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L’ordre pénal international – II

GB Geo-Blog

L’ordre pénal international – II

Suite à mes réflexions publiées le 11 février 2010.

L’ordre pénal international (OPI) est un ordre de refus de l’impunité par l’œuvre de la justice pénale supra étatique. Les prémisses de cet ordre en gestation deviennent de plus en plus saisissables avec le développement fulgurant des institutions humaines tournées vers la répression organisée des pires crimes au-delà des frontières des États. En effet, l’une des innovations les plus marquantes de ces dernières décennies est sans doute la création d’une variété de cours et de tribunaux internationaux (les tribunaux ad hoc pour l’Ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, le Tribunal spécial pour le Liban, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, les chambres extraordinaires au Cambodge) pour poursuivre et juger les personnes qui ont troublé la tranquillité publique.

Dans cette galaxie d’institutions de lutte contre l’impunité, la Cour pénale internationale (CPI) s’impose comme l’instrument le plus achevé pour rendre les relations humaines et internationales plus sûres. Au fond, par son caractère permanent, sa vocation universelle et sa fonction principale de répression des crimes de masse, cette Cour véhicule l’ordre mondial de lutte contre la criminalité internationale. Pourtant, il lui a été reproché de n’avoir pas déjà atteint la perfection de la justice étatique. Il est vrai que la Cour, comme toute institution humaine, peut toujours être améliorée, mais la critique doit être tempérée à plusieurs égards. D’abord, la Cour est de création très récente, et il faut donc du temps pour tirer les vrais enseignements afin de corriger au besoin les aspects nécessaires à son fonctionnement. La conférence de révision de son Statut prévue au mois de mai 2010 s’inscrit dans cette optique. Ensuite, faut-il le noter, la justice étatique s’est perfectionnée au fil de l’évolution de la société et, aujourd’hui dans ses formes les plus achevées, il n’est pas exclu de la voir fonctionner avec des principes qui semblent relever d’un autre temps (application de la peine de mort). Dans tous les cas, la justice étatique a commis des erreurs et surmonté des obstacles pour en arriver à l’état de sophistication qu’elle connaît aujourd’hui. Elle a dû s’échapper de la justice privée, de celle des seigneurs, des clans, de l’Église, marinant longtemps dans une cacophonie comparable à celle de certaines institutions contemporaines.

Bien que cette Cour ne bénéficie pas de l’avantage d’être un organe subsidiaire doté d’une autorité adossée à celle du Conseil de sécurité – comme c’est le cas des tribunaux ad hoc créés par ce dernier – ceci n’enlève en rien au fait qu’elle incarne de nos jours la forme de justice pénale internationale la plus élaborée, ceci pour plusieurs raisons. Cette Cour est créée par les États et son fonctionnement permanent respecte leur souveraineté dès lors qu’elle n’intervient que de façon complémentaire aux systèmes judiciaires nationaux, lorsque l’État normalement compétent n’a pas la volonté ou la capacité d’intervenir (régime de complémentarité). Les individus poursuivis par la Cour bénéficient des garanties des plus élevées du procès équitable et les victimes des crimes qu’elle poursuit (crime de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime d’agression) peuvent participer aux procédures et être indemnisées pour les préjudices subis. Les personnes privées et acteurs de la société civile peuvent provoquer l’ouverture d’enquêtes en communiquant au Procureur des informations sur des crimes qui auraient été commis. Enfin, une autre particularité du système réside dans le fait qu’aucune qualité officielle ou immunité n’est admise pour prétendre se soustraire des poursuites. Sous ce dernier aspect, la CPI a lancé un mandat d’arrêt contre Omar Al Bashir, Président du Soudan en exercice, suspecté pour son implication dans la perpétration des crimes dans la région du Darfour.

Cet épisode dans le fonctionnement de la Cour n’est-il pas la preuve que l’OPI est en marche ? En tout cas, jamais auparavant un chef d’État en exercice n’a été inquiété à ce point par la justice pénale internationale. Cette mise en accusation a été si forte dans l’acte et dans ses effets que l’Union africaine (UA) se dépêcha de saisir immédiatement le Conseil de sécurité pour lui demander de suspendre les procédures contre le Président. La requête ne sera pas suivie, le Conseil n’ayant pas estimé nécessaire de mettre un point d’arrêt au mandat et aux procédures afférentes. Par la suite, l’UA va inviter ses membres à ne pas coopérer pour l’arrestation et le transfert d’Omar Al Bashir. Cette décision, il faut le souligner, reste incompréhensible si on sait que les États africains ont massivement soutenu le projet de création de la CPI. Ils ont été des acteurs très impliqués dans les travaux préparatoires et aux négociations diplomatiques, et milité activement pour l’adoption rapide du statut de la future Cour. Aujourd’hui, 30 États africains ont ratifié le statut – le Sénégal étant le premier pays au monde à l’avoir fait – faisant de l’Afrique le groupe géographique le plus représenté à l’Assemblée des États parties. Celle-ci est l’organe suprême qui décide des questions administratives majeures, tel le budget, l’élection des juges, des Procureurs, du Greffier, etc. En conséquence, les États africains (et leurs nationaux) ne doivent pas tourner le dos à cette institution, ni se soustraire de leurs engagements envers elle. Au contraire, rappelant que ces États ont gravé dans l’acte constitutif de l’UA leur ambition de bâtir une paix durable sur le continent, ils doivent logiquement soutenir la Cour et travailler avec elle et d’autres acteurs, comme les organisations internationales et les ONG, pour relever ensemble les nombreux défis de redressement des sociétés en crise et de stabilité de la région. En réalité, quelle que soit la partie du globe considérée, le relèvement durable des États contemporains en proie à des violations massives de droits humains ne peut désormais se concevoir en dehors de la justice pénale internationale, sauf si les États en cause organisent eux-mêmes les procès pour s’assurer que les responsables répondent dûment de leurs actes dans le cadre de procès réguliers.

Par ailleurs, si les personnes concernées actuellement par les procédures de la CPI sont toutes des Africains et les situations (République Démocratique du Congo, Ouganda, République centrafricaine et Darfour/Soudan) se réfèrent à la région, ceci ne signifie pas que la Cour a été créée uniquement pour juger les Africains. Plusieurs arguments peuvent être avancés ici. D’abord, la Cour a une vocation universelle à intervenir à l’égard de tous les États qui ont ratifié son Statut, de ceux qui n’ont pas ratifié mais ont déclaré accepter sa juridiction (sous réserve toutefois que les critères obligatoires de compétences spécifiques soient réunis) et ceux dont la situation lui est déférée par le Conseil de sécurité. Ensuite, les conditions exigées pour l’exercice de la compétence de la Cour sont réunies dans les affaires pour lesquelles ces personnes sont poursuivies. Troisièmement, les situations en République Démocratique du Congo, en Ouganda et en République centrafricaine ont été déférées à la Cour par les États concernés – alors que la situation au Darfour/Soudan l’a été par une résolution du Conseil de sécurité agissant au nom de la communauté internationale – reconnaissant de facto qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas s’occuper du jugement des responsables ou de leurs propres nationaux. Enfin, à supposer que la Cour n’existait pas, aurait-il été acceptable de se contenter simplement d’expliquer aux victimes des viols, des pillages et autres exactions que l’État ne veut pas ou n’a pas les moyens de juger les criminels et que rien ne sera fait ou dit sur les traumatismes et pertes qu’elles ont subis ? À supposer également que les personnes poursuivies encourent la peine de mort si elles devaient être jugées par les tribunaux nationaux, devrait-on se plaindre de leur déferrement à une Cour internationale qui exclut la peine capitale de ses règles de fonctionnement ? Que dire si elles devaient être emprisonnées pendant plusieurs mois ou années dans des quartiers pénitentiaires surpeuplés, après quoi elles seront jugées de façon expédiée par des juridictions militaires?

Pour la situation du Kenya actuellement instruite par la Cour, le Bureau du Procureur a reçu moult communications venant de plusieurs personnes et organisations de la société civile africaine sur les violences postélectorales qui ont eu lieu en 2007-2008. Les Africains ont largement facilité son travail, y compris les autorités du Kenya et les membres de la Commission d’experts africains mandatée par l’UA en vue d’enquêter sur ces violences. Sur la base de toutes les informations reçues, le Procureur de la Cour, Luis Moreno-Ocampo, a procédé à l’évaluation préliminaire des éléments et conclu qu’il existe une base raisonnable pour que la Cour enquête dans ce pays. Comme le prévoit le Statut, il a par la suite saisi la chambre pour obtenir son autorisation pour ouvrir des enquêtes au Kenya. La décision pertinente n’est pas encore rendue à ce jour, mais on relève avec intérêt que les juges ont demandé au Procureur de soumettre des éclaircissements et de plus amples renseignements devant leur permettre de décider de l’autoriser ou non à ouvrir une enquête sur la situation en République du Kenya. Enfin, faut-il le souligner, le Procureur analyse actuellement les situations en Afghanistan, en Géorgie, en Palestine, en Colombie et en Guinée. S’il estime au bout de son examen que des crimes relevant de la compétence de la Cour sont commis, il mènera des enquêtes afin de traduire les responsables en justice, sauf si les États normalement compétents décident d’exercer leur compétence pénale prioritaire.

Si l’on gratte un peu derrière le tableau ci-dessus, il est possible de déceler d’autres sujets qui intéressent l’OPI. L’imprescriptibilité des crimes atroces est acquise en droit et dans le système de la Cour, mais son utilité sociale semble discutable. Si la paix publique est le but suprême de toute répression pénale, quel est l’intérêt de s’exposer à gratter indéfiniment les plaies? L’amnistie doit-elle être préférée à la justice pénale lorsqu’il s’agit des pires atteintes aux droits de l’homme? Henri IV pour les guerres de religion, Louis XVIII pour la Révolution ont proclamé l’amnistie et demandé l’oubli. Au Guatemala, au Chili, au Brésil, et en Uruguay, l’amnistie est régulièrement venue à l’appui de l’apaisement social. En Afrique du Sud, c’est le pardon qui a été accordé aux auteurs du crime d’apartheid. Dans le même esprit, et pour compenser la prescription, n’aurait-il pas été préférable d’accepter le jugement par contumace (ou par défaut, en l’absence de la personne qui est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour) dans le Statut de la Cour, qui permettrait d’aboutir à une décision judiciaire, certes provisoire, mais qui offrirait ensuite des possibilités pour se saisir de l’accusé ou pour le maintenir, s’il se dérobait, dans un ostracisme permanent ? Toujours est-il qu’à ce jour, plusieurs mandats d’arrêt attendent d’être exécutés et les États semblent peu pressés de mettre les moyens pour appréhender et transférer les responsables à la Haye pour y être jugés.

Ces questions illustrent parfaitement la complexité de l’OPI et de la justice pénale elle-même dont la mise en œuvre dans les crises modernes met en perspective le dilemme paix-action pénale. Par exemple, en Ouganda, où opère actuellement la Cour, certains pensent que la reconstruction du tissu social et l’apaisement des communautés touchées passent par le pardon au profit des rebelles de l’Armée de Résistance du Seigneur sous le coup de mandats d’arrêts internationaux, ce qui implique que ces derniers soient retirés au nom de la paix publique. Pour d’autres, en revanche, cette paix passe nécessairement par la poursuite et le jugement des auteurs des crimes : la justice pour les responsables des massacres est une condition impérative du retour à une sociabilité durable. Le débat est loin d’être clos, mais on sait que la thèse du pardon n’a pas encore l’effet escompté. À ce jour, aucun mandat d’arrêt n’est révoqué par la Cour, sauf celui de Raska Lukwiya, annulé pour cause de décès. Mieux que cela, le Procureur a rappelé à maintes reprises qu’il ne peut pas y avoir de paix sans justice, les auteurs des crimes ne doivent pas rester impunis. Cette position s’impose de plus en plus comme la seule acceptable concernant les crimes internationaux : pas d’amnistie pour leurs auteurs. À la vérité, cette position s’inscrit dans le cadre d’un mouvement tendant à écarter dans les processus de règlement des conflits sociaux, l’amnistie ou toute mesure produisant les mêmes effets, lorsqu’il s’agit de crimes attentatoires à l’ordre public international. Par exemple, à propos de la mise en place du tribunal spécial pour la Sierra Leone ou de l’installation des Chambres extraordinaires pour le Cambodge, l’ONU a défendu l’illégitimité de l’amnistie pour les crimes graves, estimant qu’il ne peut pas y avoir de véritable paix sans justice.

Pour revenir sur la CPI, son rôle dissuasif n’est pas contesté. Lorsque l’interdit est violé, elle peut intervenir pour obtenir l’arrestation, le jugement et la condamnation de ceux qui ont foulé au pied les droits de l’homme. Ainsi, elle doit être soutenue dans son combat contre l’impunité. Il est essentiel que les États et autres acteurs coopèrent avec elle pour l’exécution de ses mandats d’arrêt. Aussi, son Statut qui contient des garanties sûres doit être ratifié par les États qui ne l’ont pas encore fait (États-Unis, Russie, Chine, Israël, Inde, Pakistan, Turquie, etc.) et qui s’accrochent aujourd’hui encore à des considérations dont la pertinence reste très discutable si on en juge aux garanties prévues dans ce texte. L’OPI étant en perpétuel mouvement, son avenir dépend nécessairement de l’ancrage de la CPI – qui est après tout l’instance qui le véhicule – dans un système international en pleine mutation, ainsi que de sa capacité à s’adapter face aux grands défis liés à la transformation rapide de la criminalité internationale.

biolineL’auteur est juriste à la Cour pénale internationale (CPI), avocat et docteur en droit. Avant de rejoindre la CPI, Maître MBAYE enseignait à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, France. Il est l’auteur de plusieurs publications en droit international, en droit pénal et sur des questions de justice et d’État de droit.

Les opinions exprimées dans cet article ont été fournies dans la capacité personnelle de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de la CPI.

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