une reconnaissance internationale qui ne tarde pas, notamment sous l’impulsion de riches acheteurs taiwanais ou hongkongais.
Les autorités chinoises ont rapidement pris la mesure de ce que pouvait leur apporter les arts. La stratégie d’expansion de la Chine ne se limite en effet plus aujourd’hui aux réformes économiques et au développement, mais incorpore la culture, comme élément central du soft power chinois, et véritable vecteur de sa capacité à rayonner. La peinture chinoise suivit ainsi la trajectoire politique de la Chine. Timidement éveillée dans les années 1980 mais mal contrôlée, elle adopte un profil bas des les années 1990, respectant les souhaits de Deng Xiaoping, avant d’incarner le renouveau du nationalisme chinois à partir du début du XXIème siècle, avec notamment une envolée des prix de l’art chinois. L’histoire culturelle de la Chine depuis trente ans, c’est ainsi l’histoire d’une reconnaissance qui ne s’est pas faite sans heurts, mais qui traduit le renouveau d’un pays qui prend désormais la mesure de son immense potentiel.
Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut Catholique de Paris et titulaire de la Chaire en Etudes chinoises contemporaines, est par ailleurs co-rédacteur en chef de la revue Monde chinois. Spécialiste reconnu de l’histoire culturelle chinoise contemporaine et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, il livre dans un ouvrage complet une analyse d’une rare précision sur la reconnaissance des artistes dans une Chine contemporaine qui prend la mesure de leur utilité. Cet ouvrage est également un guide précieux sur le marché de l’art contemporain en Chine, et permet de mesurer l’ampleur d’un phénomène encore trop mal connu dans les pays occidentaux. En s’interrogeant sur le rapport entre peinture et pouvoir, il pose la question des mutations sociales de la Chine au cours des trois dernières décennies, et de la modernité à la chinoise. Un angle original et inédit pour traiter de l’évolution de la Chine.
Emmanuel Lincot, Peinture et pouvoir en Chine (1979-2009) : une histoire culturelle, Paris, You Feng, 2010, 328 pages.
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