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De la justice théâtre

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De la justice théâtre

Je n’ai pas d’empathie pour la famille Khadr. Je n’en ai pas plus pour Omar Khadr qui a été reconnu coupable et a été condamné en fin de semaine pour avoir tué le soldat américain Chris Speer. Je ne suis pas nécessairement d’accord, mais je comprends la position du gouvernement canadien qui ne veut pas le rapatrier. Que faire avec ce citoyen si peu commode? Je comprends tout autant la position des activistes, qui parlent d’enfant soldat, de droit international et de droit constitutionnel. Il n’y a rien de facile dans ce dossier.

Ce que je ne comprends pas, c’est la parodie de la justice à laquelle nous avons eu droit au cours des dernières semaines. Cette commission militaire, ce procès, cette condamnation, c’est une farce. Je comprends que madame Speer était désireuse de justice, pour ne pas dire de vengeance. Comment peut-elle, toutefois, se satisfaire de ce procès bidon? Omar Khadr était (l’est-il encore?) un terroriste. Madame Speer, cela ne veut pas dire qu’il est celui qui a tué votre mari. Cela ne veut pas dire que vous en savez plus maintenant sur la mort de l’homme que vous aimiez! Cela ne veut pas dire que vous connaissez vraiment ce qui s’est passé sur le terrain. Il est tellement important pour vous d’avoir un coupable que les faits vous importent si peu? Pour ma part, la seule certitude que j’ai, c’est que nous ne connaîtrons jamais le fin fond de l’histoire; nous ne connaîtrons jamais toute la vérité.

M. Khadr a admis sa faute. Qu’est-ce qui vous fait croire qu’il a dit la vérité à la commission? Il a dit ce que la cour voulait entendre. Si je suis Omar Khadr, bien entendu que je plaide coupable. Cela fait huit ans que je connais l’enfer sur terre. En reconnaissant ma culpabilité, je pourrai sortir de Guantanamo Bay. Je serai libre dans quelques années à peine. Je suis prêt à dire quasi n’importe quoi pour passer à autre chose. Cet aveu ne nous apprend pas grand chose.

La poursuite aussi avait intérêt à s’entendre avec M. Khadr. Cette affaire-là est beaucoup trop médiatisée. L’affaire Khadr est embarrassante pour le gouvernement américain. L’entente est parfaite : M. Khadr reconnaît sa culpabilité, et dans quelques temps il se retrouvera dans une prison canadienne, hors de vue, hors de mémoire, tout au moins d’un point de vue américain.

Sauf que, nous ne sommes pas plus près de la justice, ou de la vérité, que nous l’étions au début de cette histoire. Les faits ne sont pas clairs. M. Khadr a été reconnu coupable de meurtre en violation des lois de la guerre, de tentative de meurtre, de soutien à une organisation terroriste, de complot et d’espionnage. M. Khadr a-t-il vraiment lancé la grenade qui a tué le soldat Speer, l’accusation centrale contre lui? Cela n’a certainement pas été prouvé hors de tout doute raisonnable. Ce que nous savons, c’est qu’Omar Khadr a participé à la bataille dans laquelle le soldat Speer est mort. Nous sommes en situation de combat, de guerre. Mr. Khadr défendait sa vie, tout comme le soldat Speer défendait la sienne. Si Chris Speer avait tué Omar Khadr, il en aurait été félicité.

La famille Khadr est d’allégeance terroriste. Omar Khadr partageait les croyances de sa famille. Lors des événements en question, le jeune Khadr avait quinze ans. Il était sous influence familiale, mais ne pensons pas qu’il était complètement naïf ou impuissant. Je ne crois pas qu’il se soit rendu en Afghanistan à reculons. Ceci étant dit, ce procès, ce n’était pas celui de la famille Khadr. C’était le procès d’Omar Khadr et tout tournait autour de la mort du soldat Speer. Or, nous ne savons pas avec certitude ce qui s’est passé sur le terrain. Depuis le début de cette histoire, quelqu’un doutait-il qu’un tribunal militaire américain, sous une forme ou une autre, trouverait M. Khadr coupable? Pour l’impartialité du jury, on repassera. M. Khadr a été trouvé coupable par un jury de soldats américains. En ce qui me concerne, je ne suis pas convaincu, hors de tout doute raisonnable pour réemployer cette expression, de la culpabilité de M. Khadr.

Barrack Obama avait promis de fermer la prison de Guantanamo Bay. C’est une promesse qu’il n’a pas su tenir. La problématique est peut-être plus complexe qu’il ne le croyait. Peu importe… Le procès d’Omar Khadr n’a fait que démontrer de nouveau la futilité de Guantanamo Bay et des commissions militaires. La guerre au terrorisme se défend seulement lorsqu’on agit selon nos valeurs – les valeurs fondamentales de l’Occident. La justice, le droit à un procès équitable, cela fait partie de nos valeurs fondamentales. Il me semble que cela est non-négociable. Dans le cas d’Omar Khadr, justice n’a pas été faite. Le théâtre et la politique l’ont emporté sur la vérité. Indépendamment de la famille, de l’homme, du geste, avec ce verdict, cette sentence, nous sommes tous perdants.

Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.

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