Le temps des diplomates en Syrie
La solution ne parviendra Ă satisfaire dans lâabsolu aucun acteur dans cette effusion de sang dont tout le monde est finalement responsable
Il est de nouveau question de diplomatie en Syrie. Lâaccord conclu par la Russie, la Turquie et lâIran a servi de prĂ©lude Ă la confĂ©rence de consolidation du cessez-le-feu Ă Astana (Kazakhstan) tenue en janvier. Les nĂ©gociations politiques doivent avoir lieu ultĂ©rieurement et auront pour but de mettre un terme dĂ©finitif au conflit.
Comment expliquer la rĂ©habilitation de la diplomatie alors que quelques mois auparavant, seule la voie des armes Ă©tait envisagĂ©e? LâintensitĂ© des opĂ©rations Ă Alep et lâanticipation de massacres Ă grande Ă©chelle dans une guerre censĂ©e se poursuivre sur le rythme de bombardements russes acharnĂ©s ne laissaient pas prĂ©sager la possibilitĂ© dâun cessez-le-feu. Certes, la guerre civile syrienne qui a fait des centaines de milliers de morts, des millions de rĂ©fugiĂ©s, et a semĂ© terreur et dĂ©solation Ă lâĂ©chelle de toute une nation, nâest pas encore finie. Il nâen demeure pas moins que lâoffensive diplomatique actuelle recĂšle quelque chose de particulier qui mĂ©rite dâĂȘtre compris et qui, plus que les initiatives prĂ©cĂ©dentes, a davantage de chances dâaboutir si les nombreux acteurs de ce conflit parvenaient Ă la conclusion quâune solution politique nĂ©gociĂ©e est inĂ©vitable.
Ă vrai dire, les architectes de lâinitiative actuelle nâont fait que reprendre une initiative russe remontant Ă 2012. Moscou avait alors eu recours aux Elders, un groupe diplomatique de seconde voie (track two diplomacy), et avait proposĂ© par leur intermĂ©diaire un cessez-le-feu suivi dâun plan consistant Ă rĂ©soudre le conflit par voie de nĂ©gociations et surtout dâune transition souple garantissant au prĂ©sident Assad une sortie honorable Ă terme. On ne sait pas quelle aurait Ă©tĂ© la rĂ©action de Damas dĂšs lors que lâinitiative a Ă©tĂ© sabordĂ©e avant mĂȘme quâelle ne fasse lâobjet dâun dĂ©bat formel au Conseil de sĂ©curitĂ©. Martti Ahtisaari, ancien prĂ©sident de la Finlande, fut chargĂ© par les Elders de discuter de la proposition russe avec les reprĂ©sentants des puissances occidentales au Conseil de sĂ©curitĂ©. Il explique: «Il nây a pas eu de rĂ©sultat parce que tous ceux-lĂ [les membres occidentaux du Conseil de sĂ©curitĂ©] et plusieurs autres acteurs [lâopposition syrienne et ses soutiens rĂ©gionaux] pensaient quâAssad allait tomber dans les semaines qui suivaient et que, par consĂ©quent, nul nâĂ©tait besoin de faire quoi que ce soit».
Ă lâĂ©poque, le conflit Ă©tait encore jeune. Il nâavait pas encore pris lâenvergure dâune crise humanitaire dĂ©vastatrice, lâune des plus sĂ©vĂšres depuis la Seconde Guerre mondiale. Comme câest souvent le cas dans les conflits de cette nature, la question de la maturitĂ© du conflit est cruciale. Elle se mesure par la durĂ©e du conflit, par le nombre de victimes, par lâampleur de la destruction, et surtout par lâapprĂ©ciation des acteurs quant Ă leur capacitĂ© Ă remporter une victoire militaire dĂ©cisive. Dans le conflit syrien, câest surtout le dernier Ă©lĂ©ment qui a fait dĂ©railler toutes les initiatives diplomatiques, et pas seulement celle des Elders.
Cette logique de la solution militaire dominait sur chacun des trois niveaux du conflit. Ă lâĂ©chelle nationale, le gouvernement syrien a fait le pari de la force aveugle, reflet de sa nature rĂ©pressive, mais en rĂ©sonnance aussi avec la volontĂ© dâune opposition qui, tĂŽt dans le conflit, sâest engagĂ©e dans une insurrection armĂ©e avec lâespoir que le scĂ©nario libyen dâune intervention militaire occidentale se rĂ©pĂ©terait. Au niveau rĂ©gional, lâIran et le Hezbollah libanais nâont pas hĂ©sitĂ© Ă voler au secours de Damas; ils comprenaient que les positionnements dans la rĂ©gion vis-Ă -vis du conflit Ă©taient dĂ©terminĂ©s par lâanimositĂ© de Riyad Ă lâĂ©gard de TĂ©hĂ©ran, et par la volontĂ© de la Turquie et du Qatar dâĂ©tablir un ordre islamiste sunnite, ce qui revenait Ă rĂ©duire lâinfluence rĂ©gionale de lâIran Ă nĂ©ant et Ă le rendre vulnĂ©rable aux pressions extĂ©rieures. Au niveau international, le soutien russe au gouvernement syrien explique dans une large mesure lâincapacitĂ© de lâinsurrection de gagner la guerre, alors que cette insurrection nourrissait lâespoir que la rhĂ©torique belliqueuse de la France, du Royaume-Uni et des Ătats-Unis et leurs appels rĂ©pĂ©tĂ©s au changement de rĂ©gime en Syrie se traduiraient par une intervention armĂ©e.
Dans la structure Ă trois niveaux du conflit syrien, seuls les Russes ont maintenu depuis le dĂ©but une position favorable Ă lâaction diplomatique, quitte, dans un premier temps, Ă jeter leur poids militaire derriĂšre le gouvernement syrien pour lâimposer. Ă la lumiĂšre des rĂ©cents dĂ©veloppements Ă Astana et de la promesse de reprise des nĂ©gociations politiques, il est clair que lâintervention militaire russe en Syrie depuis lâautomne 2015 nâavait pas pour objectif exclusif de permettre Ă lâarmĂ©e syrienne de gagner la guerre, mais de renverser les rapports de forces sur le terrain afin dâobtenir lâengagement dâacteurs clĂ©s du conflit dans une logique diplomatique. Ce renversement de la situation sur le terrain militaire syrien (niveau national) sâest accompagnĂ© de changements sur les deux autres niveaux Ă©galement. Câest prĂ©cisĂ©ment la rĂ©orientation opĂ©rĂ©e par la Turquie, acteur rĂ©gional de premier ordre dans le conflit, et la dĂ©faite dâHillary Clinton aux Ă©lections prĂ©sidentielles amĂ©ricaines, qui ont consolidĂ© la position russe et ont conduit au processus diplomatique actuel.
LâĂ©volution de la position turque sur le conflit a Ă©tĂ© particuliĂšrement spectaculaire parce quâAnkara avait tout misĂ© sur un changement violent de rĂ©gime en Syrie. Au dĂ©but du soulĂšvement syrien, avant la militarisation, les Turcs espĂ©raient une chute rapide du prĂ©sident Assad et lâarrivĂ©e au pouvoir de leurs protĂ©gĂ©s, les FrĂšres musulmans syriens, une force politique sunnite qui aurait permis Ă la Turquie dâacquĂ©rir une influence nĂ©o-impĂ©riale au Moyen-Orient, en rĂ©miniscence de la domination ottomane que les Turcs avaient exercĂ©e sur la rĂ©gion pendant quatre siĂšcles et qui nâa jamais cessĂ© dâanimer les islamistes au pouvoir Ă Ankara. Mais Assad nâest pas tombĂ©. Les Turcs auraient pu en conclure que leurs calculs Ă©taient erronĂ©s. Mais câest lâintervention de lâOTAN en Libye qui leur a laissĂ© croire que le mĂȘme scĂ©nario pouvait se rĂ©pĂ©ter en Syrie. Pour cela, le soulĂšvement syrien devait se militariser. La Turquie, comme tous les autres acteurs extĂ©rieurs Ă la Syrie qui ont soutenu la militarisation, nâavait pas dâautre choix que de sâappuyer sur les seuls groupes prĂȘts Ă prendre les armes contre Damas, Ă savoir les islamistes arabes sunnites. Câest dâailleurs de lĂ que le problĂšme de la non-reprĂ©sentativitĂ© de lâinsurrection armĂ©e syrienne sâest aggravĂ©, alors quâil se posait dĂ©jĂ au niveau des structures politiques de lâopposition syrienne installĂ©e Ă lâĂ©tranger. Bref, si lâopposition syrienne nâa pas rĂ©ussi Ă gagner, ce nâest pas uniquement du fait de la puissance de feu du gouvernement syrien et de son alliĂ© russe, mais parce quâelle nâa jamais rĂ©ussi Ă convaincre les Syriens quâelle reprĂ©sentait une alternative crĂ©dible â câest-Ă -dire inclusive.
Pendant les premiĂšres annĂ©es de la militarisation, la Turquie espĂ©rait toujours une intervention armĂ©e de lâOTAN, qui nâa jamais eu lieu. La stratĂ©gie turque a ensuite Ă©voluĂ© vers la reproduction de celle que les Ătats-Unis, lâArabie saoudite et le Pakistan avaient adoptĂ©e en Afghanistan contre les SoviĂ©tiques durant les annĂ©es 1980: soutenir les groupes religieux les plus extrĂ©mistes sans tenir compte des risques que ces mĂȘmes groupes se retournent ensuite contre leurs bienfaiteurs. VoilĂ pourquoi la Turquie fut pendant des annĂ©es la base arriĂšre de lâinsurrection islamiste syrienne, y compris pour des groupes comme Daesh et Jabhat Al Nosra (affiliĂ©e Ă Al Qaeda). Non seulement cette stratĂ©gie nâa-t-elle pas permis dâobtenir la chute dâAssad, puisquâelle a poussĂ© les alliĂ©s de celui-ci Ă intensifier leur soutien militaire, mais elle a surtout eu deux consĂ©quences dĂ©sastreuses sur la Turquie. Dâune part, des critiques acerbes ont obligĂ© le gouvernement turc Ă reconsidĂ©rer le soutien quâil accordait aux groupes les plus radicaux, ce qui sâest traduit par une vague dâattentats meurtriers sur le sol turc. Dâautre part, pour avoir nourri la guerre civile en Syrie, la Turquie a renforcĂ© sans le vouloir la position politique et militaire des Kurdes syriens, ceux-lĂ mĂȘmes que les autoritĂ©s turques soupçonnent dâĂȘtre le prolongement des sĂ©paratistes kurdes de Turquie. Sans ĂȘtre les alliĂ©s du gouvernement syrien, les Kurdes ont affrontĂ© sur le terrain militaire les groupes extrĂ©mistes et sont de ce fait devenus les alliĂ©s des puissances occidentales que la Turquie voulait, mais sans succĂšs, amener Ă reproduire le scĂ©nario libyen. Câest ainsi que la Turquie a fini par sâengager militairement dans le conflit, attaquant tantĂŽt Daesh, tantĂŽt les Kurdes. Mais cela nâa fait que provoquer encore plus dâattentats en Turquie, commis notamment par les Kurdes. Ankara a fini par se rendre Ă lâĂ©vidence: la voie quâelle avait empruntĂ©e Ă©tait sans issue. Lâalternative fut la voie diplomatique que lui offrait Moscou. DâoĂč son engagement en faveur dâun cessez-le-feu, puis de la confĂ©rence dâAstana.
Si quelque doute persistait dans lâesprit des dirigeants turcs quant au bien-fondĂ© dâun changement radical de cap, le rĂ©sultat des Ă©lections amĂ©ricaines lâaurait dissipĂ©. Les partisans dâun changement violent de rĂ©gime, que ce soient les insurgĂ©s syriens ou leurs soutiens rĂ©gionaux ou internationaux, Ćuvraient systĂ©matiquement pour lâĂ©chec des initiatives diplomatiques prĂ©cĂ©dentes, notamment le cessez-le-feu obtenu Ă lâĂ©tĂ© 2016 par John Kerry et SergueĂŻ Lavrov, parce quâils Ă©taient certains que Hillary Clinton allait devenir prĂ©sidente. Ce calcul, qui a longtemps ignorĂ© la maturitĂ© du conflit, sâappuyait sur la croyance juste que Barack Obama Ă©tait le seul obstacle Ă une intervention militaire occidentale en faveur de lâinsurrection. La stratĂ©gie consistait donc Ă faire durer le conflit jusquâĂ lâarrivĂ©e au pouvoir de Clinton. Celle-ci Ă©tait en effet peu disposĂ©e Ă soutenir quelque solution diplomatique qui ne se contenterait pas dâĂȘtre le couronnement dâun changement de rĂ©gime, fidĂšle en cela Ă sa position sur lâIrak et sur la Libye. Et elle pouvait compter sur un quasi-consensus bipartisan Ă Washington â un consensus favorable Ă lâusage systĂ©matique de la force comme moyen de premier choix dans la politique Ă©trangĂšre des Ătats-Unis, surtout lorsquâil est question du Moyen-Orient. Les points de vue les plus «ambitieux» allaient mĂȘme jusquâĂ proposer une partition de la Syrie, mais sans lâavouer. Comme le note Joshua Landis, fin connaisseur du dossier syrien, «ils refusent dâavouer quâils veulent la partition de la Syrie. Ils prĂ©fĂšrent parler de rĂ©gions autonomes. Mais en fin de compte câest pratiquement la mĂȘme chose».
Ce nâest pas du tout le fruit du hasard si lâoffensive syro-russe contre les quartiers dâAlep dĂ©tenus par les insurgĂ©s a prĂ©cisĂ©ment eu lieu Ă un moment oĂč lâĂ©lection de Clinton demeurait encore possible. Il fallait crĂ©er un rapport de forces sur le terrain qui allait rendre le plan de Clinton impossible autrement quâĂ travers lâappui des groupes extrĂ©mistes. LâĂ©lection de Donald Trump a rendu caducs les calculs de la Turquie et de lâinsurrection quâelle soutenait, et a confortĂ© les Russes dans leur position. Câest la raison pour laquelle lâopposition syrienne armĂ©e a acceptĂ© le cessez-le-feu et a envoyĂ© une dĂ©lĂ©gation Ă Astana.
Le communiquĂ© qui a sanctionnĂ© la confĂ©rence dâAstana et qui a Ă©tĂ© approuvĂ© par la Turquie et les groupes insurgĂ©s fait Ă©cho au renversement des rapports de forces sur les trois niveaux du conflit. Il reflĂšte clairement la vision commune de Moscou et Damas sur lâavenir de la Syrie, mĂȘme si les propos relatifs Ă la dĂ©mocratie future ne correspondent pas du tout Ă la rĂ©alitĂ© du gouvernement syrien. Il est ainsi question que les signataires (la Russie, lâIran et la Turquie) «rĂ©affirment leur engagement en faveur de la souverainetĂ©, de lâindĂ©pendance, de lâunitĂ© et de lâintĂ©gritĂ© territoriale de la RĂ©publique arabe syrienne comme Ătat multi-ethnique, multi-religieux, non-confessionnel et dĂ©mocratique». Or, les intentions de tous les groupes armĂ©s de lâopposition, y compris Jaiche Al Islam, dont le leader Mohammed Allouche est le chef des nĂ©gociateurs de lâopposition Ă Astana, ont toujours Ă©tĂ© de renverser le gouvernement en Syrie en vue de construire un Ătat thĂ©ocratique exclusif. Et il nâest pas du tout sĂ»r que la confĂ©rence dâAstana les fera changer dâavis. Dâailleurs, pour Allouche, la confĂ©rence dâAstana nâa pas dâautre objectif que celui de trouver un mĂ©canisme pour consolider le cessez-le-feu, mais que les nĂ©gociations politiques ne peuvent commencer quâavec le dĂ©part dâAssad. Mais bien Ă©videmment, cette demande ne figure plus comme condition de rĂ©solution du conflit aux yeux des sponsors de la confĂ©rence dâAstana, voire mĂȘme dâautres acteurs qui, comme les Ătats-Unis, nâĂ©taient pas prĂ©sents. Le fait que lâopposition insiste sur son maintien montre bien que les nĂ©gociations subsĂ©quentes ne pourront aboutir que si lâopposition comprend quâen termes de rapports de forces, elle nâest pas en mesure de faire prospĂ©rer une telle position.
Mais lĂ nâest pas la seule difficultĂ©. Ă Astana, seuls certains groupes armĂ©s Ă©taient prĂ©sents. Lâopposition politique organisĂ©e dans la Coalition nationale des forces de lâopposition et de la rĂ©volution syriennes, nâĂ©tait pas prĂ©sente. Sa participation est cependant prĂ©vue dans les nĂ©gociations futures. Lâon sait que cette coalition est sous lâinfluence de la Turquie et quâelle bĂ©nĂ©ficie dâun soutien en Europe et aux Ătats-Unis. Mais elle nâa jamais rĂ©ussi Ă apparaĂźtre comme une alternative crĂ©dible, et ce pour trois raisons. La premiĂšre a trait Ă sa reprĂ©sentativitĂ©. Ses structures sont dominĂ©es par les FrĂšres musulmans, mĂȘme si des reprĂ©sentants dâautres courants politiques, laĂŻc notamment, y sont prĂ©sents. La deuxiĂšme est que la Turquie nâest pas le seul Ă avoir de lâinfluence au sein de la coalition. Le Qatar, lâArabie saoudite et dans une certaine mesure les pays occidentaux y ont Ă©galement leurs relais, ce qui ne peut que rendre extrĂȘmement complexe lâĂ©mergence dâune parole et dâune stratĂ©gie unifiĂ©es, au-delĂ de la volontĂ© de voir Assad quitter le pouvoir. La troisiĂšme raison est que lâopposition armĂ©e (celle qui Ă©tait prĂ©sente Ă Astana, mais plus encore celle qui ne lâĂ©tait pas) ne reconnaĂźt pas lâautoritĂ© politique de la coalition.
LâArabie saoudite, le Qatar, mais aussi les Ătats-Unis, le Royaume-Uni et la France, ont Ă©galement des relais sur le terrain militaire. JusquâĂ prĂ©sent, aucun de ces Ătats nâa exprimĂ© dâopposition au processus dâAstana. Il est cependant peu prudent dâen conclure quâils se soumettront sans faire valoir leurs intĂ©rĂȘts dans le conflit. Il ne faut pas oublier que lâun des groupes armĂ©s salafistes les plus puissants, Ahrar Al Sham, ne sâest pas rendu Ă Astana et il est impossible de savoir si ses dirigeants accepteront les rĂ©sultats des nĂ©gociations sans la pression dâĂtats qui sont eux-mĂȘmes dâobĂ©dience salafiste, comme lâArabie Saoudite et le Qatar. Par ailleurs, malgrĂ© lâattitude sceptique de la nouvelle administration amĂ©ricaine Ă lâĂ©gard de lâopposition syrienne, Trump nâa pas cessĂ© dâĂ©voquer la possibilitĂ© de crĂ©er des zones protĂ©gĂ©es Ă lâintĂ©rieur du territoire syrien â un point de vue que partagent les EuropĂ©ens sous prĂ©texte de considĂ©rations humanitaires, et que lâopposition armĂ©e a toujours dĂ©fendu, mais uniquement comme tactique militaire de contrĂŽle des territoires. Quelles que soient les intentions des uns et des autres, la crĂ©ation de telles zones nĂ©cessitera une implication militaire qui, le cas Ă©chĂ©ant, ne sera en rien diffĂ©rente dâune intervention. Or, une intervention militaire Ă lâheure actuelle serait fondamentalement contraire Ă la logique dâAstana. Rien ne garantit en effet que ces zones protĂ©gĂ©es ne se transforment, chemin faisant, en zones autonomes, en contradiction totale avec «lâunitĂ© et lâintĂ©gritĂ© territoriale» de la Syrie sur laquelle la dĂ©claration dâAstana a si fortement insistĂ©.
Si les nĂ©gociations politiques de lâaprĂšs-Astana venaient Ă se concrĂ©tiser, elles devraient trouver une solution Ă un autre problĂšme â celui de la place des Kurdes. La Turquie cherche Ă les exclure et a mĂȘme obtenu des Russes et des Iraniens quâils ne soient pas prĂ©sent Ă Astana. Mais il sera particuliĂšrement difficile de les exclure de futures nĂ©gociations, non seulement parce que leur prĂ©sence sur le terrain militaire est impossible Ă ignorer, mais aussi et peut-ĂȘtre surtout parce que cette prĂ©sence militaire est nĂ©cessaire dans le combat contre Daesh et Al Qaeda, les deux groupes que tout le monde aimerait exclure des nĂ©gociations.
En somme, parce que le conflit syrien a atteint sa maturitĂ© depuis quelque temps dĂ©jĂ , le rĂ©cent cessez-le-feu et la confĂ©rence dâAstana ont ouvert une fenĂȘtre dâopportunitĂ© pour une rĂ©solution politique. Comme câest souvent le cas dans des conflits aussi meurtriers, la solution sera de nature consensuelle: elle ne parviendra Ă satisfaire dans lâabsolu aucun acteur, mais elle permettra de mettre un terme Ă une effusion de sang dont tout le monde est finalement responsable.
Miloud Chennoufi est professeur de relations internationales au CollĂšge des Forces canadiennes.
(PHOTOGRAPHIE: LA PRESSE CANADIENNE / API / SERGEI GRITS)
