De Michael Chang à Na Li : une certaine fierté chinoise
Il y a 22 ans, le jeune tennisman américain Michael Chang de parents taiwanais entrait dans l’histoire en remportant les internationaux de France de Roland-Garros. Non seulement il devenait le plus jeune lauréat de l’épreuve (et d’un tournoi du Grand Chelem) à 17 ans, mais il était aussi le premier sportif asiatique à s’imposer dans un tournoi de ce niveau (et accessoirement le premier américain à remporter les internationaux de France depuis 1955). Son profil atypique et son parcours exceptionnel, qui le vit battre Yvan Lendl ou Stefan Edberg, monopolisa l’attention des médias sportifs pendant une quinzaine, tandis que leurs confrères de l’actualité suivaient de près les évènements de la place Tian Anmen. Né dans le New Jersey, Chang n’avait bien entendu pas grand-chose à voir avec les jeunes étudiants chinois manifestant pour des réformes politiques dans leur pays, mais sa victoire, le lendemain du terrible 4 juin, sonnait forcément comme un symbole. Michael Chang avoua lui-même avoir été scotché devant son téléviseur dans les heures qui précédèrent sa finale, et considéra après coup que sa victoire redonnait un peu de baume au cœur aux Chinois du monde entier. Des années après son exploit, il estima même que Dieu l’avait sans doute aidé à remporter ce tournoi, comme pour marquer le lien entre sa victoire sportive et la détresse de la jeunesse chinoise qui avait besoin de nouvelles un peu moins moroses. Chang reste à jamais gravé dans les mémoires comme un symbole de fierté pour les Chinois, et jamais tennis et géopolitique ne se conjuguèrent autant qu’en juin 1989.
Na Li n’a en commun avec Michael Chang que le tennis et ses origines ethniques. Mais comme lui, elle est devenue samedi 4 juin 2011 la première asiatique à remporter un tournoi du grand chelem, et comme lui, elle accomplit son exploit à Roland-Garros. Mais Na Li est chinoise, et son histoire ne saurait être comparée à celle de Chang. A 29 ans, elle a attendu la fin de sa carrière pour briller, après avoir été, il y a seulement cinq mois, la première chinoise en finale d’un tournoi du Grand Chelem, à Melbourne, où elle fut battue par la Belge Kim Clijsters. Et la Chine de Na n’est plus celle que regardait Chang à la télévision. 22 ans de croissance économique ininterrompue, des exploits sportifs qui ne font que s’accumuler depuis quelques années, un sentiment de fierté retrouvée… La victoire historique de Na Li a d’ailleurs sans surprise réveillé, comme c’est devenu au cours des dernières années la coutume en Chine en matière sportive, un sentiment patriotique exacerbé. Les médias se montrent dithyrambiques, là où la victoire de Chang n’avait pas, contexte oblige (plus que le fait que Chang ne soit pas chinois, cela étant souvent accessoire dans la rhétorique du régime), suscité le même engouement. Les Chinois sont fiers de leur championne, et ils le font savoir haut et fort.
C’est cependant surtout du côté de la politique que les choses ont bien changé depuis 1989. Un tel constat semble à première vue déplacé, voire iconoclaste, compte-tenu du fait que le régime n’a pas subi la moindre transformation. Mais c’est l’attitude des jeunes chinois qui, en 2011, n’a plus grand-chose à voir avec 1989. Si certains manifestèrent en marge du printemps arabe, la grande majorité des jeunes chinois s’est enfoncée dans un individualisme que le bien-être assuré par la croissance économique alimente. La contestation est bien loin, et on loue au contraire les mérites de la nation chinoise quand celle-ci s’illustre, sur les terrains sportifs comme dans d’autres décors. La fierté chinoise de Chang gagnant Roland-Garros était celle de l’espoir d’une jeunesse en quête de repères ; celle qui accompagne la victoire de Na Li est emprunte d’un sentiment de supériorité.
La championne n’est pas à blâmer. D’ailleurs, si elle reconnaît que sa victoire est un évènement en Chine, elle refuse d’être instrumentalisée par les autorités. Un peu rebelle et au franc parlé, elle a même rappelé à plusieurs reprises comment sa vie a changé depuis qu’elle a les mains plus libres, et peut suivre le circuit professionnel sans devoir rendre en permanence des comptes. Car son parcours ne fut pas une marche glorieuse vers le court Philippe Chatrier. Na a même arrêté sa carrière pendant deux ans, pour suivre une formation de journaliste. Comme un symbole, le hasard du calendrier a fait que la victoire de Na Li est tombée le jour du 22ème anniversaire des évènements de la place Tian Anmen, preuve sans doute qu’elle a bien fait de reprendre le tennis plutôt que de suivre une carrière journalistique qui ne lui aurait pas offert la même reconnaissance en un jour si particulier.
Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
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