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Un président pour l’éternité (8)

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Un président pour l’éternité (8)

Puisqu’il est difficile de savoir exactement ce qui se passe en Corée du Nord et dans l’entourage du clan Kim, le mieux c’est parfois de l’inventer… Voici mon roman sur la succession de Kim Jong-Il, huitième partie.

En route vers Yongbyon, le dernier site de sa tournée, le plus connu aussi à l’extérieur – sans qu’il ait d’ailleurs jamais vraiment compris pour quelle raison d’ailleurs – Kim rassemble ses notes, et jette un œil sur les caractéristiques de ce camp. Dirigé par un Chinois d’origine coréenne depuis sa création, il est le plus important par le nombre de sujets qui y sont éduqués, et présente la caractéristique étonnante de contribuer au PIB du pays, avec une production locale qui tourne à plein rendement. Mais Kim n’a pas la moindre idée du type de production qui sort des murs de Yongbyon. Il pense bien sûr à des composants nucléaires, parce que c’est ce que tout le monde dit en dehors de la Corée du Nord, et il n’en a pas vu la moindre trace jusqu’ici. Pour vendre au Yémen ou à l’Iran, il a bien fallu que ces matériaux en tous genres aient été produits quelque part. Mais il reprend ses esprits et réalise que tout cela n’est que de la propagande occidentale, que la Corée du Nord est sans doute incapable de produire des composants nucléaires, et que Yongbyon doit par conséquent servir çà tout autre chose. Il se demande alors s’il ne pourrait s’agir d’une de ces zones franches ouvertes en coopération avec Séoul, dans le cadre de la sunshine policy et des efforts en vue d’aider au développement de la Corée du Nord. Mais là aussi, ses réflexions tournent court : s’il ne s’agissait que d’une zone franche, pourquoi Yongbyon resterait-elle si secrète et serait-elle l’objet d’une telle attention de la part des grandes puissances ? Kim a beau chercher, il ne voit vraiment pas ce que peut cacher le célèbre site, tandis que la limousine s’approche de l’imposante entrée.

Contrairement à ce qu’il imaginait, il n’est cette fois reçu par aucun cérémonial, et il se demande même, à voir la désinvolture de la garde qui vérifie ses papiers sans lui montrer le moindre signe de respect, s’il ne s’agit pas d’une mauvaise plaisanterie. Il est conduit devant le chef du camp, un colonel âgé qui occupe un modeste bureau en sous-sol, avec un confort limité au strict minimum, éclairé à la bougie, restrictions d’électricité oblige.

– Bonjour Major, bienvenue à Yongbyon.

– Bonjour colonel. Vous vous appelez Chang, c’est bien ça ?

– En fait, pas tout à fait. J’ai un autre nom, mais Chang, ça sonne plus anonyme, alors je préfère qu’on m’appelle ainsi.

– Et c’est quoi votre vrai nom dans ce cas ?

– Mao.

– Mao, comme l’autre ?

– Oui, et à voir votre réaction, je suis confirmé dans mon choix d’avoir voulu en changer, histoire qu’on me foute la paix. Mais attention, c’est un nom plus répandu qu’il n’y parait, et je n’ai aucun lien de parenté avec le grand timonier. D’ailleurs, il était originaire du Hunan, et la famille de mon père vient du Henan. Rien à voir donc ! Quant à ma mère, on vous l’a peut-être dit, mais elle était d’origine coréenne.

– Oui, je suis au courant. Pourquoi Chang dans ce cas ?

– C’est le nom le plus répandu en Chine. Et donc le meilleur moyen de passer inaperçu. D’ailleurs, je suis sûr que pour beaucoup d’occidentaux, tous les Chinois s’appellent Chang, comme les Vietnamiens s’appellent Nguyen, et les Coréens Kim. Alors s’ils se demandent comment s’appelle ce chinois qui travaille pour Pyongyang, autant leur simplifier la tâche tout de suite. Et vous Major, quel est votre patronyme ?

– Kim.

– Oh, je vois. Et…

– Non, aucun lien.

– Ha ha, vous m’avez fait peur. J’ai cru un moment que vous étiez un de ces clones, même si vous ne leur ressemblez pas du tout. Alors c’est un nom d’emprunt aussi ?

– Non, même pas. Mais à bien y penser, je crois que si j’avais un autre nom, je le changerais en Kim. Ça ouvre bien des portes dans ce pays. Bon, vous supposez que je ne suis pas venu ici pour discuter de votre nom ou du mien. Vous pouvez vous appelez Pierre, Paul ou Jacques si ça vous amuse, je m’en fiche bien. Vous savez que ce site a une réputation internationale, n’est-ce pas ?

– Oui, et je ne vous cache pas que j’en tire une immense fierté. Je crois même que Yongbyon est devenu en quelques années l’endroit le plus connu de tout le pays. Sans ramener tous les honneurs à mes hommes et à moi-même, je pense que c’est le résultat de l’excellent travail que nous faisons ici.

– Et quel est ce travail exactement ?

– Eh bien, vous savez que nous contribuons de manière très efficace à l’économie de ce pays, n’est-ce pas ?

– Oui, ça je suis au courant. Mais ça ne me dit pas ce que vous faites ici au juste.

– Oh, vous ne savez pas ? Eh bien nous sommes spécialisés dans la production de tous les objets de propagande du pays. Les portraits du grand dirigeant dont chaque pièce de chaque foyer doit être parée : c’est chez nous qu’ils sont fabriqués. Les pin’s à l’effigie de notre président : c’est ici qu’ils sont faits. Les drapeaux qu’on voit s’agiter aux cérémonies à Pyongyang, les statues de toutes tailles de Kim Il-song, les publications de ses œuvres… Tout ce que ce pays produit en rapport avec Kim Il-song sort de ces murs. Et je peux vous dire que ça nous occupe beaucoup. Vous ne vous êtes donc jamais demandé où ces objets étaient-ils produits ?

– Pour être tout à fait honnête, non. Je dois dire que vous m’en bouchez un coin colonel.

– Ah ça, je m’en doute bien. Je ne suis pas peu fier de ce résultat, je peux vous le dire.

– Et les activités nucléaires alors ? Parce qu’il doit bien y avoir quelque chose qui fonctionne quand même, puisque même les plus grands scientifiques américains ont été invités pour vérifier de leurs propres yeux que nous avons des capacités super modernes.

– Ça, c’est la deuxième activité de Yongbyon.

– La deuxième activité ? Qu’est-ce que vous entendez par là ? Vous voulez dire que vous formez les sujets à être des physiciens nucléaires ?

– Ha ha, surement pas ! Quoi que l’idée est amusante. Ça leur irait bien, tiens. Non, les sujets sont réquisitionnés pour construire les bâtiments qui hébergent les observateurs occidentaux, histoire de leur donner une allure présentable.

– Et les activités nucléaires dans ce cas ? Qui s’en charge ?

– Je n’ai aucune idée de ce à quoi vous faites allusion. Ça doit être dans d’autres camps, je ne sais pas. Je n’ai pas enquêté comme vous. Je peux tout simplement vous dire qu’ici, nous n’avons aucune activité nucléaire, et n’en avons d’ailleurs jamais eu. Nous avons de fausses installations, bien sûr, qui nous ont été commandées par Pyongyang, et c’est sur ces sites que les sujets sont mobilisés. Mais il n’y a pas d’activité nucléaire, ça je peux vous le garantir. D’ailleurs, vous croyez vraiment qu’on laisserait des sujets sur un site radioactif, avec tous les dangers que ça suppose ?

– Effectivement, présenté comme ça… Mais revenons aux objets de propagande. Pourquoi les faire produire par les sujets ?

– Enfin major, réfléchissez. Vous ne trouverez pas de types plus déterminés à faire du bon travail que ceux qui sont représentés sur les effigies eux-mêmes.

– En effet, j’avoue que ça a du sens. Mais qu’est-ce que vous leur racontez ?

– La vérité. Que les statues qu’ils sculptent, les portraits qu’ils peignent ou les médailles qu’ils gravent sont à leur gloire.

– Et ça ne flatte pas trop leur égo ?

– Ah ça, je ne vous le fais pas dire. Ce sont même de vrais petits cons. Ils ne se prennent vraiment pas pour de la merde. Encore pire que les gardes rouges que j’ai côtoyés au temps de la Révolution culturelle, parce qu’au moins ceux-là ne se baladaient pas dans les rues en brandissant un petit livre rouge dont le titre était Citations de moi-même ! Franchement, les petits gars d’ici, je les déteste. Mais je me dis que ça fait partie du programme. Si on en vient à les détester, même en les ayant vus grandir comme moi, c’est que ça marche. C’est qu’ils sont devenus complètement mégalos. Pas facile à gérer en tout cas. Pourquoi croyez-vous que je me retrouve dans un bureau aussi minable ? Si jamais j’ose mettre en avant un semblant d’autorité, ils haussent le ton, et me menacent de m’envoyer dans un camp de travail pour non respect. Et dire que je suis le responsable ici… Même chose pour les gardes, qui sont traités comme de véritables laquais. On n’a absolument aucune autorité sur eux ? Ils n’en font qu’à leur tête. Pour leur faire faire quelque chose, il faut parvenir à les convaincre que c’est à leur profit. Je leur fait même écrire des dazibaos qu’ils collent dans tous les coins.

– Des quoi ?

– Des dazibaos. Vous savez, ces messages portant des accusations que les gardes rouges affichaient partout pendant la Révolution culturelle. Du véritable charabia la plupart du temps, mais ça les occupe un peu. Ça leur fait oublier deux secondes qu’ils sont le centre du monde, et ils peuvent se focaliser sur les autres. Pas dans les meilleurs termes bien sûr, mais c’est toujours mieux que rien.

– Je vois. Mais s’ils sont si nombrilistes, comment parvenez-vous à les mobiliser sur le site des fausses installations nucléaires ?

– Oh, ça ce n’est pas le plus difficile. Ils savent que c’est dans leur intérêt, et ils adorent voir défiler les scientifiques occidentaux bardés de prix Nobel qui repartent époustouflés par les capacités nucléaires de la Corée du Nord. Rie ne leur fait plus plaisir.

– Et entre eux, comment ça se passe ?

– Oh, ça ne m’en parlez-pas ! C’est un vrai drame. Ces jeunes-là ne peuvent pas se voir en peinture, si vous voyez ce que je veux dire (il éclate d’un rire gras et tousse à plusieurs reprises avant de reprendre ses esprits). Non, sérieusement, ils se détestent. Et pour cause, quand ils voient leur portrait, ils s’admirent, pour sûr, mais ils constatent également que c’est le portrait de leur voisin. Et le sens du partage, ce n’est pas quelque chose que leur attitude autorise. La dictature plurielle, ce n’est pas franchement un concept qui a de l’avenir (il éclate à nouveau de rire, provoquant l’agacement de Kim qui perd patience).

– Bon, ça va, j’ai compris. Votre tableau n’est pas très réjouissant en tout cas. Je ne sais pas comment o va être capable d’en choisir un dans le lot pour devenir officiellement le grand dirigeant sans provoquer une émeute générale. Et qu’est-ce qu’on va bien pouvoir foutre de tous les autres, qui rêveront sans doute de devenir calife à la place du calife ?

– Là je vous arrête mon cher. Je vous rappelle que je n’ai pas été choisi au hasard pour diriger ce camp. Mon expérience de la Révolution culturelle est particulièrement utile dans ce genre de situation. Eliminer les numéros deux, flatter les égos, pousser à l’autocritique, j’en connais un rayon sur le sujet. Et comme je ne peux pas les voir, je n’attends que ça pour pouvoir me venger. Et ce jour-là, ils comprendront pourquoi mon vrai nom est Mao, ha ha ha (nouveau rire gras ponctué de toux).

– Eh bien dans ce cas, il ne me reste qu’à vous souhaiter bon courage en attendant cette heure, et à prendre congé de vous.

Le major Kim ne pensait pas, en acceptant cette mission, découvrir un projet aussi gigantesque que le programme de clonage du Président pour l’éternité. Il n’avait jamais imaginé que son pays fut à la pointe de la technologie. Il doutait même des capacités nucléaires de Pyongyang, qu’il assimilait à de la pure propagande, même s’il s’était bien entendu toujours refusé à en parler à qui que ce soit. Mais après avoir vu ce dont les scientifiques de son pays sont capables en matière de clonage, il ne doute pas que l’arme nucléaire soit un défi à portée de main.

Bien sûr, il aurait préféré trouver des sites fonctionnant à merveille, des plans respectés scrupuleusement, et des sujets prêts à l’emploi. Et au lieu de cela, il a finalement découvert un vaste chantier dont la date de livraison reste hypothétique. Il a relevé de multiples imperfections, et son rapport, dont il a déjà les grandes lignes en tête, sera très critique. Pas uniquement par respect pour la demande officielle du cher dirigeant, mais simplement parce que c’est ce qu’il pense, et il n’a pas pour habitude de déformer la réalité. L’honnêteté est sa principale vertu.

Sans doute ruminera-t-il pendant quelque temps sur le fait qu’aucun des sujets qu’il a rencontrés n’est correctement programmé pour les hautes fonctions qui l’attendent, tandis que lui a toutes les qualités pour faire un dirigeant digne de ce nom. Qu’avec quelqu’un comme lui aux commandes, Pyongyang sans aucun doute dormirait sur ses deux oreilles. Mais Kim est avant tout un soldat dévoué et discipliné, qui sait accepter son sort sans jamais se plaindre. Il savait en acceptant cette mission, qu’il ne pouvait de toute façon pas refuser, qu’il lui faudrait passer par un camp de rééducation une fois le boulot terminé. Il est prêt à obéir, et à profiter de cet isolement pour conforter sa conviction intime que la Corée du Nord est éternelle, et que rien ne pourra la faire disparaître.

Et puis après tout, mieux vaut croupir pendant quelques mois au fond d’une cellule ou dans un camp de rééducation, en sachant qu’une médaille et sans doute une belle prime l’attendront à sa sortie, que de se prendre une balle dans la nuque, histoire de s’assurer qu’il ne parlera jamais. Il a fait son choix depuis longtemps, et il a appris à accepter sans broncher les petits inconvénients du régime.

Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.

The opinions expressed in this blog are personal and do not necessarily reflect the views of Global Brief or the Glendon School of Public and International Affairs.

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