Gouverner sans gouverner
En fouillant à la bibliothèque, je suis tombé sur un livre de Thomas Berns, philosophe belge (il est chargé de cours, tout au moins, à l’Université Libre de Bruxelles), intitulé ‘Gouverner sans gouverner : une archéologie politique de la statistique’. J’aime bien l’expression gouverner sans gouverner et je la reprends ici à mon compte.
Gouverner sans gouverner, c’est parfait pour décrire le néo-libéralisme des trente dernières années et toutes ses contradictions. Gouverner sans gouverner suggère clairement que le but du néo-libéralisme est de gouverner en changeant les normes, les mœurs, les règles (formelles et informelles) et même les attentes du citoyen. Gouverner sans gouverner c’est déterminer ce qui est acceptable en société, ce qui veut également dire que c’est déterminer ce qui ne l’est pas. L’avantage de l’expression c’est qu’elle permet de faire le lien entre le conservatisme traditionnel à l’anglaise et le néo-libéralisme puisque gouverner sans gouverner est un projet politique de régulation sociale. En effet, le néo-libéralisme est avant tout un projet politique, au coeur duquel se trouve des dites ‘vérités’ économiques. Gouverner sans gouverner tend à supporter les affirmations féministes comme quoi le néo-libéralisme est par définition paternaliste; le gouverner sans gouverner construit, en effet, la normalité.
Gouverner sans gouverner ne signifie pas qu’il n’y pas de gouvernement. Au contraire, le rôle du gouvernement est de définir l’espace public. Qui a accès à cette espace? Comment y ont-ils accès? Que feront-ils à l’intérieur de l’espace public? Cette régulation de l’espace public, de l’ordre social, se fait par la raison, la science, la technocratie, selon certaines valeurs, tout particulièrement, celle du travail. Sans vouloir pousser trop loin, gouverner sans gouverner représente un contrôle subversif.
La révolution de Thatcher et Reagan a-t-elle atteint ses objectifs? Le néo-libéralisme tel que mis en œuvre au cours des dernières décennies a-t-il réussi? Quels étaient, donc, les objectifs de la révolution? Si ces objectifs sont compris comme étant la réduction de la taille de l’État, moins de gouvernement, la révolution a complètement échoué. L’État est gros, taxe et dépense des sommes faramineuses. Les gouvernements sont plus présents aujourd’hui dans notre vie qu’ils ne l’ont jamais été avant. Si l’objectif, au contraire, était de changer la normalité, de distinguer l’acceptable de l’inacceptable, les résultats sont meilleurs. Notre façon de vivre, notre discours, nos espoirs ont changé.
Gouverner sans gouverner n’est pas un projet irréversible. Croire que la crise financière et économique changera la donne, ou encore que l’impératif environnemental renversera la tendance, c’est, cependant, se leurrer. Les acquis du gouverner sans gouverner sont trop profonds pour qu’il y est du changement au moindre soubresaut. Il faut créer un autre projet, tout à la fois ancrer dans l’histoire et moderne. Il faut retrouver, réinventer, l’alternative. Corrompus comme nous le sommes, c’est tout un défi.
Je suis en vacances la semaine prochaine. Je vous retrouve dans la semaine du 10 mai. Bonne réflexion à tous!
Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.