Le basculement du monde
La visite officielle de Hu Jintao aux Etats-Unis a été abondamment commentée, et souvent comparée à la première tournée d’un président chinois à Washington, Deng Xiaoping, en 1979. Il est vrai que ces deux rencontres au sommet sont des évènements majeurs. Mais le contexte et les réalités de la Chine de Deng et de Hu ne sauraient cependant être comparés. En 1979, la Chine sortait timidement du maoïsme et de ses conséquences catastrophiques sur l’économie du pays le plus peuplé de la planète, alors totalement exsangue. Deng venait aux Etats-Unis pour confirmer l’établissement de relations diplomatiques, mais surtout pour trouver auprès de la puissance américaine un soutien de poids aux réformes économiques vers lesquelles il souhaitait orienter son pays. La Chine avait alors besoin de la puissance américaine, et de son côté Pékin était perçue comme un partenaire important à Washington, mais pas indispensable.
En 2011, après trois décennies d’une progression économique exceptionnelle, la visite d’Etat de Hu Jintao confirme à quel point le rapport de force s’est inversé. La Chine est devenue une puissance économique et commerciale que rien en semble pouvoir arrêter, et que la crise économique internationale n’a, malgré les prédictions, que très peu affectée. A l’inverse, la situation économique des Etats-Unis suscite l’inquiétude. De même, si l’économie américaine est de plus en plus dépendante et débitrice de la Chine, la croissance chinoise est de moins en moins dépendante des Etats-Unis. En diversifiant ses partenaires commerciaux, notamment en multipliant les échanges avec les pays en développement, mais également ses voisins, Pékin voit ainsi l’importance de Washington diminuer dans le volume de ses exportations, faisant des thèses de l’interdépendance ou encore de la mise en place d’une sorte de G2 des réalités qui semblent de moins en moins vérifiées. Résultat, la liste des doléances de Washington à l’égard de la Chine semble interminable, de la protection de la propriété intellectuelle à la réévaluation du Yuan, tandis que Pékin n’a de son côté pas la moindre exigence, sinon qu’une situation qui lui est de plus en plus avantageuse se pérennise.
Même chose du côté des relations politico-stratégiques, marquées par le décalage entre une Chine de plus en plus décomplexée, avec un président qui va laisser à une nouvelle génération de dirigeants un pays plus fort que jamais, et une Amérique empêtrée dans ses difficultés à l’international et ses dissonances en interne, avec un président fortement affaibli depuis les élections mi-mandat. Lors de la visite de Hu, tant l’administration que le Congrès ont demandé à la Chine des efforts sur le dossier nucléaire nord-coréen, une plus grande implication sur l’Iran ou encore de la bonne volonté sur le Soudan. A l’inverse, Hu n’arrivait pas à Washington avec une liste de souhaits, sinon de voir sortir le tapis rouge, et d’être traité avec les égards dus au chef d’Etat d’une puissance majeure. Il se contenta de lâcher quelques vagues préoccupations sur la question des droits de l’Homme, mais ne fit pas la moindre promesse. Cette visite fut ainsi l’occasion de mesurer l’immense décalage au niveau des attentes entre les deux pays, témoignant d’un véritable basculement du monde qui nous invite à considérer qu’on se souviendra longtemps de la visite de Hu Jintao, non en ce qu’elle apporta des réponses aux multiples qu’on se pose sur la relation entre les deux pays, mais en ce qu’elle confirme que tous les regards, y-compris sinon surtout ceux de Washington, se portent désormais sur Pékin. Ainsi, si la Chine devra encore patienter deux décennies avant de devenir officiellement la première puissance économique mondiale, elle se situe déjà au centre du monde, un peu à la manière des Etats-Unis il y a un siècle, tandis que le Royaume-Uni était encore, techniquement, la première puissance planétaire.
D’où les multiples interrogations qu’imposent cette visite d’Etat et les perspectives qu’elle ouvre : la Chine va-t-elle les règles internationales actuelles, ou au contraire imposer son propre modèle ? Quelles sont ses ambitions stratégiques ? Quelle est la finalité de la modernisation de ses forces armées ? Sa croissance économique va-t-elle s’essouffler ? Ou encore, peut-elle s’engager dans un processus de démocratisation ? Des questions qui resteront quelques temps sans réponse – parce que Pékin n’a aucune intention d’y répondre trop vite – mais qu’on ne se poserait pas avec autant d’insistance, à Washington comme ailleurs, si la Chine ne s’imposait pas comme un acteur de premier plan des relations internationales.
Si la rencontre Deng-Carter marqua le retour de la Chine sur la scène internationale, la rencontre Hu-Obama consacre sa puissance, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore. Dans un tel contexte, il ne faut pas s’étonner de voir les médias chinois faire état d’un « coup de maître » de Hu à Washington, car le président chinois a reçu ce qu’il était venu chercher, l’adoubement de son homologue américain.
Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
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