Leçons bosniaques pas bonnes à dire
Le 20e anniversaire d’une crise constitutionnelle ignorée
Les grandes puissances auront à intervenir dans de nombreux conflits internes pendant ce siècle. Il est fort probable que la doctrine de la responsabilité de protéger servira à guider certaines de ces interventions. Dans la mesure où la doctrine privilégie la diplomatie préventive, l’exemple de la Bosnie-Herzégovine, ex-république yougoslave qui vient de célébrer 20 ans d’indépendance, devrait nous encourager à la prudence et à l’autocritique. Cet exemple qui a tant influencé la conceptualisation des interventions depuis la fin de la guerre froide suggère que les puissances occidentales ont de la difficulté à intervenir de façon constructive. Les intérêts des intervenants étrangers, ainsi qu’un manque de connaissances, viennent souvent obscurcir les problèmes qui sont à l’origine des conflits internes.
Si on remonte dans l’histoire récente, on constate que, contrairement aux intentions, la reconnaissance de l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine en 1992 n’a pas prévenu une guerre civile. On aurait peut-être poussé les parties vers une situation tendue où le recours à la force devenait une des seules options. Mais avant tout, on a créé un précédent selon lequel des analystes engagés allaient entraîner les Occidentaux dans un conflit où on avait peu d’expérience et très peu de subtilité par rapport à la situation politique locale dans un petit pays lointain.
En 2012, de nombreux Canadiens célèbrent le 30e anniversaire du rapatriement de la Constitution canadienne – événement dont l’issue était une fracture importante entre les classes politiques canadienne et québécoise et qui a fait en sorte que la préservation de la fédération n’est aucunement garantie à long terme. Toutefois, l’idée même que la guerre en Bosnie-Herzégovine serait le résultat d’une crise constitutionnelle compliquée continue à échapper à de nombreux observateurs qui se sont penchés à l’époque sur le drame des Balkans selon un récit hyper-chargé sur le plan émotif et sous un angle motivé par les préoccupations surtout humanitaires et antinationalistes. Ces motivations connaissent des limites importantes: un regard même sommaire de l’impasse constitutionnelle dans l’ex-Yougoslavie à l’aube de la guerre civile aurait suggéré que la voie choisie par certains intervenants étrangers ne pouvait que pousser les parties locales vers des tensions plus graves.
Il y avait trois nations constitutives dans la Bosnie-Herzégovine créée par les communistes après la Seconde Guerre mondiale: Croates, Serbes et Musulmans. Selon le dernier recensement qui n’a pas été mené dans un contexte de tensions nationalistes et de désintégration étatique (celui de 1981), la population se composait de 20 pour cent de Croates, 32 pour cent de Serbes et 40 pour cent de Musulmans, avec le reste faisant partie de diverses minorités et d’habitants qui s’identifiaient comme «Yougoslaves». Le terme «nation» (narod) est utilisé dans la Constitution de 1974 d’une manière qui rappelle le Volk allemand en ce sens qu’il fait référence à un peuple s’identifiant par des liens culturels et historiques communs. Malgré ce cadre constitutionnel concernant les identités locales, il existe jusqu’à aujourd’hui une confusion dans l’emploi des termes «Musulmans» et «Bosniaques» par les étrangers. Les Musulmans ont été reconnus de facto comme nation distincte lors du recensement de 1971 et de jure dans la Constitution de 1974. Avec leur propre sentiment nationaliste qui s’affirmait, les Musulmans ne voulaient pas être désignés comme des Serbes ou des Croates convertis à l’islam pour bénéficier de privilèges lors du règne ottoman. Bien que les Musulmans soient devenus largement laïques, les origines explicitement religieuses de leur identité compliquaient leur identification nationale. Le terme «Bosniaque» ne pouvait pas être utilisé car il suggérerait qu’ils étaient plus autochtones que la majorité des habitants de la Bosnie-Herzégovine appartenant aux nations serbe ou croate et présentes sur le territoire depuis aussi longtemps que les Musulmans. La solution délicate qui a été retenue par les dirigeants locaux: le terme «Musulman» (avec un «M» majuscule) désignait la nation et un «m» minuscule pouvait être utilisé pour identifier un adepte de la foi islamique. C’est ainsi que la Constitution de 1974 a essayé de satisfaire au désir de la part de certains habitants qui voulaient que leur nationalité soit distinguée des autres nations occupant le même territoire.
Mais cette solution a été complètement ignorée par les étrangers intervenant dans le conflit, et elle continue après 20 ans d’être mal comprise par ceux qui insistent à identifier uniquement la population musulmane en tant que «Bosniaques». Si le Québec se séparait du Canada, est-ce qu’on accepterait de désigner uniquement les francophones comme des Québécois, excluant les autochtones amérindiens et les Inuit, ainsi que les anglophones présents depuis deux siècles? C’est pourtant le genre de confusion introduite par rapport aux peuples de la Bosnie-Herzégovine, et la dynamique de cette erreur est bien reflétée dans divers aspects des interventions étrangères.
Quelles étaient les raisons qui ont poussé le Secrétaire général des Nations Unies, ainsi que l’envoyé diplomatique principal des Européens, Lord Carrington, à nous prévenir contre une reconnaissance d’indépendance prématurée? Les Occidentaux ont plaidé pour une «reconnaissance préventive» en espérant que celle-ci permettrait d’éviter une guerre civile. Contrairement à l’appréciation de nombreux observateurs, ce sont les États-Unis qui ont joué le rôle primordial. L’idée qui continue à être dominante dans les milieux occidentaux suggère que les États-Unis avaient laissé aux Européens la gestion de la crise jusqu’au moment où ces derniers s’étaient montrés incapables d’arrêter cette guerre hautement médiatisée sur le Vieux Continent. Tel qu’expliqué ci-dessous, il s’agit simplement d’une interprétation trompeuse qui convient à ceux qui refusent de remettre en question le bien-fondé de l’intervention diplomatique.
Les premières élections libres en Bosnie-Herzégovine ont eu lieu en 1990 et le résultat indiquait que les partis nationalistes des trois nations constitutives ont chassé les communistes en remportant 86 pour cent du scrutin dans des proportions reflétant leur pourcentage de la population totale. (La même dynamique nationaliste a caractérisé quasiment toutes les élections en Bosnie-Herzégovine jusqu’aux dernières il y a un an et demi.) Suite à ces élections historiques, le parlement a été incapable de légiférer et les diverses fonctions exécutives ou administratives ont été divisées selon les appartenances nationales. Les tensions ont finalement éclaté avec les premières démarches en automne 1991 pour établir l’indépendance du pays. Étant donné le caractère non consensuel de ces démarches, les Serbes ne cachaient pas leurs préparations pour un conflit armé. La Croatie voisine se trouvait effectivement déjà dans un conflit armé avec sa minorité serbe qui était appuyée par la Serbie. C’est alors que les instances européennes se sont impliquées directement dans l’impasse constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine.
Le président Izetbegovic, leader du parti nationaliste musulman qui se présentait personnellement comme modéré et cosmopolite malgré son passé islamiste, a déposé une demande de reconnaissance d’indépendance auprès de la Commission d’arbitrage établie par les Européens. Cette décision européenne d’offrir la possibilité de reconnaissance dans ces circonstances a été fortement critiquée par l’équipe de diplomates autour de Carrington.
La manière dont les Européens sont arrivés à cette situation est révélatrice des intérêts externes soudainement attachés à la crise yougoslave. Sous la pression de son opinion publique, le gouvernement allemand avait présenté un ultimatum aux partenaires européens lors d’une réunion en décembre 1991: si les Européens ne reconnaissaient pas l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie, l’Allemagne procéderait à une reconnaissance unilatérale, malgré les nouveaux engagements du Traité de Maastricht sur la collaboration en politique étrangère. Un compromis diplomatique était intervenu afin de permettre à toute république de l’ancienne Yougoslavie de demander aux Européens la reconnaissance de son indépendance. Un délai d’environ un mois permettrait à la Commission d’arbitrage d’établir si une république demanderesse satisfaisait à certains critères fondamentaux. La contribution de la Commission, présidée par Robert Badinter en tant que président du Conseil constitutionnel français, a été essentiellement écartée quand l’Allemagne a décidé de ne pas attendre et a procédé à une reconnaissance unilatérale avant Noël. En outre, l’avis de la Commission indiquant que la Croatie ne satisfaisait pas complètement aux critères a été ignoré par les Européens qui ont procédé à la reconnaissance de la Croatie et de la Slovénie en janvier 1992. C’est le contexte troublant dans lequel les Européens allaient aborder le dossier particulièrement explosif de la Bosnie-Herzégovine.
La demande audacieuse du président Izetbegovic a aussi été examinée en janvier 1992. Peu de commentateurs qui se présentaient comme spécialistes de la crise yougoslave semblaient conscients que la Commission d’arbitrage a rejeté cette demande en notant que «les membres serbes de la présidence ne se sont pas associés aux déclarations et engagements» concernant l’indépendance. En se référant au désir des Serbes de demeurer dans une fédération yougoslave, tel qu’établi par plébiscite et par résolution d’une nouvelle «Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine», la Commission a déclaré que «l’expression de la volonté des populations de Bosnie-Herzégovine de constituer [le pays] en État souverain et indépendant ne peut être considérée comme pleinement établie». Elle a conclu en indiquant que son «appréciation pourrait être modifiée si des garanties étaient apportées à cet égard par la république ayant formulé la demande de reconnaissance, éventuellement par voie de référendum, auquel seraient appelés à participer tous les citoyens».
Les juristes de la Commission avaient raison de souligner le fait qu’Izetbegovic ne représentait pas les intérêts des trois nations constitutives. Ils n’avaient donc pas d’autres choix que d’indiquer qu’il avait excédé ses pouvoirs constitutionnels en cherchant l’indépendance sans l’accord des Serbes. La seule façon que la Commission pouvait changer d’avis était si la nation serbe indiquait qu’elle était favorable à l’indépendance: un référendum a été suggéré, et on pouvait présumer que les Serbes devaient effectivement voter en faveur de l’indépendance pour que le principe de l’égalité entre les trois nations soit respecté. Toute autre interprétation aurait pour conséquence la violation du principe du consensus et permettrait que le sort d’une minorité protégée soit décidé à la majorité.
Les parlementaires croates et musulmans avaient décidé de procéder à un référendum même si les Serbes avaient indiqué leur intention de le boycotter. Le parti nationaliste musulman menait une campagne axée sur la vision d’une Bosnie-Herzégovine indépendante, démocratique et unitaire, tandis que le parti nationaliste croate appuyait la séparation de la Yougoslavie tout en demeurant ambigu sur l’unité de la Bosnie-Herzégovine (car il voulait établir des liens plus étroits avec la Croatie voisine). Le résultat au début mars 1992 n’a surpris personne: les Musulmans et les Croates ont voté massivement en faveur de l’indépendance, et les Serbes ont, quant à eux, boycotté le référendum.
La politique européenne comportait une autre dimension: la reconnaissance de l’indépendance demeurait une possibilité si une entente pouvait être conclue entre les trois nations constitutives. C’est dans ce contexte que des négociations diplomatiques ont été organisées pour essayer de créer une nouvelle confédération divisée en trois régions ethniques. Il était clair depuis plusieurs mois qu’aucune entente ne pouvait être acceptée par les trois partis nationalistes sans un transfert des pouvoirs centralisés de Sarajevo aux représentants des trois nations constitutives. En fait, une telle entente a été conclue juste avant le référendum au moment où les trois côtés ont signé à Lisbonne un document prévoyant la «cantonisation» de la Bosnie-Herzégovine.
Il ne faut surtout pas croire que les acteurs à ce stade étaient uniquement des anciens Yougoslaves car le conflit, toujours politique étant donné que la guerre civile n’avait pas encore éclatée, avait commencé à s’internationaliser. Bien que les Russes jouaient un rôle négligeable compte tenu de leurs propres problèmes suite à l’effondrement de l’Union soviétique, la solidarité avec les Musulmans manifestée par certains pays à forte population islamique était particulièrement importante. La Turquie, l’Arabie saoudite et l’Iran ont tous joué un rôle clé dans la tentative d’Izetbegovic de gagner une sympathie internationale pour sa cause. Toutefois, ce sont surtout les États-Unis qui ont réussi à influencer les négociations diplomatiques dans le but d’améliorer leurs relations avec le monde islamique. (On a tendance à oublier que leurs relations étaient tendues bien avant les attentats du 11 septembre 2001.)
Les leaders américains de l’époque n’ont pas hésité de rappeler leur appui aux Musulmans pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine, surtout dans le contexte des discussions sur le Moyen-Orient où leur impartialité était souvent remise en question. L’ambassadeur américain en poste à Belgrade en 1992, Warren Zimmermann, a admis dans une entrevue publiée par le New York Times qu’il avait encouragé Izetbegovic à renoncer l’entente de Lisbonne peu de temps après l’avoir signé. Washington avait donc décidé d’appuyer Izetbegovic dans sa poursuite de l’indépendance même sans accord entre les trois nations constitutives. De retour à Sarajevo, Izetbegovic avait donc déclaré inacceptables les cartes de partition convenues à Lisbonne et il avait indiqué qu’il procéderait avec l’indépendance.
Les actes de violence et les premiers combats ont commencé peu après. Agissant en tant que nouvel allié d’Izetbegovic, le gouvernement américain a convaincu les Européens de reconnaître la Bosnie-Herzégovine le 6 avril 1992 en leur promettant de reconnaître la Croatie et la Slovénie le lendemain. Ainsi les Occidentaux ont procédé à la reconnaissance d’un nouvel État qui avait cessé d’exister à toutes fins pratiques: la crise constitutionnelle avait laissé un parlement qui ne représentait plus les trois nations constitutives, le pouvoir exécutif ne fonctionnait plus de façon légale, l’autorité de la présidence sous contrôle musulman était niée par la majorité des citoyens putatifs et le territoire était en train d’être saisi par les milices violentes des trois factions.
Bien que Washington se soit montré beaucoup plus réticent par rapport à l’indépendance de la Croatie quelques mois auparavant, le ton américain a complètement changé dès que l’enjeu impliquait des Musulmans menacés par des Serbes et Croates dans les Balkans. Les États-Unis ont effectivement essayé de forcer les Serbes à accepter un nouvel arrangement non consenti. Sous le leadership américain, les Occidentaux ont voulu faire peur aux Serbes en poussant les Nations Unies à reconnaître un nouvel État membre qui ne satisfaisait pas aux critères traditionnels du droit international concernant l’existence d’un État indépendant. Ils ont échoué. Les Serbes ne se sont pas pliés et ils ont eu recours au seul moyen qui, à leurs yeux, pouvait faire valoir leurs droits: la force militaire. Leurs représentants ont d’ailleurs rappelé à chaque réunion diplomatique que le changement dans le statut international de la Bosnie-Herzégovine ne bénéficiait pas du consentement d’une nation constitutive ayant un statut constitutionnel protégé.
L’analyse ci-dessus concerne évidemment les événements ayant eu cours avant le début des hostilités en Bosnie-Herzégovine. La thèse dominante en Occident, par contre, nous propose que la guerre était le résultat direct de l’agression du président serbe de l’époque, Slobodan Milosevic. Il s’agit d’une imputation catégorique qui sert à étouffer le débat, plutôt que de l’enrichir. Car on peut critiquer l’agressivité des Serbes et condamner leurs abus, tout en demeurant critique envers les positions des autres parties. Malheureusement, les reportages dans les pays occidentaux présentés lors du 20e anniversaire de l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine ont quasiment tous ignoré les faits troublants concernant la reconnaissance de l’indépendance. Dans ce contexte où l’autocritique aurait été utile, il convient d’explorer et de souligner ce qu’on a accompli avec cette reconnaissance hâtive.
Bien qu’on n’ait pas prévenu une guerre civile, il faut constater plusieurs développements géopolitiques importants qui ont suivi l’intervention diplomatique. Les forces militaires occidentales sont stationnées depuis les années 1990 de manière quasi-permanente dans cette partie de l’Europe qui se rapproche du Moyen-Orient, zone hautement stratégique pour les membres de l’OTAN. L’islam politique est d’ailleurs présent dans les Balkans d’une manière qu’il ne l’était pas depuis l’empire ottoman. De nombreux djihadistes étrangers ont participé à la guerre en Bosnie-Herzégovine et plusieurs se sont retrouvés par la suite devant des juges occidentaux pour des actes terroristes. On peut noter également que les tensions sous-jacentes à la crise constitutionnelle qui a précédé la guerre sont toujours présentes, malgré les efforts et les ressources considérables déployées par les puissances occidentales qui ont essayé de reconstruire le pays. Le problème découle directement du fait que les Occidentaux ont accepté le démembrement de l’ex-Yougoslavie, tout en insistant sur la préservation de la Bosnie-Herzégovine, bien que les mêmes forces nationalistes dominaient la vie politique dans les deux entités. En effet, un retrait aujourd’hui de la présence étrangère en Bosnie-Herzégovine mènerait vraisemblablement à une réémergence de la crise. Ce constat pessimiste s’impose même après 17 ans d’une implication étrangère impressionnante parfois caractérisée d’antidémocratique dans la mesure où des diktats étaient imposés à l’encontre des décisions prises par les élus locaux.
La Bosnie-Herzégovine était clairement dans une situation difficile pendant l’effondrement de l’ancienne Yougoslavie il y a 20 ans: l’idée de rester dans une nouvelle Yougoslavie dominée par la Serbie de Milosevic était inacceptable pour une majorité de ses habitants, mais une séparation sans le consentement de sa population serbe violerait un principe constitutionnel fondamental. Dans ce contexte, une intervention internationale aurait pu jouer un rôle crucial en orchestrant un nouvel arrangement qui tenterait le seul compromis possible: une séparation prudente qui satisferait à l’exigence serbe d’autonomie sur certains territoires du nouveau pays.
Si on intervient dans des régions où les gouvernements ne sont pas capables d’assumer les responsabilités liées à leurs pouvoirs souverains, la responsabilité de protéger implique un devoir de bien comprendre les conditions locales. Sinon, cette doctrine importante souffrira d’un manque de crédibilité, voire même de légitimité, et on risque de s’enliser dans de longues missions interminables. C’est vraisemblablement le leitmotiv de plusieurs interventions occidentales depuis le drame yougoslave des années 1990 (on pense, entre autres, à certains aspects des opérations en Afghanistan, en Irak et plus récemment en Libye). Afin de minimiser ce problème, il faut encourager les analyses qui combinent la rigueur avec l’humilité face aux complexités sur le terrain, et surtout celles qui vont à contre-courant, afin de s’assurer que les situations locales ne soient pas éclipsées par des facteurs externes peu liés aux enjeux locaux.
Une leçon fondamentale de la reconnaissance prématurée de la Bosnie-Herzégovine s’impose: les puissances occidentales peuvent bien intervenir inopportunément dans certains petits pays sans cette prudence élémentaire. On voit à partir du cas bosniaque comment les intérêts des puissances intervenantes peuvent guider leurs actions d’une manière qui ne contribue pas à la résolution du conflit local. Sous la bannière bien-pensante de coexistence multiethnique, les Occidentaux ont effectivement essayé de forcer la préservation de ce nouvel État même si aucune force politique locale ne reflétait véritablement les valeurs de tolérance démocratique. Pour l’analyste sceptique, il n’est pas étonnant que ce projet d’intervention demeure si fragile après deux décennies.
Michael Barutciski est directeur des études supérieures à l’École des affaires publiques et internationales de Glendon, ainsi que membre de la rédaction de Global Brief.