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L’espace sahélien – processus décisionnels et sociologie

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L’espace sahélien – processus décisionnels et sociologie

La crise sécuritaire multidimensionnelle que connaît l’espace sahélien – notamment à travers les deux foyers de violence qui touchent d’une part le Mali et d’autre part le Bassin du Lac Tchad, tout en affectant par leurs répercussions un nombre grandissant de pays (Niger, Burkina Faso, Nigeria, Tchad, potentiellement Etats côtiers du Golfe de Guinée) – a provoqué la mobilisation de nombreux acteurs bilatéraux et multilatéraux. Les organisations africaines – au premier rang desquels l’UA (Union africaine) et la CEDEAO (Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest) engagées dans la MISMA (Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine) mais aussi la CBLT (Commission du Bassin du Lac Tchad) qui a mis sur pied la FMM (Force multinationale mixte) pour lutter comme la secte islamiste Boko Haram et le G5/Sahel, nouvelle instance spécialement créée en 2014 pour faire face aux enjeux de sécurité et de développement de la zone sahélienne notamment via sa Force conjointe – ont joué un rôle de premier plan dans les interventions décidées. Les partenaires internationaux sont également devenus des acteurs majeurs au Sahel, par le biais des opérations déployées – à l’instar de l’Opération française Barkhane ou de la MINUSMA (Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) – ainsi que du soutien fourni – en particulier par l’UE (Union européenne) à la formation et à l’entraînement des forces de défense (avec la mission EUTM au Mali) et de sécurité (avec la mission EUCAP Sahel au Niger et au Mali) – mais aussi au travers de l’assistance apportée pour financer et équiper les forces africaines d’intervention.

Pourtant, l’efficacité opérationnelle de ces différents acteurs pour juguler la crise sahélienne tarde à se manifester de manière évidente, en dépit d’un certain nombre de succès obtenus au plan tactique. De manière pertinente et argumentée, de nombreux observateurs s’accordent pour considérer que le caractère aussi bien mitigé que limité des interventions africaines et internationales au Sahel réside dans un défaut d’analyse stratégique appropriée, mettant volontiers en exergue la nécessité de saisir le contexte sahélien au-delà du seul prisme de la lutte anti-terroriste en prenant également en considération les dynamiques conflictuelles de nature inter et intra-communautaires, tout comme celles attisés par les rivalités, séculaires ou contemporaines, liées à la gestion et à l’exploitation des ressources naturelles, celles relevant de la criminalité organisée ou encore les ressorts socio-économiques qui alimentent les frustrations ou le désespoir de populations, notamment dans les zones rurales et périphériques.

Si les lenteurs et les blocages sont fréquemment dénoncés, il apparaît que peu d’efforts sont fournis, aussi bien par les décideurs que par les analystes plus indépendants, pour disséquer la façon dont les logiques organisationnelles, en matière de financement, d’équipement mais aussi de reddition de comptes propres à chaque organisation tout comme à leurs interactions mutuelles, se répercutent sur la conduite des opérations sur le terrain. 

A ces différents paramètres permettant une meilleure appréhension de l’environnement stratégique, il paraît également nécessaire d’ajouter une dimension trop souvent négligée voire purement et simplement ignorée : la prise en considération des processus de décision, grâce à la mobilisation de l’analyse bureaucratique et de la sociologie des organisations. En effet, le trop faible impact opérationnel des diverses interventions sécuritaires en cours au Sahel s’explique aussi en grande partie par la nature-même des processus et des procédures qui encadrent les interventions des différents acteurs mobilisés : si les lenteurs et les blocages sont fréquemment dénoncés, il apparaît que peu d’efforts sont fournis, aussi bien par les décideurs que par les analystes plus indépendants, pour disséquer la façon dont les logiques organisationnelles, en matière de financement, d’équipement mais aussi de reddition de comptes (« accountability ») propres à chaque organisation tout comme à leurs interactions mutuelles, se répercutent sur la conduite des opérations sur le terrain.

Ainsi, les dynamiques institutionnelles qui caractérisent le fonctionnement de la FMM ou de la Force conjointe du G5/Sahel tout comme les contraintes financières, procédurales et administratives qui s’imposent aux partenaires non-africains, dont le soutien constitue aujourd’hui la colonne vertébrale des dispositifs multilatéraux africains en matière de sécurité, ont-elles un impact majeur sur la gestion de la crise sahélienne. La complexité des circuits de financements des opérations, la multiplication des organes de tutelle comptables de la gestion des fonds alloués, l’introduction des processus de contrôle notamment via les mécanismes de type « M and E » (Monitoring et évaluation), l’obligation de se conformer à des cycles de programmation qui peuvent rendre difficiles voire impossibles les efforts de coordination interagences, les spécificités de chaque procédure d’appels d’offre, mais aussi les rivalités bureaucratiques qui, très souvent, animent les différentes institutions, sont tout autant d’indicateurs qu’il est indispensable d’intégrer dans les analyses de l’environnement stratégique. En effet, l’ensemble de ces procédures inscrit, par essence, les interventions décidées dans une dynamique de temps long qui, très souvent, se révèle divergente, sinon incompatible, avec l’immédiateté ou la rapidité de réaction requises pour intervenir de manière adaptée.

La gestion de la crise sahélienne par les différents acteurs, africains aussi bien que non-africains, démontre l’urgente nécessité d’inscrire au cœur de la réflexion stratégique la sociologie des administrations publiques, l’analyse bureaucratique et la science des organisations, cadres d’analyse trop souvent négligés alors même qu’ils peuvent offrir de très utiles clés de compréhension pour saisir les enjeux organisationnels et les processus décisionnels qui, fréquemment, obèrent la portée des interventions et initiatives de règlement des conflits.

Fondamentalement, la gestion de la crise sahélienne par les différents acteurs, africains aussi bien que non-africains, démontre l’urgente nécessité d’inscrire au cœur de la réflexion stratégique la sociologie des administrations publiques, l’analyse bureaucratique et la science des organisations, cadres d’analyse trop souvent négligés alors même qu’ils peuvent offrir de très utiles clés de compréhension pour saisir les enjeux organisationnels et les processus décisionnels qui, fréquemment, obèrent la portée des interventions et initiatives de règlement des conflits. La mobilisation de ces disciplines pourrait ainsi se révéler particulièrement précieuse pour l’élaboration de scenarii d’anticipation, de prospective et de planification plus réalistes, fondés non plus quasi-exclusivement sur la prise en compte des paramètres propres à l’environnement exogène mais également, de manière complémentaire, sur l’intégration des contraintes administratives endogènes aux différentes institutions impliquées dans la gestion de crise.

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