Corée du Nord : un apaisement illusoire?
Dans une note précédente, placée sur le site de Global Brief, on avait analysé la confusion des objectifs poursuivis par les États face à la Corée du Nord et exprimé la nécessité pour les États-Unis de ne pas fléchir en acceptant des contacts bilatéraux.
Depuis, dans le cheminement des initiatives chaotiques du régime nord-coréen, les dirigeants de Pyongyang sont brutalement passés en mode apaisement. Le voyage spectaculaire de l’ancien président américain Bill Clinton le 4 août 2009, obtenant la libération de deux journalistes américaines, et la décrispation soudaine des rapports entre les deux Corées, peuvent, une fois encore, faire penser aux observateurs pressés que l’on est enfin entré dans une nouvelle phase propice aux négociations. À l’évidence ce n’est pas le cas. En revanche, comme à l’accoutumée, de multiples acteurs n’ont d’autre choix que celui d’entrer dans le jeu imposé par un régime qui brandit tout à la fois sa nouvelle arme nucléaire et une bonne volonté feinte destinée à mieux diviser la population de la Corée du Sud.
La tension avec la Corée du Nord se négocie en effet sur un damier de plus en plus complexe où interviennent plusieurs joueurs qui avancent simultanément des pions de couleurs différentes. Et le régime de Pyongyang, joueur le plus faible, maîtrise paradoxalement le jeu. Son leader, Kim Jong Il, place très habilement des signes d’apaisement forçant la Corée du Sud, et surtout les États-Unis, à répondre dans un registre identique, en maintenant cependant une fermeté indispensable pour ne pas entrer pleinement dans le piège inévitable.
En Corée du Sud, le très conservateur président Lee Myung-bak ne peut que répondre favorablement à l’offensive de charme de Pyongyang. La Corée du Nord a ainsi dépêché une délégation de haut niveau aux funérailles de l’ancien président sud-coréen Kim Dae-jong afin de rendre hommage à l’ancien promoteur de la politique d’apaisement avec le Nord. L’initiative habile, dans un moment symbolique fort, ne pouvait en aucune façon être écartée. Un ensemble de concessions accompagnait le déplacement : liberté d’un travailleur sud-coréen après 135 jours de captivité, reprise des voyages touristiques vers le Mont Geungang et des activités dans la zone industrielle commune de Kaesong et, surtout, retour aux discussions à propos des visites familiales interrompues depuis deux ans. Le gouvernement sud-coréen, écartelé entre la fermeté de ses engagements politiques et la sensibilité de son opinion publique aux déchirements de la guerre civile, ne dispose pas d’une grande marge de manœuvre. Tout en concédant la reprise du dialogue intercoréen, la Corée du Sud maintient ses troupes en alerte et vient de commencer le déploiement d’un nouveau missile de croisière de type Hyunmoo d’une portée de 1 000 kilomètres. On note également que le Sud n’est pas disposé à reprendre ses livraisons de riz et d’engrais chimiques.
On s’interroge, bien sûr, sur les raisons qui ont provoqué le changement de stratégie de la Corée du Nord. Au-delà des problèmes de succession du régime, on invoque le plus souvent l’impact des sanctions encore plus sévères incluses dans la résolution 1874 adoptée par le Conseil de sécurité le 12 juin 2009. Cette dernière hypothèse est plausible; elle demeure cependant trop simple pour expliquer les calculs tortueux d’un régime qui se soucie fort peu de sa population, mais beaucoup de sa survie.
Même si les États-Unis, et surtout la Corée du Sud, se préparent à un éventuel conflit, la Corée du Nord sait fort bien qu’il n’est dans l’intérêt d’aucun État de le déclencher. Pourtant, le relâchement actuel dans les tensions peut être trompeur. Jamais les risques d’erreurs, d’incidents et d’enchaînements d’événements malencontreux n’ont été aussi grands.
Malgré l’insistance de la Chine, Pyongyang ne cède en rien à propos de son retour éventuel dans les pourparlers à Six sur la dénucléarisation. Il est assez inquiétant de penser que l’intransigeance de l’état major de l’armée populaire du Nord est certainement ici déterminante.
Les États-Unis ont pris beaucoup de soin à expliquer et répéter que le voyage de Bill Clinton ne changeait rien à la politique américaine. La Maison Blanche demeure par ailleurs très discrète sur les contacts récents entre les diplomates nord-coréens et le gouverneur du Nouveau-Mexique Bill Richardson. Ce dernier a fait savoir toutefois que ses interlocuteurs étaient convaincus d’avoir posé des gestes importants. Cette simple remarque souligne une fois encore que le Nord désigne Washington comme seul et unique interlocuteur valable afin de progresser vers un traité de paix et une reconnaissance diplomatique. Si la démarche nord-coréenne n’obtient rien en retour des États-Unis, Kim Jong Il perdra la face et il n’est pas sûr qu’il puisse contrôler les diverses factions de l’appareil politique et militaire de son régime.
L’administration américaine doit affronter ce risque. Toute concession acceptant une démarche bilatérale provoquerait une rupture dans les engagements donnés aux alliés sud-coréens et japonais. La détention d’armes nucléaires a changé les règles du jeu. En concédant à la Corée du Nord l’état de fait, le gouvernement américain perdrait toute crédibilité dans le dossier de la non-prolifération nucléaire et, plus particulièrement, dans sa politique à l’endroit de l’Iran. Pyongyang n’hésite plus à proférer la menace des transferts technologiques. Les anciens échanges dans le domaine nucléaire avec la Libye et le Pakistan sont avérés, mais depuis, la Syrie et surtout l’Iran, et tout récemment le Myanmar, sont des pays où l’on a pu observer le déplacement d’experts nord-coréens.
Plus que jamais, la Chine doit se soucier de ce qui se passe sur ses marges frontalières. Partout, du Xinjiang au Tibet, et sur les frontières birmanes et nord-coréennes, les risques se multiplient pour Beijing. Jouer le temps devient pour le gouvernement chinois une stratégie perdante. Le maintien d’un appui aux dictatures birmane et nord-coréenne, qui fatalement disparaîtront dans ce 21ième siècle, nuit à sa crédibilité de grande puissance responsable.
Si l’administration Obama souhaite changer le cours de l’histoire en Asie, elle se doit aussi de modifier son paradigme de négociation avec des régimes qui appartiennent à une époque révolue. Il importe désormais aux États-Unis de mieux s’insérer dans un forum régional favorisant un rapprochement Chine-Japon-Corée du Sud. Ce forum est déjà embryonnaire; il peut avec la Russie et les États-Unis reprendre l’agenda nord-coréen dévolu depuis 2003 aux pourparlers à Six. Le nouveau Premier ministre japonais Yukio Hatoyama, dont le parti démocrate du Japon vient de remporter une victoire historique, favorisera, on ne peut en douter, des liens plus coopératifs avec la Chine et la Corée du Sud.
Outre une indispensable « solution multilatérale » à définir dans le dossier de la dénucléarisation, il serait aussi envisageable que puisse très vite intervenir en Corée du Nord un leader de type Deng Xiaoping susceptible d’entraîner ce pays vers la modernité. Ce scénario difficile – certainement improbable à court terme – doit être monté au plus vite par la Chine qui, plus que les autres, en a les moyens, et s’inscrirait dans la logique de son intérêt à mieux arrimer la Corée du Nord à son territoire.
Gérard Hervouet est directeur du programme Paix et Sécurité Internationales à l’Institut québécois des hautes études internationales. Il est aussi professeur titulaire au département de science politique de l’Université Laval à Québec.