Les limites du soft power indien
Les Jeux du Commonweath de Dehli ont bien eu lieu, malgré les risques d’annulation de dernière minute. Mais malgré une organisation qui est parvenue à éviter le pire, le bilan est extrêmement négatif en termes d’image pour l’Inde, au point qu’on se demande si ces Jeux n’ont pas eu exactement l’effet inverse de ce qui était au départ espéré, et qu’il aurait finalement été préférable pour l’Inde qu’ils n’aient jamais eu lieu. Sans doute faudra-t-il du temps pour tourner la page de cet échec.
Au point de s’interroger : et si l’Inde ne devenait jamais une puissance mondiale ? Une telle question semble presque incongrue, à l’heure où toutes les prédictions tablent sur une montée en puissance progressive de ce qui sera bientôt le pays le plus peuplé de la planète. Comme si l’Inde devait inévitablement entrer dans le cercle restreint des grandes puissances. Comme si rien ne pouvait arrêter sa marche en avant, dont le principal indicateur actuel est son taux de croissance économique. Et comme si trouver des limites à cet inexorable scenario relèverait de l’erreur de jugement.
Cette question mériterait pourtant d’être posée. Après tout, combien de fois les observateurs se sont trompés dans leurs prédictions (je renvoie ici à un de mes articles précédents, sur la rivalité Chine-Inde). Et si nous étions capables d’anticiper avec précision de quoi l’avenir est fait, les relations internationales ne seraient plus une discipline associée au travail des historiens, mais à celui des astrologues ! Les certitudes (et les fantasmes) d’aujourd’hui ne sont pas forcément les réalités de demain. Ces dernières sont soumises à des évènements imprévisibles, mais aussi à des orientations politiques qui font dévier un cours des choses parfois trop précipitamment considéré comme « naturel ».
Dans le cas de l’Inde, les deux scénarios sont malheureusement possibles. Un environnement hostile, de multiples problèmes sécuritaires non résolus et une population trop importante pour être facilement contrôlable sont des risques à ne pas ignorer. Sans oublier les épidémies, catastrophes, et toute autre chose qui pourrait entraver la montée en puissance de l’Inde, qui n’est pas à l’abri d’un coup du sort. Mais c’est surtout au niveau de ses orientations politiques que New Delhi reste à la merci d’un ralentissement très net, voire brutal, de son ascension vers les sommets. D’où la nécessité de s’interroger sur les meilleures options possibles, notamment en regardant ce qui se fait ailleurs.
Dans leurs stratégies de montée en puissance, les pays les plus développés s’appuient désormais très fortement sur leurs capacités de soft power. Les Etats-Unis ont ouvert le bal, et les pays occidentaux ont tous suivi, bientôt accompagnés par le Japon. Plus récemment, c’est la Chine qui a officialisé, en 2007, une trajectoire dans laquelle elle s’est engagée depuis plusieurs années, et de façon très nette après 2002 et l’arrivée au pouvoir du tandem Hu Jintao – Wen Jiabao. Et les succès chinois sont spectaculaires. Au point de se demander s’il est désormais possible de se passer du soft power (et plus largement, s’il a jamais été possible de s’en passer, même avant que le politologue américain Joseph Nye n’en dessine les contours). Le triste destin de l’Union soviétique, anti-soft power par définition, confirmerait l’idée selon laquelle, plus que de miser sur les attributs traditionnels de la puissance, c’est du côté de la capacité d’influencer les autres acteurs qu’il faudrait chercher la bonne formule.
Dans ce contexte, l’Inde se montre forcément intéressée par le développement de son propre soft power, d’autant que le pays, plus grande démocratie au monde et culture plurimillénaire et plurielle, a sur le papier de beaux arguments. Mais en a-t-elle les moyens ? Il est en effet intéressant de constater qu’en matière de mise en avant du soft power, les réalités sont parfois, et même souvent, moins importantes que l’emballage. La Chine a compris que pour assurer sa place dans le concert des grandes puissances, il lui faut soigner son image, et ainsi séduire. Une stratégie qui s’avère payante en particulier en direction des pays du Sud, et la raison en est très simple : Pékin investit des sommes considérables en matière d’échanges, de promotion de sa culture et de sa diplomatie. Peu importe dès lors que la Chine soit encore une dictature, et que la question des doits de l’Homme, dont on pourrait à première vue penser qu’elle est un élément presque essentiel au soft power, lui fasse défaut. Or, dans le cas de l’Inde, c’est tout le contraire. De beaux arguments à défendre, en plus d’une culture quasi inégalable (à cet égard, Pékin et New Delhi jouent dans la même cour), mais une absence trop nette de moyens déployés pour faire rayonner ces capacités. Les Jeux du Commonwealth sont le triste exemple des efforts que l’Inde ne parvient pas à faire pour soigner son image.
Ainsi, si on pourrait s’interroger longuement sur les limites du soft power de façon générale, et du soft power indien en particulier, la première d’entre-elles concerne indiscutablement l’absence de moyens, et le manque d’engagement des pouvoirs publics. Comme si les dirigeants indiens considéraient qu’ils n’ont pas besoin de développer leur soft power, et que celui-ci s’imposera de lui-même. Come s’ils pensaient que l’Inde est un cas à part, qui n’a pas besoin de faire le moindre effort pour séduire le monde. D’une certaine manière, les certitudes et fantasmes que les pays occidentaux manifestent à l’égard de l’Inde sont le reflet des certitudes et fantasmes que l’Inde elle-même porte quand il s’agit de réfléchir sur sa montée en puissance. Et c’est sans doute le principal frein à son développement.
Après avoir torturé (mais ne dit-on pas « qui aime bien, châtie bien » ?) l’Inde et les difficultés que ce pays rencontre pour accéder au rang si convoité de puissance mondiale, je passe à un autre sujet, et les prochains articles seront consacrés à la Chine, et plus spécifiquement à l’Exposition universelle de Shanghai, qui se termine fin octobre.
Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
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