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Un président pour l’éternité (11)

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Un président pour l’éternité (11)

Puisqu’il est difficile de savoir exactement ce qui se passe en Corée du Nord et dans l’entourage du clan Kim, le mieux c’est parfois de l’inventer… Voici mon roman sur la succession de Kim Jong-Il, onzième partie.

Chapitre VII

Le Conseil National de Sécurité n’est pas vraiment un club de bridge pour retraités sombrant dans l’ennui, et soucieux d’entretenir leurs cercles d’amis et faire des commentaires sur le monde et sa triste évolution autour d’une camomille légèrement sucrée et de langues de chat un peu ramollies. Ce cercle restreint regroupe tout le gotha de la politique américaine. Autour du président et de son conseiller pour la sécurité nationale, on trouve notamment le vice-président, le secrétaire d’Etat, et quelques conseillers très pointus travaillant sur différentes régions.

Le conseiller pour la sécurité nationale n’est pas du genre à prendre des pincettes pour énoncer les sujets à l’ordre du jour, surtout quand c’est lui qui a demandé une convocation du Conseil. Depuis qu’il a été nommé à ce poste prestigieux, il a imposé son style direct et sans équivoque, qui agace parfois au sein de l’administration, mais lui vaut régulièrement des louanges sur son sérieux et son efficacité.

Ce jour-là, devant l’assistance restée silencieuse, il se lance sans tarder, et tranche dans le vif du sujet :

– Nous avons un problème avec la Corée du Nord, Monsieur le président.

– Vous voulez parler de cette affaire de jumeaux ? Difficile de ne pas en avoir entendu parler en effet. C’est bizarre quand même, non ?

– Très bizarre, même, Monsieur le président. C’est pourquoi j’ai demandé à notre conseiller pour les questions asiatiques de nous faire une rapide présentation de la situation. Si vous voulez bien commencer monsieur le conseiller.

– Attendez, coupe le président. Je veux d’abord que vous me contactiez le président nord-coréen. J’ai deux-trois choses à lui demander sur le sujet. Je ne sais plus quel stratège chinois a dit qu’il fallait toujours connaître les positions de son adversaire avant de se lancer. Et puis je ne suis pas du genre à me priver du dialogue avec les autres, surtout quand il s’agit de nos adversaires. La politique de la main tendue et du dialogue, c’était d’ailleurs dans mon programme de campagne, je vous le rappelle. Et ça change bien de mon imbécile de prédécesseur d’ailleurs. Alors je vais l’appeler directement. Il sera bien surpris d’ailleurs. Appelez-le maintenant.

– Ah ça ce sera difficile, répond du tac au tac le conseille pour les questions asiatiques. Le président nord-coréen est mort.

– Comment ça il est mort. Vous vous foutez de moi ou quoi ? Je regarde les infos moi aussi. J’aurai été prévenu par CNN si le président nord-coréen était mort. Je sais que dans mon dos vous vous moquez souvent de mon inexpérience de la politique internationale, mais il ne faut pas me prendre pour un imbécile non plus.

– Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le président, c’est pourtant la vérité. Le président nord-coréen est mort il y a plus de quinze ans.

– Depuis quinze ans ? Mais alors qui est le nouveau ? Et ce Kim Yong-il qu’on voit s’agiter dans tous les sens ? Ce n’est pas lui ?

– Non, ce n’est pas lui.

– Bon alors si ce n’est pas lui, qui est-ce ?

– Personne, Monsieur le président. Le président défunt n’a jamais été remplacé.

– Bon d’accord, j’ai compris, c’était marrant, merci. Il n’y a pas de président en Corée du Nord. Mais alors qui dirige ce putain de pays au juste ? Qu’il n’y ait pas de dirigeant dans un pays comme la Belgique, où il ne se passe de toute façon pas grand-chose, ça passe encore. Mais la Corée du Nord, quand même ! Une dictature sans dirigeant, je ne suis pas sûr qu’on puisse toujours la ranger dans cette catégorie. Ça me semble assez évident. Ou alors mes cours de science politique ne valaient vraiment rien du tout.

– Monsieur le président, vos cours de science politique, dont j’étais d’ailleurs un des professeurs, si vous vous souvenez, étaient très bons. Le problème n’est pas là. Avec votre permission, je vais vous expliquer la situation. L’Assemblée populaire suprême est l’instance suprême du pouvoir. Mais c’est le comité de défense nationale, avec à sa tête Kim Jong-il, qui prend véritablement toutes les décisions. Il n’est pas pour autant chef de l’Etat, fonction « supprimée » en 1998, ou plus exactement décernée à Kim Il-song « pour l’éternité ». Il est par conséquent toujours officiellement le président de ce pays, mais vous comprendrez bien, Monsieur le président, et sans humour déplacé, qu’il ne sera pas très facile de le contacter. Kim Jong-il n’est donc « que » dirigeant suprême du régime. Kim Yong-nam, Président du Présidium de l’Assemblée populaire fait selon le protocole office de chef de l’Etat, mais est en réalité numéro 2 du régime.

– Ah je vois. Ce sont eux qui ont lancé ce programme de recherche sur l’immortalité.

– Non Monsieur le président. Ça, c’est au Kazakhstan.

– Et les mausolées avec des types réfrigérés ?

– Euh, il y en a plusieurs. Mao, Ho Chi Minh, et Kim Il-song lui-même, bien entendu.

– Oh, ok. Mais qu’est-ce qu’ils ont tous, ces dirigeants asiatiques, à vouloir rester au pouvoir éternellement.

– Si je peux me permettre, Monsieur le président, je ne pense pas qu’on puisse parler à cet égard d’une exception asiatique. Sans doute sont-ils juste un peu plus ambitieux, et ils vont au bout de leur idée.

– Mmm, c’est le moins que l’on puisse dire. Bon, si j’ai bien compris, c’est Kim Jong-il qui fait la pluie et le beau temps. Il n’y avait qu’à le dire dès le départ.

– C’est là que ça se complique, Monsieur le président. Selon nos informateurs, certains documents récents auraient été signés de la main du président nord-coréen.

– Attendez un peu. Je ne comprends plus rien du tout. Vous venez de me dire qu’il est mort.

– En effet, il y a plus de quinze ans, Monsieur le prés…

– Alors arrêtez de vous foutre de ma gueule. Vous êtes marrant, vous jouez au prof sur le retour ravi de rappeler à tout bout de champ que vous m’avez tout appris, mais il y a des limites. Ça suffit maintenant. Je vais finir par croire que vous n’êtes vraiment pas taillé pour le job. Je vais vous désigner comme envoyé spécial en Corée du Nord, ils vous apprendront de nouvelles plaisanteries là-bas !

Tandis que l’assistance cherche à retenir des éclats de rire, le vice-président, resté silencieux jusqu’alors, s’interpose.

– Monsieur le président, si je peux me permettre, le conseiller spécial ne se fout pas de votre gueule. Il se contente de vous faire un topo le plus précis possible d’une situation qui, je l’avoue, n’est pas des plus simples. J’ai eu moi-même l’occasion de me pencher dessus quand j’étais à la commission des affaires internationales du Sénat, et je sais à quel point c’est particulier.

– En fait, Monsieur le président, reprend le conseiller, Kim Il-song a été désigné, après sa mort, comme président pour l’éternité.

– Oui, ça vous me l’avez déjà dit. Je devrais d’ailleurs faire la même chose. Qu’en pensez-vous ?

Cette fois, l’assemblée ne se retient plus pour rire de bon cœur. L’atmosphère se détend enfin.

– Appelons Kim alors. Peu importe lequel. Le fiston, tiens. Et discutons entre gens raisonnables.

– Malheureusement, Monsieur le président, il est assez peu probable qu’il accepte de vous répondre. Depuis que votre prédécesseur l’a traité en public de nain, il n’est pas très disposé à communiquer avec nous.

(nouveaux éclats de rire de l’assemblée).

– Un nain ? Etait-ce une remarque simplement physique, ou une critique politique ? Parce qu’on ne parle pas de la même chose quand même…

– A mon avis, c’est un peu des deux, Monsieur le président.

– Je vois. Effectivement, je ne sais pas si c’est justifié ou non, mais c’est certain que ça n’aide pas vraiment pour relancer le dialogue ! Mais quand même, je n’ai jamais rien dit de méchant à son égard. Je ne le connais même pas, ce type. J’ai juste vu sa photo. Bon, c’est vrai qu’il n’a pas l’air très grand. Mais vous me connaissez, je ne suis pas du genre à m’arrêter à de tels détails. Mais d’où tenez-vous de telles informations au juste ?

– De Wikileaks, Monsieur le président.

– Ah, je vois. C’est assez fiable en effet. Plus fiable que les informations de nos services de renseignement en tout cas. Mais bon, je suppose que ce n’est pas un énorme problème. Je ne suis même pas du même parti politique que mon prédécesseur, alors je me doute bien que Kim est au courant que nous ne partageons pas les mêmes vues sur la relation avec son pays…

– Je ne suis pas sûr qu’il fasse la distinction entre votre prédécesseur et vous-même aussi facilement, Monsieur le président. Il n’est pas du genre à s’embarrasser de détails de ce type. Républicains ou Démocrates, c’est du pareil au même pour lui.

– Eh bien il en a de la chance. J’aimerais bien être à sa place, décidément. Pas d’opposition au Congrès, pas de presse critique de mes moindres faits et gestes, et surtout pas d’anciens présidents qui commencent à sucrer les fraises ou ne ratent pas une occasion de me critiquer que je dois me coltiner lors des grandes réceptions, et tout ça en gardant le sourire en plus.

(nouveaux rires).

– Bon, revenons aux choses sérieuses. On n’est pas là pour déconner. Si j’ai bien compris, on ne pourra pas dialoguer directement avec eux. Ça ne va pas nous aider. Dites m’en un peu plus sur ce président fantôme.

– Bien Monsieur le président. Il s’illustra pendant la Seconde Guerre mondiale, en menant la résistance communiste contre les forces d’occupation japonaises. Après la guerre, il bénéficia du soutien de Moscou, et en 1948, quelques jours après la proclamation de la République de Corée, il proclama de son côté la naissance de la République Démocratique de Corée, occupant le nord de la péninsule. Il en fut le président jusqu’à sa mort en 1994, et c’est quelques années plus tard qu’il reçut le titre de président pour l’éternité. Je sais que ça semble un peu idiot, présenté tel quel, mais il faut avoir en tête que Kim Il-Song reste dans l’esprit des Nord-coréens plus qu’un chef d’Etat, il le héros de la résistance face au Japon puis aux forces internationales conduites par les Etats-Unis, et sa mort subite fut un véritable drame national. Fondateur de toutes les institutions du pays, il avait des convictions profondes et croyait en une réunification de la péninsule sous l’égide du socialisme. Cela en faisait un dirigeant dangereux, car susceptible de s’engager dans des actions politiques sans anticiper les conséquences – comme ce fut le cas en 1950 quand il se lança dans l’offensive contre le Sud –et parfois simplement pour des raisons idéologiques. Il y avait quelque chose d’imprévisible en lui, et plusieurs de vos prédécesseurs durent d’ailleurs y faire face.

– Et celui qui est à la tête du pays actuellement, même s’il n’en est pas le président ? Le « nain », puisque c’est ainsi qu’il a été identifié dans ces murs ? Il est tout aussi imprévisible ?

– Non Monsieur le président. Père et fils ont des caractères très différents. Kim Jong-il est nettement moins idéologiquement marqué, et semble plus soucieux de préserver ses acquis. Avec lui, on sait que toutes les provocations ont un but bien précis, et font partie d’une stratégie de survie du régime.

– Et sur ce coup-là, quelle est la stratégie dans ce cas ?

– C’est là tout le problème Monsieur le président. Kim a l’habitude de déclencher des crises, puis de faire des déclarations menaçantes forçant ses interlocuteurs à s’asseoir à la table des négociations. Mais dans l’état actuel des choses, il a été pris de court, et nous attendons encore un signe de sa part, qui devrait arriver sous peu.

– Et ça pourrait se manifester de quelle manière exactement ?

– Avec lui, tout est possible. Une attaque contre des cibles sud-coréennes, l’enlèvement de citoyens japonais, un nouvel essai nucléaire…

– Un essai nucléaire ? Il est capable d’aller jusque là pour une affaire de ce genre ?

– Oui, Monsieur le président. Il y a même une forte probabilité que ce soit cette option qui soit finalement choisie. Et c’est là tout le problème, et la raison pour laquelle il nous faut engager une action préventive.

– Une action préventive ? Encore ? Vous ne croyez pas qu’on a suffisamment déconné de ce côté ?

– Je sais, Monsieur le président. Mais cette fois, nous ne nous engageons pas dans l’inconnu, et je peux vous assurer qu’il se passe vraiment quelque chose en Corée du Nord. Nous bénéficions de quelques informations à ce sujet.

– Encore Wikileaks ?

– Non, pas cette fois. Au cours des derniers jours, un de nos satellites espions a repéré un véhicule qui s’est successivement rendu dans tous les sites suspectés d’héberger des activités nucléaires illicites. Je vous communique ici le rapport complet à cet égard. Les preuves sont irréfutables Monsieur le président.

– Attendez, vous êtes en train de me dire que nos satellites ont pu suivre, à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de distance, une voiture traversant la Corée du Nord ?

– Affirmatif, Monsieur le président.

– Eh bien, c’est impressionnant. Et quand je pense qu’il y a des mauvaises langues pour dire que les Américains ne sont plus à la pointe de la technologie. Je me demande bien combien sont capables d’accomplir des exploits pareils. Quand je pense à toutes ces mauvaises langues qui nous traitent d’incapables et de menteurs, et se moquent de notre équipement vieillissant. Voilà une belle réponse à tous ces défaitistes. L’Amérique est encore la seule nation qui peut accomplir de tels prodiges. Et tout ça, c’est grâce à notre esprit d’initiative. C’est parce que nous sommes des entrepreneurs. Vous allez m’appeler les responsables de la surveillance par satellites pour les féliciter. Et je veux que vous préveniez les médias. Depuis les preuves de la prolifération nucléaire irakienne présentées à l’ONU, personne ne nous fait plus confiance. Eh bien je peux vous dire que tout cela va changer !

– Euh, en fait Monsieur le président, et pour être tout à fait honnête, il ne s’agit pas vraiment d’une prouesse.

– Et pour quelle raison je vous prie ?

– Eh bien il n’y avait qu’une seule voiture se déplaçant dans la région. A l’exception des camions citernes qu’on observe de manière permanente dans le périmètre du site de Taechon depuis deux ans, et dont on ignore totalement la raison. Et c’est suffisamment rare pour que ça ne nous ait pas échappé. Il y a tellement peu de voitures qui circulent dans tous ce pays qu’on ne les loupe pas en général.

– Oh, je vois. Mais tout de même, nous avons réussi à la voir. C’est déjà pas mal non ?

– Eh bien, c’est un peu la fonction d’un satellite d’observation, si je peux me permettre…

– Vous voyez, des défaitistes ! Je suis entouré de défaitistes. Vous avez de la chance que je sois plus pragmatique que mes prédécesseurs. Parce que j’en connais certains qui auraient pété les plombs rien qu’à vous entendre. Mais moi, je suis plutôt genre style collégial. Je suis à l’écoute de mes collaborateurs. Et je les respecte aussi, même quand ils ne sont pas d’accord avec moi, et même quand ils sont plus pessimistes que les indicateurs économiques. Je vous le dis, vous avez beaucoup de chance d’avoir un président comme moi.

– Nous le savons parfaitement, Monsieur le président. Et croyez-le bien, c’est pour cela qu’on a toujours souhaité travailler avec vous. Nous cherchons simplement à ne pas vous induire en erreur. Cette crise est grave. Sans aucun doute la plus grave depuis que vous êtes entré à la Maison-Blanche. Et qui sait, ce sera peut-être la plus grave de tout votre mandat. On veut juste vous fournir tous les éléments, afin que vous puissiez prendre les décisions en connaissance de cause. C’est pourquoi nous vous avons préparé un topo complet de la Corée du Nord, qui vous permettra de mieux saisir les particularités de ce pays.

– Vous voulez dire que vous allez encore me bassiner à me rappeler l’historique des relations entre les Etats-Unis et ce pays que personne ne peut de toute façon situer sur une carte. Parce que si c’est le cas, passons tout de suite aux choses sérieuses.

– Non, non. Nous souhaitons faire le point avec vous sur les capacités défensives de ce pays, au cas où vous décideriez de lancer l’offensive, par prévention. C’est pourquoi Monsieur le secrétaire à la Défense va présenter rapidement un état des lieux des forces nord-coréennes.

– La guerre préventive, nous y revoilà donc. Vous savez bien que ce n’est pas trop mon truc, mais bon, il ne faut jamais rien exclure. Allez-y.

Resté jusqu’alors silencieux, et attendant comme toujours son heure sans broncher, le Secrétaire à la Défense, d’une voix grave, se met à réciter le texte de sa présentation.

Monsieur le président, les informations que je m’apprête à vous communiquer sont classifiées top-secret défense, et ne sont pas connues à l’extérieur du nombre de personnes qui compose cette salle. Si jamais un site Internet quelconque met la main dessus et les divulgue au grand public, nous saurons qu’il y a une taupe parmi nous. Ces informations sont inédites. Afin de les recouper, nous avons eu recours à plusieurs sources, les services secrets sud-coréens, japonais et russes, et bien entendu nos propres moyens de renseignement. Nous nous sommes également efforcés de recenser les anciennes activités connues de la Corée du Nord en matière de défense, et avons établi des projections qui permettent de dresser des scénarios des possibilités dont dispose désormais ce pays. Il se peut que certaines de ces informations soient erronées, la plupart étant quasiment invérifiables, mais dans l’ensemble, je peux vous assurer que cette description s’appuie sur des sources fiables. Il se peut aussi que les projections que nous avons établies ne tiennent pas compte de l’ensemble des éléments, mais là encore, la marge d’erreur est assez limitée. Les stagiaires que j’ai personnellement mobilisés pour ces recherches sont très talentueux, alors je suis très confiant dans le résultat.

Les capacités offensives de la Corée du Nord s’appuient sur un réseau de tunnels creusés au cours des dernières décennies, et dont il est difficile de connaître l’étendue avec exactitude, et ce malgré toutes les informations dont nous disposons. Les Nord-coréens ont développé une stratégie massive de construction de tunnels d’acheminement sous la zone démilitarisée dont seuls les derniers mètres n’auraient pas été achevés. Ces tunnels sont destinés acheminer rapidement et en secret, avant le début des opérations, des unités et du matériel jusque dans le territoire ennemi. Quatre tunnels ont été découverts par la Corée du Sud et nos propres troupes en 1995, mais il en existerait plus d’une vingtaine sous la zone démilitarisée. Grâce à ce pré-positionnement et au réseau de tunnels, la Corée du Nord pourrait hypothétiquement lancer une attaque surprise qui laisserait moins de six heures d’avertissement à ses adversaires. Largement assez de temps pour foncer jusqu’à Séoul et déstabiliser tous nos dispositifs de défense. Mais ce n’est pas tout. Cette stratégie de l’enfouissement, qui comme pour le reste est inspirée de la stratégie chinoise, et qui constitue l’un des moyens de survie les plus simples et les moins coûteux à mettre en place, a également pour objectif de stocker massivement sur place, dans un important réseau de bunkers, les réserves de munitions, de pétrole, de lubrifiants, de nourriture et de pièces détachées nécessaires au combat ainsi que de protéger l’ensemble des matériels, usines d’armement et centres de commandement nécessaires aux opérations militaires. D’après les informations que nous avons recoupées, il existerait ainsi plus de 300 installations souterraines dans une zone de 10 km au nord de la zone démilitarisée. Par ailleurs, l’enfouissement permet également de préserver le secret dans le cas des missiles ou des armes de destruction massive, permettant ainsi à la Corée du Nord de jouer de l’incertitude concernant ses capacités réelles. En cas d’attaque, les réseaux d’abris souterrains permettent également de préserver les capacités de production à l’arrière et plus de 130 usines d’armement seraient souterraines.

Nous avons, avec votre prédécesseur, réfléchi aux moyens de neutraliser ces tunnels et le matériel qui y est hypothétiquement stocké. Nous avons notamment pensé à faire usage de missiles de pénétration anti-bunkers de dernière génération, équipés d’ogives nucléaires, mais mes collègues du Département d’Etat se sont indignés de la possibilité d’avoir recours à de telles armes, et des effets que cela engendrerait en terme d’image. Je fais ici un aparté, Monsieur le président, pour vous signaler que rien ne nous forcerait à informer l’opinion publique de la nature des armes utilisées et que, si certains scientifiques un peu trop curieux révèlent par la suite des activités nucléaires, nous pourrons toujours nous défendre en arguant que ce sont des armes nord-coréennes stockées dans les tunnels qui, en explosant, ont été à l’origine des fuites radioactives. Bref, on peut toujours dire ce qu’on veut, et personne n’en saura jamais rien.

Mais bon, je poursuis sur les capacités nord-coréennes supposées. Prenant en compte la faiblesse de leurs capacités conventionnelles et logistiques, les stratèges nord-coréens privilégient comme vous l’avez compris une stratégie d’attaque surprise violente et rapide couplée à une pression terroriste fondée sur la possession d’armes de destruction massive censée interdire une intervention américaine et obtenir un effondrement rapide de la volonté de résistance de la Corée du Sud. En d’autres termes, les Nord-coréens pourraient se lancer dans une sorte de blitzkrieg. Dans le contexte d’une action offensive menée contre le Sud, l’utilisation des armes de destruction massive pourraient permettre d’exploiter le facteur de la terreur et de la démoralisation de l’adversaire.

Dans ce contexte, le programme balistique de la Corée du Nord, ainsi que le développement d’armes de destruction massive d’ailleurs, apparaissent – tout comme les actions que nous qualifions de terroristes menées dans d’autres régions – comme la réponse asymétrique aux capacités militaires très supérieures de la Corée du Sud, ainsi que les nôtres, bien entendu. Mais si l’on suppose que le premier objectif du régime nord-coréen demeure la préservation du statut et des privilèges de l’élite, ce qui semble plus que probable, c’est la fonction de force de coercition et de moyen de chantage des capacités balistiques et de destruction massive de la Corée du Nord qui est essentielle. Les menaces de dérapage militaire et les tactiques de négociations diplomatiques visant à gagner du temps sont utilisées d’une manière complémentaire par la Corée du Nord pour obtenir un gain maximum, et sont ainsi à inscrire dans le cadre d’un grand marchandage. Dans cette hypothèse, si les risques d’un conflit armé restent généralement faibles, en raison de l’inégalité des moyens, et sont intrinsèquement liés à la disparition de l’élite nord-coréenne et de ses privilèges, les possibilités de véritables accords à long terme et de mise en place de mesures de confiance le sont tout autant puisqu’elles ôteraient à la Corée du Nord son principal moyen de pression et donc de survie.

Dans ce décor, deux options s’offrent à nous, et elles se répartissent comme suit :

1- Nous choisissons de continuer à négocier avec Pyongyang, quitte à ne pas évoquer de manière trop forte l’affaire des clones, afin de ne pas attiser le feu, et jouer le jeu du régime. Cette option nous garantirait la sécurité dans la péninsule et la reprise des négociations sur le court terme. Mais elle serait incontestablement considérée comme une victoire diplomatique à Pyongyang, et ne pourrait qu’inciter ce pays à poursuivre sa stratégie du chantage dans les prochaines années. C’est l’option statu quo, avec ses avantages et ses inconvénients.

2- La seconde option consiste à jouer la carte de la fermeté, mais sans fermer la porte au dialogue. C’est l’option que vous avez choisi, Monsieur le président, en arrivant à la Maison-Blanche, et celle que nous avons mise en œuvre depuis. Cette stratégie nous assure le soutien des voisins de la Corée du Nord, et nous permet de ne pas nous exposer de manière trop brutale aux critiques des milieux conservateurs, qui souhaitent plus d’action. Le problème, et je l’ai déjà soulevé à plusieurs reprises dans nos discussions précédentes, est que nous ne disposons pas de plan B au cas où cette stratégie s’avèrerait inefficace.

J’ajouterai à ces deux options une troisième, qui serait de lancer l’offensive par surprise, et de décapiter le régime nord-coréen dans les meilleurs délais. Je sais, Monsieur le président, que c’est une option que vous ne favorisez pas, mais je l’expose malgré tout. Dans le cas d’un conflit avec la Corée du Nord, la victoire est assurée, et elle sera rapide, les capacités de défense de ce pays ne lui permettant pas de résister longtemps. Il demeure cependant une incertitude de taille quant aux capacités balistiques et nucléaires, que j’ai évoquées précédemment, dont ce pays dispose. Et dans ce cas, la situation est très simple : Si la Corée du Nord ne dispose pas de missiles de longue portée, elle peut se rabattre sur nos alliés dans la région, et causer des dégâts considérables. Nous pourrons toujours expliquer qu’il s’agit du prix à payer, et notre opinion publique ne nous en tiendra pas rigueur. Par contre, si la Corée du Nord dispose de missiles balistiques intercontinentaux, et de charges nucléaires, nous devons nous préparer au pire…

En clair, Monsieur le président, nos choix sont assez limités à l’heure actuelle, comme vous pouvez le constater.

Le président des Etats-Unis, resté silencieux tout au long de l’exposé, bien que montrant quelques signes d’agacement, peut enfin reprendre la parole.

– Merci Monsieur le secrétaire à la Défense. Je ne suis pas certain d’être d’accord avec l’ensemble des points de votre exposé, mais j’apprécie votre honnêteté et la clarté de votre présentation. Un détail m’échappe cependant. Vous préconisez la fermeté et, éventuellement, l’usage de la force, ce à quoi je ne m’oppose pas de manière catégorique. Mais qu’en est-il de la gestion de la Corée du Nord une fois le régime tombé. Parce que vous vous doutez bien que je ne compte pas m’arrêter en chemin, et laisser ce pays dans le chaos.

Le Secrétaire d’Etat lève la main de manière insistante, demandant à intervenir sur ce point.

– Monsieur le président, si je peux me permettre, c’est là tout le problème. La population nord-coréenne vit déjà dans une grande pauvreté, et un conflit ne ferait qu’aggraver la situation. Le renforcement des sanctions créerait lui-même une situation d’urgence sanitaire pour ce pays de 23 millions d’habitants, aux conséquences incertaines.

– Vous voulez donc dire que l’option militaire est risquée.

– Non, ce n’est pas ce que je veux dire, et je vois déjà mes collègues du Pentagone lever les yeux au ciel d’agacement. Je ne veux pas jouer ici le rôle de la colombe incapable de prendre des décisions pour des questions d’états d’âme. Mais je demande simplement qu’on considère cette situation avec le plus grand sérieux, d’autant que vous avez manifesté, Monsieur le président, le souhait d’une stratégie à la fois claire, mais surtout bien ficelée, qui ne nous conduise pas dans des aventures périlleuses auxquelles nous avons été, si vous me le permettez, trop souvent exposés.

– Bien, je comprends votre point de vue. Selon vous, quelles sont les conséquences possibles ?

– Voilà la situation. Si le régime nord-coréen tombe, c’est 23 millions de personnes qui vont vouloir migrer immédiatement vers le sud de la péninsule, où le niveau de vie est, comme nous le savons tous ici, infiniment supérieur. Ce n’est pas une situation que nous pouvons comparer avec la réunification allemande, car le décalage entre les deux entités est très largement supérieur, et créerait un véritable précédent. Cette perspective est prise très au sérieux chez nos alliés sud-coréens, qui estiment finalement que le statu quo est peut-être la moins dangereuse des options, et la plus prévisible en tout cas.

– Je comprends bien. Mais on ne peut pas les empêcher d’aller au sud ?

– C’est effectivement quelque chose que nous pouvons envisager, Monsieur le président, d’autant que nous disposons déjà d’une ligne de démarcation pratiquement infranchissable, que nous n’aurons qu’à renforcer un peu des deux côtés. Nous pouvons même envisager de dépêcher sur place quelques minutemen actuellement stationnés le long de la frontière mexicaine, et bien expérimentés en la matière. Ce qui au passage nous permettrait de faire coup double, en nous débarrassant d’eux…

– Voilà un scénario qui me plait bien ! Mais les Nord-coréens, que vont-ils faire dans ce cas ?

– Selon toute probabilité, Monsieur le président, ils vont chercher à passer la frontière qui les sépare de la Chine.

– Je vois. Et les Chinois, qu’est-ce qu’ils en disent ?

– Eh bien ils ne voient pas vraiment ça d’un bon œil. Evidemment, digérer 23 millions de réfugiés est nettement plus facile pour eux que pour les Sud-coréens. Après tout, ça ne représente qu’une goutte d’eau en comparaison avec leur immense population. Mais leur politique des minorités n’est pas franchement orientée dans une direction de ce type, et s’inquiète de voir des populations coréennes augmenter de manière substantielle. En bref, Pékin ne veut pas vraiment des Nord-coréens, et privilégie donc également le statu quo.

– Alors comme ça ils n’en veulent pas ? Et s’ils n’ont pas le choix, que feront-ils ?

– Ils ne pourront pas faire autrement que de les accepter. Vu qu’ils ne cessent de répéter qu’ils sont les seuls à entretenir des relations amicales avec Pyongyang. Et si on ajoute à cela le fait que la Chine veut jouer les premiers rôles au niveau régional, et faire la démonstration de sa capacité dans tous les domaines… Même à reculons, Pékin acceptera les réfugiés nord-coréens.

– Et quelles pourraient en être les conséquences ?

– Soyons clairs. Ce n’est pas franchement une bonne nouvelle pour la Chine. Et à cet égard, ce n’est pas que le bilan comptable qui a son importance. Les Nord-coréens ne sont pas adaptés aux sociétés contemporaines, et ils risquent de se retrouver comme des orphelins n’ayant plus le moindre repère. La Chine n’aura pas uniquement à gérer un flux d’immigrés important, mais une véritable colonie d’enfants dont elle ne saura pas vraiment quoi faire.

– C’est donc un véritable dilemme pour Pékin.

– Franchement, oui.

– Et nous devrions donc avoir toutes les raisons de nous en réjouir, non ?

– Il est vrai, Monsieur le président, que tout ce qui peut poser problème à Pékin est plutôt positif pour nous, surtout dans le contexte actuel qui ne nous est guère favorable.

– Ah, voilà enfin une bonne nouvelle ! Mais n’y-a-t-il pas un risque que la Chie refuse les réfugiés, et fasse exactement la même chose que nous le long de sa frontière ?

– C’est une possibilité que nous ne pouvons exclure, Monsieur le président. Mais c’est cependant relativement peu probable, car Pékin souhaiterait profiter de cette crise sanitaire pour renforcer son prestige sur la scène internationale, et montrer à sa population à quel point leur pays est généreux. Nous avons étudié la question, et penchons pour un soutien très fort aux réfugiés, et un accueil généralisé, même si celui-ci sera extrêmement coûteux pour le régime chinois.

– Et s’ils s’avèrent finalement être de bons réfugiés ?

– Je suis désolé, Monsieur le président, mais je ne suis pas sûr de bien vous comprendre.

– Oui, désolé, je ne suis pas très clair. Je ressors d’une réunion avec des élus conservateurs qui m’ont bassiné pendant deux heures avec la question des immigrés clandestins sur notre territoire, alors ça a dû déteindre un peu sur moi… Je veux dire que nous prévoyons que les réfugiés nord-coréens affaibliront la croissance économique chinoise. C’est bien ça ?

– Absolument, Monsieur le président.

– Et ma question est de savoir ce que l’ont fait s’ils ne sont finalement pas si incapables que cela, et renforcent même l’économie chinoise, notamment en boostant les chiffres de la croissance intérieure. Parce qu’avouez que depuis le temps qu’on prédit la faillite de la Chine et qu’elle continue de s’enrichir de plus en plus, on finit par se poser de sérieuses questions sur les prévisions de nos analystes travaillant sur ce pays.

– Vous avez parfaitement raison, Monsieur le président, et je partage entièrement vos réserves. Aussi ai-je demandé un rapport complet sur les habitudes des Nord-coréens.

– Et ce sont des stagiaires qui s’en sont chargés, comme dans le cas du Pentagone ?

– Non, Monsieur le président. Nos meilleurs experts ont été mobilisés sur ce projet.

– Et quelles sont les conclusions ?

– Les Nord-coréens vivent dans l’isolement le plus complet depuis maintenant près de sept décennies. En, d’autres termes, et à l’exception de quelques rares vieilles personnes, dans un pays où l’espérance de vie est faible, qui ont connu l’occupation japonaise, personne n’a vécu dans un monde autre que celui façonné par Kim Il-song.

– En effet. Mais jusque là, pas franchement besoin d’être un expert reconnu pour arriver à de telles conclusions !

– Cet isolement a eu pour effet, Monsieur le président, de créer des habitudes de consommation propres à la population nord-coréenne. D’ailleurs, la quasi intégralité des produits de ce pays sont fournis par le régime, et il n’y a donc pas de commerce en tant que tel. On leur livre des vêtements, de la nourriture, et il leur faut des autorisations spéciales pour se procurer des biens de consommation comme une radio ou une télévision.

– C’est sûr que c’est un peu aux antipodes de notre monde. Les gens ne vivent pas à crédit en Corée du Nord, si j’ai bien compris.

– Non, Monsieur le président, et c’est effectivement un point qui les distingue très nettement de nous. Mais aussi des Chinois, qui sont devenus de plus en plus consommateurs, surtout depuis ces dernières années. Dans ces conditions, nous pouvons prédire que l’adaptation de cette population sera difficile dans une société de consommation, d’autant que, pour des raisons linguistiques essentiellement, les Nord-coréens ne se mêleront que très peu aux Chinois, et ne modifieront donc pas leurs habitudes au contact d’autres personnes. On risque ainsi de voir une population de plusieurs millions de personnes vivre dans une sorte de bulle. J’ajoute à cela le fait qu’il est hautement probable que tous ces réfugiés cherchent à quitter la Chine au plus vite pour rejoindre la Corée du Sud. Il faudra donc pour la Chine renforcer ses contrôles à la frontière, au risque d’apparaître comme un foyer d’insécurité dans la région, et le régime ne veut certainement pas de ce type d’image.

– Vous êtes donc en train de me dire que l’intégration des Nord-coréens en Chine sera un échec.

– De manière quasi certaine, oui, Monsieur le président. Mais il est évident qu’avec les Chinois, on n’est jamais sûrs de rien…

– Voilà qui est intéressant. Mesdames et messieurs, je vous remercie pour cette réunion éclairante. Notre pays exige une réponse claire face à la crise nord-coréenne, et les éléments que vous m’avez fournis me permettent de définir avec plus de précision la politique que nous devons suivre, associant fermeté et volonté de ne pas trop pousser à la guerre, car c’est bien ce que nous voulons éviter.

Au sortir de la réunion du Conseil National de Sécurité, le Président des Etats-Unis donna une conférence de presse dans lequel il somma les autorités nord-coréennes de faire toute la lumière sur les évènements récents, sans quoi la crise pourrait rapidement évoluer vers une escalade militaire. Il a également annoncé l’envoi d’un porte-avion au large de la péninsule coréenne, et le renforcement des sanctions frappant Pyongyang. Il a enfin rappelé l’importance du partenariat stratégique que les Etats-Unis ont bâti avec le Japon et la Corée du Sud, et assuré ces deux pays d’une protection dans le cas d’une agression nord-coréenne, avant de conclure en invitant Pyongyang à renouer le dialogue, sous peine d’en payer le prix, et de rappeler que Dieu bénit les Etats-Unis d’Amérique.

Les médias du monde entier commentèrent cette annonce comme la preuve de la détermination de Washington, et seules quelques voix s’élevèrent pour moquer un discours convenu et masquant les véritables orientations stratégiques de Washington dans la région, qui ne sont pas clairement arrêtées, restent chaotiques, et font finalement le jeu de Pyongyang plus qu’autre chose.

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