Prix Confucius : une farce qui risque de devenir sérieuse
La Chine n’a pas franchement manifesté d’enthousiasme à l’obtention du Prix Nobel de la Paix par Liu Xiaobo (voir mon article précédent sur le sujet). Cela ne constitue d’ailleurs pas vraiment une surprise. Plus étonnant en revanche est le soutien que plusieurs pays apportèrent à la Chine en déclinant l’invitation à se rendre à la cérémonie de remise du prix (qui se fera, cette fois, sans le principal intéressé). C’est le cas de l’Iran (le contraire eut cependant été une surprise) ou de Cuba, mais également de la Russie, de l’Ukraine, de la Tunisie, de l’Arabie saoudite, de la Serbie ou encore des Philippines. Pékin prétend même avoir reçu le soutien de plusieurs dizaines d’Etats dans ce véritable bras de fer qui l’oppose au comité Nobel, mais qui n’ont pas été invités à la cérémonie, ce qui rend cette information invérifiable.
Mais cette agitation diplomatique n’est pas tout. Il y a maintenant trois semaines, Pékin a décidé de riposter à la remise de ce Prix Nobel de manière surprenante, en créant son propre prix de la Paix, baptisé Confucius. Ce qui ressemblait au départ à une farce est rapidement devenu une réalité, avec une liste de prétendants pour le premier prix. Baptisé Prix Confucius de la Paix, ce nouveau trophée est remis le 9 décembre, soit la veille de la remise du Prix Nobel. Parmi un choix comptant plusieurs célébrités comme Bill Gates, Nelson Mandela ou encore Mahmoud Abbas, c’est sur Lien Chan que le choix s’est tourné. Ancien vice-président taiwanais de 1996 à 2000 puis président du Kuomintang jusqu’en 2005 (dont il est aujourd’hui président d’honneur), Lien Chan fut l’un des principaux artisans du rapprochement spectaculaire entre Pékin et Taipei ces dernières années. A Pékin en 2006 puis lors d’un sommet de l’APEC au Pérou en 2008, il avait même rencontré Hu Jintao, marquant le plus haut niveau de rencontre entre personnalités politiques chinoises et taiwanaises. Lien Chan est également le père de Sean Lien, qui échappa de peu le 26 novembre dernier à une tentative d’assassinat lors d’un rassemblement politique du Kuomintang la veille d’élections locales à Taiwan, et est toujours hospitalisé.
Nul doute que le candidat n’a pas été choisi au hasard. Pékin aurait pu choisir une personnalité douteuse, au risque de faire de ce prix une décoration ridicule et sans lendemain. Mais en choisissant un ancien dirigeant taiwanais (particulièrement si on tient compte du fait que Lien était le vice-président de Lee Teng-hui, et que sa présidence fut marquée par de vives tensions avec Pékin, notamment quand il se rendit aux Etats-Unis en 1995), l’association qui revendique la paternité de ce prix (difficile d’imaginer qu’elle n’est pas liée au pouvoir chinois) souhaite offrir un symbole très fort marquant le rapprochement entre les deux rives du détroit de Taiwan. De cette manière, on peut tout à fait imaginer que ce Prix de la Paix Confucius a des chances d’être pérennisé, et sera même présenté comme un prix alternatif au Nobel, que de nombreux pays en développement seraient tentés de soutenir. Ce geste fait partie de la grande stratégie de Pékin en direction des régions en développement, avec un discours qui dénonce la main mise de l’Occident sur les valeurs universelles, et qui reçoit un écho favorable, il faut le reconnaître, dans de nombreux pays.
Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
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