Han Han et le phénomène blog
Le blog est un phénomène en pleine expansion en Chine. On estime ainsi que sur près de 400 millions d’utilisateurs d’Internet que compte aujourd’hui ce pays, plus de la moitié disposent d’un blog. Les réflexions personnelles, les séquences filmées, ou encore les histoires racontées et déformées sont ainsi devenues des nouvelles formes d’informations dans un pays où l’information au singulier reste étroitement contrôlée par l’Etat. Les internautes chinois décrivent une société en mutation, commentent l’actualité, alimentent parfois des thèses nationalistes et sino-centrées (notamment en tenant des propos xénophones anti-japonais), mais critiquent aussi les autorités politiques, à divers degré, et en s’efforçant de passer entre les mailles de la censure et de la « nouvelle muraille de Chine », protection virtuelle du régime contre les influences extérieures sur des thèmes tels que la démocratie, les droits de l’homme ou encore la corruption.
Lancé en 2006, le blog de Han Han a déjà reçu depuis plus de 400 millions de visiteurs, et est tout simplement le blog le plus fréquenté au monde. Sa forte popularité et son style d’écriture déclenche une avalanche des commentaires, s’attirant un nombre impressionnant de fans, mais suscitant de multiples critiques, au point que de nombreux textes sont tout simplement censurés. Han Han était déjà célèbre avant de se lancer dans l’aventure d’un blog. A 19 ans, il a publié son premier roman, qui a remporté un grand succès avec deux millions d’exemplaires vendus. Comme tous les adolescents rebelles à cette période, Han Han a même choisi de quitter l’école avant de passer l’équivalent du baccalauréat chinois. Alors aujourd’hui, avec une voix indépendante, sa mèche rebelle fait du bruit au sein de la génération née après 1980, plus critique que ses aînés de la société chinoise. Sans réelle conscience politique (ce qui est également symptomatique de cette génération), Han Han ajoute cependant de temps en temps son opinion à ses textes : corruption, ignorance des élites, censure, failles du système éducatif chinois ou bulle immobilière sont des thèmes qu’il ne manque pas de commenter. L’exemple de Han Han est caractéristique de ces jeunes blogueurs qui exercent une influence irrésistible sur l’opinion publique, notamment les jeunes chinois.
Les 73 textes rassemblés dans cet ouvrage, articles mis en lignes sur le blog ou entretiens, furent publiés il y a deux ans à Taiwan, et couvrent une période qui va de 2006 à 2010. Han Han y porte un regard sur les mutations chinoises, sur des évènements importants comme les Jeux Olympiques de Pékin ou l’Exposition universelle de Shanghai (sa ville), mais aussi le tremblement de terre du Sichuan, les tensions diplomatiques sur fond de nationalisme entre la Chine et le Japon ou encore le boycott de carrefour après le passage de la flamme olympique à Pékin. Dans un style dépouillé, direct, et surtout très sarcastique, il attire l’attention sur des questions de société, donne son opinion sans tabou, et interagit avec les internautes en les interpellant régulièrement, les provocant même parfois.
Certains voient dans le phénomène Han Han, autodidacte qui compare souvent les universités à des prostituées, est aussi pilote automobile et amoureux de grosses cylindrées, un parallèle avec le mouvement beatnik dans l’Amérique des années 1960. Porte-parole des réformateurs d’une génération qui veut s’émanciper, Han Han réfute cependant ce parallèle (il en fait d’ailleurs mention dans ce livre), et minimise volontiers la portée de son blog, qu’il se réjouit de voir si populaire, mais qu’il ne considère pas comme subversif. Il n’en demeure pas moins que les dirigeants chinois se méfient de Han Han, et si le célèbre dissident et autre bloggeur Ai Weiwei voit en lui « le fossoyeur des écrivains de la vieille génération », il pourrait avec d’autres inspirer des changements profonds dans la société chinoise.
Han Han, Blogs de Chine, Paris, Gallimard, collection Encre de Chine, 2012, 399 pages.