Sur la liste noire
Les listes noires fonctionnent-elles? La communauté internationale les utilise de plus en plus. Ces listes sont particulièrement utilisées dans la lutte à l’argent sale, soit l’évasion fiscale ou le blanchiment d’argent. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) promet une nouvelle liste noire pour les paradis fiscaux en 2011. Le Groupe d’action financière internationale (GAFI), l’organisation internationale en charge de lutter contre le blanchiment d’argent, vient en février d’émettre une nouvelle liste noire d’États à risque – en tête de liste, sans surprise, l’Iran. Suite à la crise financière et économique, les États veulent de plus en plus mettre l’emphase sur les pays non-coopératifs. Ces listes servent à quoi, au juste? Quels impacts pour les pays visés?
La liste noire est un outil ayant comme objectif de faire respecter le droit international. En théorie, la liste noire est le résultat d’une évaluation complète des différents États, afin d’identifier les pays et juridictions qui ne respectent par les pratiques et normes internationales. Au-delà de l’évaluation, l’élaboration d’une liste est un processus politique. Quel État veut-on mettre au banc des accusés? Quels États veut-on faire bouger? La liste noire a, donc, comme objectif de forcer l’État récalcitrant à adopter les standards internationaux. La stratégie est appelée en anglais, name and shame. Il faut humilier l’État pour que ce dernier agisse. La mise sur la liste peut avoir des conséquences graves puisque les autres acteurs de la communauté internationale ne travailleront plus avec gouvernements, entreprises, ou ressortissants de ce pays, ou tout au moins, le feront avec une très grande vigileance. Les effets économiques, entre autre, peuvent êtres substantiels.
Efficace et utile? Cela dépend de ce que l’on entend par ces termes. Les listes noires ont comme mérite de faciliter le transport de standards et de normes à l’échelle de la planète. Elles amènent une certaine, quoi qu’encore très limité, convergence juridique. Les listes noires ne représentent pas l’imposition de sanctions, mais les effets sont semblables. Elles ont le même objectif, qui peut généralement être obtenu à moindre coût. Elles sont plus faciles à mettre en œuvre. Elles outrepassent les États qui s’opposent aux sanctions, et qui ne les appliqueraient pas de toute façon. Les listes noires sont pratiques.
Entre 2000-2002, l’OCDE a placé 31 pays sur sa liste noire. Les derniers coupables, Andorre, la Principauté de Liechtenstein et la Principauté de Monaco ont été retirés de la liste en 2009. Le GAFI avait identifié 23 juridictions et territoires non-coopératifs; tous avaient été retirés au plus tard en 2006. Le retrait de la liste signifie que l’État visé a pris les mesures nécessaires pour plaire à la communauté internationale – adoption de lois révisées, changement de réglementation, adaptation des pratiques, etc. Les États placés sur ces listes finissent par recevoir de l’aide technique et financière pour changer le cap. Les listes sont, ici, efficaces dans la mesure où elles mènent à des changements juridiques, qui devraient en principe mener à de nouvelles pratiques plus acceptables.
Les listes noires ont leurs limites. Elles sont, comme nous l’indiquions plus tôt, politiques. Par exemple, la Russie était sur la liste noire du GAFI, mais elle fait maintenant partie comme membre à part entière de l’organisation. Preuve du succès de l’humiliation publique? Peut-être… La Russie a, en effet, apporté des changements législatifs importants au fil des ans. La Russie reste un pays puissant et l’isoler perpétuellement n’aurait, cependant, servi à rien. Nonobstant l’exemple Russe, ce sont souvent de petits États qui sont visés. Ces derniers accusent la communauté internationale, pour ne pas dire les USA, de bullying. Ces listes représentent-elles une atteinte à leur souveraineté? Petits États des Caraïbes et du Pacifique ont peu de vrais opportunités de développements économiques. Plusieurs avaient choisi au fil des ans de permettre, entre autre, l’offre de services financiers innovants pour favoriser la croissance. En forçant ces pays à changer de pratiques, les États forts privent les plus faibles des moyens à leur disposition pour assurer leur développement. Forcent-ils ces États et leurs populations à la dépendance? Les petits États notent souvent que les grands aussi ont leurs points faibles, mais qu’ils ne sont pas châtiés de la même manière.
De plus, les États visés adoptent de nouvelles lois, mais changent-ils vraiment de pratiques? Dans quelle mesure appliquent-ils ces nouvelles législations? Adopter une loi, c’est une chose, l’appliquer avec rigueur c’est autre chose. Les dirigeants ne veulent pas que leurs pays ou juridictions soient sur la liste noire, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils adhèrent aux objectifs de la communauté internationale. Ils veulent l’aide financière ou technique, mais cela ne veut pas dire qu’ils veulent vraiment abandonner les stratégies alternatives, surtout que ces dernières ont souvent été très lucratives. Même avec l’aide, cela ne veut pas dire que ces gouvernements ont les moyens ou les capacités de forcer le changement.
Les listes noires sont assez récentes en droit international. L’outil a fait ses preuves. Attention, cependant, aux effets pervers.
Pour la nouvelle liste du GAFI, voir la déclaration publique du 18 février 2010, http://www.fatf-gafi.org/document/39/0,3343,fr_32250379_32236879_44659982_1_1_1_1,00.html.
Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.
Bonjour,
“Les listes noires sont assez récentes en droit international. L’outil a fait ses preuves. Attention, cependant, aux effets pervers. ”
Je suis tout a fais d’accord avec ce commentaire. Qui décident “réellement” d’inclure telle ou telle pays dans cette liste ?