Quand Mahan inspire la Chine
Dans la littérature de plus en plus abondante aux Etats-Unis sur le développement des forces navales chinoises, l’ouvrage de Toshi Yoshihara et James Holmes se distingue à deux titres. Les deux auteurs se lancent tout d’abord dans un décorticage rigoureux de la stratégie maritime de la Chine. Ils ne tombent pas dans la description de l’arsenal chinois, les projets en cours et l’état de la modernisation des forces navales chinoises (People’s Liberation Army Navy – PLAN) qu’on retrouve trop souvent, mais cherchent à comprendre l’influence sur Pékin du théoricien américain Alfred Thayer Mahan, qui il y a plus d’un siècle inspira avec sa notion de sea power les développements maritimes américains. Ce constat, déjà dressé par de nombreux auteurs, et qui s’appuie sur la stratégie navale de la Chine depuis un quart de siècle, a généralement établi un parallèle entre la Chine d’aujourd’hui et le Japon impérial, que Mahan a également inspiré. Mais Yoshihara et Holmes voient plutôt dans le développement de la marine chinoise une volonté très affirmée de défendre les voies d’approvisionnement, et donc de faire de l’économie l’élément central de cette stratégie, prenant ainsi Mahan au mot. En ce sens, la Chine reproduirait plus l’exemple de l’Allemagne de Guillaume II, voir même des Etats-Unis eux-mêmes, que celui du Japon du début du XXème siècle, et ils seraient de cette manière de bien meilleurs élèves du théoricien américain que ne le furent leurs voisins nippons.
Bien entendu, les auteurs ne négligent pas l’apport, au niveau tactique surtout, des stratèges chinois, aux premiers rangs desquels Sun Zu et Mao Zedong. Associés au sea power de Mahan, les préceptes de ces théoriciens de la guerre (Sun) et de la guérilla (Mao) constituent la singularité navale chinoise. En décortiquant concepts, tactiques et formations, Yoshihara et Holmes mettent l’accent sur ce décalage intéressant entre de très fortes ambitions navales et le développement de moyens adéquats d’un côté, et le souci de ne pas modifier en profondeur une approche stratégique « à la chinoise ».
L’autre particularité de ce livre est de s’interroger sur les implications de la modernisation de la PLAN pour la stratégie navale américaine. Là encore, pas de longues descriptions ni de présentations laborieuses des systèmes d’armes et de leur nombre, mais une véritable réflexion sur les possibles adaptations et réponses des Etats-Unis. Les auteurs ne posent pas ainsi la question du déclin de la présence navale américaine dans le Pacifique, à l’inverse de nombreux autres analystes, mais s’interrogent sur les stratégies que Washington doit adopter pour accompagner la montée en puissance chinoise, et éviter qu’elle ne s’érige comme une véritable menace pour le leadership américain, même si Yoshihara et Holmes estiment pour l’heure exagérées les thèses faisant état d’une menace maritime chinoise.
Toshi Yoshihara et James R. Holmes, Red Star Over the Pacific. China’s Rise and the Challenges to U.S. Maritime Strategy, Annapolis, Naval Institute Press, 2010, 312 pages.
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