La Corée à la veille d’une nouvelle guerre ?
Réponse à quatre questions posées par une journaliste d’Atlantico. Comme cet entretien sera, comme toujours, publié dans des semaines et avec un titre mal approprié, il a mieux sa place ici.
Après les sanctions votées à son égard à l’ONU, la Corée du nord a annoncé vendredi 8 mars qu’elle mettait un terme à tous les accords de non-agression entre le Nord et le Sud et a averti les Etats-Unis qu’ils s’exposaient à une “frappe nucléaire préventive”. Pyongyang est-il devenu incontrôlable ou n’est-ce que du bluff ?
Ce n’est pas la première fois que Pyongyang se livre à ce type de provocations. On peut même estimer que c’est une habitude du régime. Au cours de la dernière décennie, ce pays s’est retité du Traité de Non Prolifération, a conduit trois essais nucléaires, ignoré les sanctions internationales et les résolutions du Conseil de Sécurité, multiplié les menaces à l’égard des Etats-Unis, et agressé son voisin sud-coréen, coulant la corvette Cheonan en mars 2010, et bombardant l’île de Yeongpyeong quelques mois plus tard. C’est en revanche la première fois depuis la prise de pouvoir de Kim Jong-un que le ton monte à ce point, ce qui au passage contraste avec son message appelant à la réconciliation début janvier. Pyongyang alterne les volontés d’ouverture et un ton ferme, menaçant, et qui relève de cette stratégie sur le fil du rasoir privilégiée par Kim Jong-il. Il ne faut pas nécésairement y voir le signe d’un régime devenu incontrôlable, mais plutôt des difficultés pour le jeune dirigeant à imposer son style en interne. S’il semble en phase avec les réformateurs, partisans d’une ouverture économique, il doit dans le même temps s’assurer du soutien des conservateurs, les militaires surtout, qui ne lui pardonneraient sans doute pas un virage trop spectaculaire. Bien que dirigeant autocrate, il ne peut se mettre à dos les militaires. En menaçant les Etats-Unis en riposte aux nouvelles sanctions, et en pointant une nouvelle fois du doigt son voisin, le jeune dirigeant s’impose comme un dirigeant fort, là où son silence aurait immédiatement été perçu comme un signe de faiblesse. Ce n’est donc pas du bluff, car la tension reste très vive, mais Pyongyang contrôle parfaitement ses actions et met même en scène sa rhétorique agressive, notamment en diffusant des images du jeune dirigeant observant la Corée du Sud depuis une île en Mer jaune (ou Mer de l’ouest).
Que signifie réellement la fin des accords de non-agression avec le Sud ? Sur quoi peut-elle déboucher ?
Il faut d’abord rappeler que malgré ces accords, les deux pays sont officiellement en guerre, depuis 1950! L’armistice n’a jamais débouché sur un traité de paix, et la constitution des deux pays s’étend, territorialement, à l’ensemble de la péninsule. La guerre de Corée n’est d’une certaine manière pas terminée. Elle ne s’exprime que rarement par les armes, mais les deux pays ne sont officiellement pas en paix. Par ailleurs, les agressions contre la Corée du Sud ne datent pas d’hier, et jalonnent l’histoire de la péninsule depuis un demi siècle, l’année 2010 étant, nous l’avons vu, particulièrement sensible. Pour autant, qui aurait intérêt à déclencher une nouvelle offensive? Certainement pas le Sud (Séoul est à 40 km de la zone démilitarisée, et exposée aux missiles nord-coréens), et compte-tenu de ses faibles capacités, certainement pas le Nord, qui serait balayé en quelques semaines, peut-être moins, surtout avec l’intervention de Washington en soutien à son allié sud-coréen. Les deux pays perdraient tout. L’arme nucléaire ne change pas grand chose à ce paradigme, Pyongyang ne pouvant “remporter” la guerre grâce à ces armes (sans compter les représailles de Washington, Barack Obama ayant récemment rappelé à Séoul et Tokyo la mise à disposition du parapluie nucléaire américain). L’arme nucléaire nord-coréenne est en revanche un engin de dissuasion qui élargit la marge de manoeuvre de Pyongyang dans ses négociations, et elle pourrait paradoxalement dnas le même temps réduire le risque d’un conflit, en vertu d’un principe très simple: qui se risquerait à attaquer un pays faible, mais disposant de l’arme nucléaire?
La Chine pourrait-elle intervenir pour calmer son allié coréen ? A-t-elle encore le pouvoir d’influencer les décisions de la dictature de Kim-Jong Un?
Même si son contrôle sur Pyongyang reste limité, la Chine est le seul pays susceptible d’influencer les choix du régime nord-coréen. Pékin est en position de force, mais c’est également une position délicate, car en soutenant trop fermement son encombrant allié, la Chine s’exposerait à un déficit de son image stabilisatrice sur la scène internationale. Et soigner son image est pour la Chine beaucoup plus important que le partenariat avec la Corée du Nord. En soutenant les nouveles sanctions de l’ONU (et en y participant pleinement), Pékin semble faire son choix. Mais il ne faut pas y voir la volonté de la Chine de dénouer le noeud coréen, le statu quo étant la meilleure option, qui permet à la fois de maintenir le rôle d’arbitre de Pékin, et de seul partenaire de Pyongyang (avec des bénéfices économiques et commerciaux, notamment dans l’importation de produits miniers). La Chine fera tout pour empêcher un conflit dans la péninsule, mais elle fera également tout pour maintenir sa position d’intermédiaire entre Pyongyang d’un côté, la communauté internationale de l’autre.
Une frappe préventive de la part des Etats-Unis, ou d’un autre pays, est-elle envisageable ?
Si par “envisageable” nous faisons référence à une possibilité, oui bien sûr. Mais c’est hautement improbable, et ce serait d’ailleurs une erreur stratégique considérable. D’abord en raison des possibles réponses de Pyongyang, comme expliqué précédemment. Si la Corée du Nord a la capacité de répondre avec une attaque nucléaire, et si le régime dispose de fait de missiles ballistiques pouvant ateindre les Etats-Unis (hautement improbable, mais c’est ce que Pyongyang ne cesse de clamer), les Etats-Unis seraiet-ils prêts à prendre le risque d’attaquer ce pays? Et même dans le cas où ces deux hypothèses sont infondées, Pyongyang a toujours les moyens, conventionnels, de causer des dommages irréparables à la Corée du Sud et au Japon, alliés proches de Washington. En clair, l’option frappe préventive peut agiter des milieux conservateurs à Washington qui souhaitent “en finir” avec la Corée du Nord, comme ils souhaitaient en finir avec l’Irak il y a dix ans, mais elle ne trouvera aucun écho à la Maison Blanche. Et c’est justement parce que Pyongyang le sait parfaitement que le régime se lance dans cette stratégie de chantage permanent.