La démocratie
J’ai une petite question, bien simple, cette semaine : la démocratie est-elle possible dans les États du Moyen-Orient ? Bon, d’accord, la question n’est peut-être pas si facile que cela ! J’observe avec attention, comme vous tous sans doute, les manifestations en Égypte, dans les autres pays de la région, et la période de transition en Tunisie. Ce que l’on voit est à la fois fascinant et inquiétant. Protester, se lever et vouloir prendre sa place, demande énormément de courage lorsqu’on a vécu sous le joug de l’oppression pendant de nombreuses années. Bravo ! Ces soulèvements populaires, toutefois, génèrent aussi de nombreuses questions. Il y a, bien entendu, tous les enjeux géostratégiques. Le gouvernement israélien semble être en état de panique. De mon côté, je suis bien plus intrigué par les possibilités de démocratisation.
Je vous le dis immédiatement, je ne connais pas la réponse à la question posée en début de blog. Je ne suis pas certain que quiconque le sache vraiment. Nous ne le savons pas parce qu’il n’y a pas de démocratie existante, tout au moins dans son sens occidental, dans le monde arabo-musulman. Je suppose que le Liban s’en rapproche, mais ce pays n’est évidemment pas un exemple de stabilité politique. La Syrie est un autre exemple potentiel, si nous acceptons qu’une démocratie puisse exister malgré la dominance complète d’un seul parti politique. Cela est devenu un objectif de l’occupation au fil des ans, faire de l’Irak un État de droit, qui pourrait rayonner et être un exemple de démocratie à travers le Moyen-Orient. L’Irak progresse, mais il ne faut rien exagérer. La région en tant que telle n’est pas stable politiquement. En ce sens, je suppose qu’il ne soit pas surprenant que l’on y retrouve pas de démocratie bien établie.
Si nous sortons de la région, il est possible de constater que la démocratie est réalisable dans des pays largement musulman. L’Indonésie est une démocratie relativement stable. Ceci étant dit, la transformation de ce pays en État démocratique est récente et l’acquis reste assez fragile. Si l’Indonésie donne espoir, le Pakistan fait réfléchir. Ce pays connaît maintenant une quasi-guerre civile. Nous sommes bien loin dans ce cas de l’idéal démocratique.
Quel est l’avenir de l’Égypte, de la Tunisie et des autres pays de la région par rapport à la démocratie ? Ce n’est pas parce qu’il y a un changement de gouvernement que l’on passe d’un seul coup à un État de droit. Il n’y a pas de garantie qu’un nouveau gouvernement, peu importe le pays, soit vraiment plus représentatif. Il n’y a pas plus de certitude par rapport à l’ouverture d’un nouveau gouvernement aux droits de la personne, aux droits des femmes, à la tolérance religieuse et ethnique, et aux autres droits fondamentaux.
Les révoltes actuelles semblent être à la base économiques. Il y a eu dans ces pays un boom démographique. Il y a beaucoup de jeunes qui espèrent mieux. Ils veulent des emplois et du pain. Qu’est-ce qui laisse penser qu’un nouveau gouvernement soit mieux placé pour relancer l’économie ? Qu’est-ce qui fait croire que la richesse sera mieux distribuée ?
Comment croire qu’il y aura un réel changement ? La façade peut changer, les protagonistes aussi, ce qui ne veut pas dire que la réalité change pour de bon. Les us et coutumes d’une population ne se transforment pas du jour au lendemain. Il faut du temps pour qu’une société connaisse une vraie évolution. Les pays qui ont passé de la dictature à la démocratie sans transition comme la Russie ont connu la misère. La période d’ajustement, vingt ans après, n’est pas terminée en Russie. Par rapport au Moyen-Orient, les attentes doivent êtres réalistes.
Je ne cherche pas à être un rabat-joie. Je ne suis pas nécessairement pessimiste. Clairement, il faut un début à tout. Tant que le peuple était soumis, le progrès ne pouvait être que marginal. Ce premier soulèvement était nécessaire. En même temps, il faut être prudent dans nos analyses et ne rien prendre pour acquis. Nous sommes au début d’une période d’ajustement. Le gros du travail reste à faire; ces démocraties sont à bâtir.
Les gens au Moyen-Orient, comme partout ailleurs, ont droit à la vie, à la liberté, et au bonheur (pour réemployer la vieille formule américaine). J’espère que les mutations en cours mènent les populations de ces pays un peu plus près de cet idéal. Malheureusement, je demeure, pour l’instant, assez sceptique. J’espère sincèrement avoir tort.
Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.