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L’ordre pénal international – I

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L’ordre pénal international – I

L’ordre pénal international (OPI) fait partie intégrante du paysage mondialisé. Il a pour vocation de véhiculer la justice, la paix, la solidarité, qui doit être le principe organisateur de la communauté internationale. Il peut être assimilé à la donne née d’une convergence de mouvements sociaux qui a réussi à pousser les états à trouver un accord pour organiser la punition des crimes de portée internationale au-delà de leurs frontières. Cet ordre se structure et se développe suivant les mutations de la société internationale, en particulier les variations sur la lutte contre la criminalité. Ces mutations ont conduit ultimement à l’affirmation du principe de la responsabilité de tout individu commettant des crimes contre l’Humanité. De nos jours, ce principe figure en bonne place dans les instruments juridiques internationaux, notamment les statuts des tribunaux et cours pénaux internationaux. Son application presque systématique ou, en tout cas de plus en plus exigée dans les conflits modernes, que ce soit au plan interne ou dans le cadre de la justice supra-étatique, fait dire que le refus de l’impunité est devenu l’unique règle acceptable pour les crimes atroces. Des criminels, qui espéraient finir des jours tranquilles dans ou en dehors des pays où ils ont perpétré (ou participer à la commission) des pires atrocités, ont été arrêtés, poursuivis, jugés et condamnés, par exemple, au Canada, en France, en Belgique, en Suisse, en Allemagne. Pour d’autres, en revanche, ils répondront de leurs actes criminels devant les juridictions nationales ou seront poursuivis par des cours spéciales très variées (voir ci-après). Ces évolutions retracent en filigrane le processus de structuration de l’OPI, qui repose sur le pilier fondamental du refus de l’impunité. Le propos dans cette contribution sera axé sur la justice pénale internationale pour les raisons ci-après.

Les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo, qui sont les premières instances « internationales » d’application de la responsabilité pénale concernant les crimes contre l’humanité et autres atrocités commis durant la Seconde Guerre mondiale, ont largement contribué au développement de la justice criminelle contemporaine. Cependant, l’esquisse d’un OPI doit être recherchée ailleurs: la mission limitée de ces tribunaux par certains comme une « justice des vainqueurs », était de juger les grands criminels de guerre après quoi ils disparaîtront définitivement. En vérité, cet ordre sera introuvable jusqu’à la fondation des tribunaux de la seconde génération, les tribunaux ad hoc de l’Ex-Yougoslavie et du Rwanda (TPIY et TPIR) créés dans les années 90 par le Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Dans la pratique, ces TPI ont apporté un sévère démenti à l’idée longtemps véhiculée de l’impossibilité pour la communauté internationale de trouver un large accord pour organiser au plan international la lutte contre l’impunité des auteurs des pires crimes. Plus que cela, les TPI ont posé les jalons d’un ordre dont les formes se précisent réellement avec la création par les états d’une cour permanente à vocation universelle : la Cour pénale internationale (CPI). L’établissement de cette dernière repose sur une position claire et ferme: pour assurer la paix et préserver les intérêts des générations présentes et futures, les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis. Ceci ressort de la mission de la Cour, qui est dotée de la mission de poursuivre et de juger les auteurs de tels crimes prohibés. Ainsi, cette Cour n’est-elle pas révélatrice d’un OPI en gestation?

Comme rappelé, l’OPI est un phénomène étroitement lié aux développements de la justice criminelle. Ainsi, une rétrospection s’impose pour comprendre son cheminement. On le sait, le principe de la responsabilité a été défendu depuis longtemps par de célèbres penseurs, tels que Saint-Augustin, Saint-Thomas d’Aquin, Belli, qui ont imaginé un « droit des gens » fondé sur des principes de justice universelle dont l’humanité toute entière devait être l’objet et le bénéficiaire. Ils considéraient qu’il n’était permis à aucun de s’affranchir de ce droit imposé par l’autorité de l’univers entier. Vittoria dira que ce droit s’impose à tous et sa violation est, en principe, interdite et, qui plus est, criminelle et doit entraîner des sanctions. Pour Suarez, Grotius et Vattel, le souverain et le détenteur de la puissance souveraine ont le droit d’appliquer des châtiments pour les délits dont eux-mêmes ou leurs sujets sont victimes et pour des violations flagrantes du droit naturel et du droit des gens commises au détriment d’autres états ou de leurs sujets. Tous ces auteurs redoutaient la barbarie humaine, mais n’avaient jamais abordé la question de la création d’une justice criminelle supranationale. Il s’ensuit que l’OPI sera introuvable durant cette période et pour les décennies qui suivront. Alors quels sont les facteurs qui vont résolument inverser la tendance?

On le sait, l’histoire du monde est jalonnée de faits tragiques: déportation des Juifs, captivité babylonienne, « massacre des Innocents » par le Roi Hérode, persécutions de l’Église chrétienne et incendie de Rome par Néron, destruction des Indiens et dépopulation des royaumes d’Amérique par les Conquistadors, journées sanglantes de la Saint Barthélemy, drames en Ex-Yougoslavie et au Rwanda; on pourrait multiplier les exemples. Pourtant, depuis longtemps, et si l’on fait abstraction de quelques cas exceptionnels, les ordonnateurs et les exécutants échappent au châtiment et peuvent même recevoir les plus grands honneurs: le triomphe des empereurs romains, la gloire de Staline jusqu’à sa mort, etc. Au-delà de la responsabilité de chacun, la responsabilité de toutes ces horreurs n’est pas étrangère à la dispersion des états au plan international, doublée de leur manque de volonté pour définitivement mettre en place une justice criminelle internationale. Bref, cette situation est due à ce qui ressemble à une humanité encore en retrait de la civilisation.

Le lamentable retard dont chacun a pu se rendre compte, car chacun est devenu désormais un personnage de drame, va générer un effort d’établissement d’une nouvelle forme de responsabilité et de justice pénale valables pour tous les peuples civilisés. Cette prise de « conscience collective » va prendre une tournure décisive après la Seconde Guerre mondiale qui, par ses effets douloureux, va permettre à chacun de mesurer l’impact de l’absence de responsabilité pénale individuelle, de lois d’humanité et de sanctions internationales organisées. C’est dans ces évolutions visant à « civiliser l’humanité », par l’essor de la justice criminelle que les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo ont été établis, mais il faudra attendre en définitive l’avènement des premiers tribunaux ad hoc, le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et celui pour le Rwanda (TPIR), pour voir les prémisses d’un OPI en gestation.

Sans entrer dans les détails des événements, il faut noter que le TPIY est créé par le Conseil de sécurité suite aux conflits armés en l’ex- Yougoslavie, au début des années 1990, qui vont entraîner l’explosion de la région. L’horreur de la guerre avait provoqué l’indignation de tous devant l’ampleur des crimes de masse largement relayés par les médias: des milliers de civils tués ou blessés, et torturés, des femmes victimes d’agressions sexuelles dans des camps de détention, des personnes chassées de leur domicile, des villes assiégées, etc. L’étendue des atrocités peut d’ailleurs se lire dans la mission du TPIY, qui est chargé de juger les personnes responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie. Au Rwanda, les crimes ont été perpétrés pendant une guerre civile qui a éclaté en avril 1994. Elle opposait le gouvernement rwandais autoproclamé (Hutu Power) et le Front patriotique rwandais (un mouvement d’exilés Tutsi venus de l’Ouganda et dirigé par Paul Kagame), accusé par les autorités en place d’être essentiellement « Tutsi ». Le 1er octobre 1990, les Rwandais du FPR décident de revenir au pays à partir de l’Ouganda pour prendre le pouvoir par les armes. Face à ce qui a été qualifié d’agression militaire, les autorités rwandaises décident de se défendre avec l’armée et, ultimement, « d’exterminer » tous les Tutsis de l’intérieur du pays. Les massacres programmés à la machette vont durer trois mois et feront 800 000 victimes rwandaises, en majorité des Tutsi et des Hutu solidaires à ces derniers, accusés d’être traîtres à la « cause Hutu ». Face à ce drame le plus rapide de l’histoire, le Conseil de sécurité mit sur pied le TPIR pour juger les responsables du génocide et d’autres violations graves du droit international humanitaire commis au Rwanda et dans les états voisins.

La mission des TPI n’est pas seulement de délibérer sur la responsabilité des accusés. Ils ont aussi pour rôle de prévenir de nouveaux crimes et de contribuer à la renonciation, en établissant la vérité sur les évènements et en rendant justice à des milliers de victimes. À cet égard, le bilan est positif. Avec le TPIR, pour la première fois en Afrique, des personnalités de haut rang sont traduites devant un tribunal international afin qu’elles répondent de violations massives des droits de l’homme. De son côté, le TPIY a mis en cause des hauts dirigeants pour les massacres programmés. À cela, il faut ajouter le concours des TPI à la découverte de la vérité sur les crimes et la pacification des sociétés concernées. Même si l’impact sur la paix de l’action pénale après la guerre reste toujours difficile à évaluer dans les pays touchés, ceci n’enlève en rien l’apport déjà positif de ces instances dans la reconstitution du tissu social. Il est vrai qu’aucune paix définitive n’est assurée pour le moment dans les pays concernés, mais la lutte contre l’impunité y est bien réelle. Mieux encore, les TPI envoient un signal ferme qui dépasse même les frontières des pays pour lesquels ils ont été créés: toute personne qui commet (ou est complice) de violations massives de droits humains n’est pas à l’abri de poursuites judiciaires légitimes et peut se trouver devant un tribunal international pour y être jugée.

Ces observations ne doivent toutefois pas être l’arbre qui cache la forêt. En vérité, les TPI n’ont pas vocation à mettre un terme à la criminalité internationale. Leur compétence s’exerce sur des crimes géographiquement localisés. Ils sont établis trop tard et le temps perdu dans le domaine de la justice pénale internationale est toujours du temps gagné pour l’impunité des bourreaux et des traumatismes supplémentaires pour les victimes. D’aucuns pensent même que ces tribunaux sont une manière de jeter un voile pudique sur les impuissances de la communauté internationale à prévenir les crimes lèse-humanité. Toujours est-il que leur rôle préventif ou dissuasif, bien que réel, reste toutefois très faible ou limité: des massacres sont commis ailleurs à la même époque. Ces imperfections semblent laisser penser que dans l’ex-Yougoslavie, le TPIY a été créé pour couvrir l’impuissance et, pour le Rwanda, c’est plutôt l’indifférence de la communauté internationale qui est mise à nu.

C’est peut-être du fait des faiblesses de la formule des tribunaux ad hoc que celle-ci a évolué vers des tribunaux mixtes, avec composition mi-locale, mi-internationale, et création par accord entre l’ONU et les pays concernés (Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Tribunal mixte cambodgien et Tribunal international pour le Liban). À quoi on ajoute le Haut Tribunal pénal irakien, les chambres spécialisées au Timor oriental et au Kosovo. Cette architecture complexe est éphémère. Ces tribunaux sont provisoires et, pressés par le temps, certains d’entre eux ont commencé à transférer les affaires « moins importantes » vers les juridictions internes (les chambres des crimes de guerre à la Cour d’État en Bosnie Herzégovine). Toutes ces instances ne sont pas forcément les instruments les mieux adaptés pour lutter contre l’impunité. Dans tous les cas, les TPI ont le mérite de démontrer qu’il n’existe plus de raisons valables pour que les nations modernes ne s’entendent pas désormais sur la mise en place d’une justice criminelle internationale. Aussi, n’ont-ils pas donné les arguments confortant solidement l’idée que dans le combat contre l’impunité, la communauté internationale ne peut s’accommoder d’une justice sélective ou à la carte, qu’il faut aller plus loin dans l’audace dans l’œuvre de la justice pénale, pour aboutir à une vraie cour permanente. Sous ces aspects, les TPI ont jeté les bases de l’édification d’un OPI qui se structure avec l’entrée en fonction de la CPI le 1er juillet 2002.

Nous l’avons dit, l’OPI est un ordre de refus de l’impunité. Il repose sur l’idée qu’il n’y a pas de paix sans justice. L’impunité instaure un climat de terreur et mine la vie sociale en reproduisant l’injustice sous toutes ses formes. Si on veut garantir une sociabilité durable dans les sociétés modernes, l’impunité doit être combattue partout. Ce faisant, on évite d’exposer la société internationale à des spirales de violence souvent irréversibles. À cet égard, la CPI s’impose comme un instrument pour rendre les relations humaines et internationales plus sûres. Cette Cour véhicule l’ordre mondial de lutte contre les crimes de masse.

J’analyse la suite dans des réflexions complémentaires à paraître d’ici deux semaines et dans lesquelles le sujet de l’ordre pénal international sera inscrit dans deux perspectives liées, à savoir l’ancrage de la justice pénale dans le système international et ses enjeux sur la paix publique, et l’avenir de cet ordre à la lumière de la fonctionnalité de la nouvelle CPI.

bioline

L’auteur est juriste à la Cour pénale internationale (CPI), avocat et docteur en droit. Avant de rejoindre la CPI, Maître MBAYE enseignait à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, France. Il est l’auteur de plusieurs publications en droit international, en droit pénal et sur des questions de justice et d’État de droit.

Les opinions exprimées dans cet article ont été fournies dans la capacité personnelle de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de la CPI.

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