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Le 4e choc pétrolier et les États du Golfe

Spring / Summer 2016 Features

Le 4e choc pétrolier et les États du Golfe

Le quatrième choc pétrolier et le destin des États du Golfe Les réajustements financiers et fiscaux qui s’en suivront risquent de révéler la nature et le fonctionnement réels des monarchies pétrolières

La forte chute du cours du pétrole à partir de la deuxième moitié de 2014 fut conditionnée par plusieurs facteurs, mais principalement par la baisse brutale de la demande d’énergie en Chine et la hausse rapide des volumes de production de plus en plus dissociée de la demande mondiale. Après avoir atteint 115 USD le baril en juin 2014, le prix du baril de brut Brent se situait autour de 30 USD au mois de février 2016.

Cette longue période de faiblesse relative du prix du pétrole a entraîné un léger changement de cap dans les États du Golfe persique, dont une part élevée de leurs revenus provient de leurs exportations d’hydrocarbures. Dans un premier temps, les gouvernements régionaux se sont empressés de rassurer leurs populations en diffusant le message que les programmes d’infrastructures et les bénéfices sociaux ne seraient pas affectés par la baisse des revenus pétroliers. Cependant, voyant que le prix allait rester à de bas niveaux sur une période plus longue qu’originellement anticipée, il est rapidement devenu clair pour les pays de la péninsule arabique que ces engagements seraient de plus en plus difficiles à respecter. Cette nouvelle donne signifie que les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) doivent formuler rapidement des stratégies de développement à long terme qui sont claires et réalistes. Celles-ci doivent s’occuper des questions ayant trait aux subventions gouvernementales et à la dépendance aux exportations des hydrocarbures comme source quasi unique de revenus pour les États membres.

Même si les réserves de change du Royaume saoudien (environ 635 milliards USD) sont suffisantes pour permettre au gouvernement de passer au travers d’une longue période de prix faible, il n’en reste pas moins que de nouvelles sources alternatives de revenus doivent être explorées.

Afin de maintenir ses dépenses, l’Arabie saoudite, par exemple, pige dans ses réserves de devises étrangères pour contrer l’effet de la chute du prix du pétrole sur le marché mondial, une politique insoutenable à moyen et à long terme. Même si les réserves de change du Royaume saoudien (environ 635 milliards USD) sont suffisantes pour permettre au gouvernement de passer au travers d’une longue période de prix faible, il n’en reste pas moins que de nouvelles sources alternatives de revenus doivent être explorées, et ce, pour deux raisons fondamentales. D’abord, l’Arabie saoudite puise actuellement dans ses réserves de change à un rythme sans précédent depuis les 50 dernières années. Ces réserves ont fondu de 88 milliards USD en 2015. Deuxièmement, Riyad a confirmé à plusieurs reprises son engagement à mettre en chantier de grands projets d’infrastructure. Ibrahim Al Assaf, ministre des Finances, a annoncé en mai 2015 que le gouvernement saoudien avait près de 2 600 projets sur les rails, dont le coût total est estimé à 50 milliards USD. Il a également souligné que le budget déposé le 1er janvier 2016 avait comme principal objectif de remettre la croissance économique entre les mains du secteur privé – à savoir l’immobilier, la construction, le tourisme et la finance.

Voilà de nobles intentions qui permettront au Royaume de réduire sa dépendance à l’égard des hydrocarbures pour générer des emplois et de ses réserves de devises étrangères pour équilibrer son budget. Cependant, d’autres mesures devront être prises pour accroître les recettes publiques, stimuler la croissance économique et augmenter la participation du secteur privé. En juin 2015, le marché de la bourse des valeurs mobilières de Riyad (Tadawul) fut ouvert aux «investisseurs étrangers habilités», à savoir des banques, des maisons de courtage, des fonds d’investissement et des compagnies d’assurances, qui ont au moins 18,75 milliards de riyals (cinq milliards USD) d’actifs sous gestion. Les investisseurs étrangers pourront contrôler un maximum de cinq pour cent du capital d’une société. L’Arabie saoudite a même annoncé, début janvier 2016, qu’elle étudiait la possibilité de faire entrer en bourse le géant pétrolier Aramco, source principale de revenus du pays. Cette option, inimaginable il y a peu, s’explique par la baisse subite des rentrées en devises provoquée par la dégringolade des prix du pétrole. Riyad espère que ces mesures, certaines encore à l’état d’ébauche, vont entraîner un afflux de capitaux extérieurs, ces derniers suscitant à leur tour une stimulation de l’économie nationale. Les dirigeants saoudiens semblent finalement comprendre que de tels changements représentent des sources de revenus durables et une possibilité de croissance économique à long terme. Ce sont des sources plus efficaces que le recours ponctuel aux réserves de change pour colmater les déficits budgétaires et préserver les emplois.

La situation budgétaire est plus pressante à Bahreïn et à Oman en raison de leurs ressources pétrolières plus limitées en comparaison avec les autres pays du Golfe. Dans la première moitié de 2015, les sociétés de notation financière Standard & Poor’s et Moody’s ont revu à la baisse leurs prévisions économiques concernant ces deux pays. La chute des prix du pétrole fut invoquée pour justifier cette décision.

Afin d’appuyer des projets de développement dans ces deux pays et en réaction aux troubles sociaux qui ont balayé l’Égypte, la Libye, le Yémen et la Syrie au début de 2011, le CCG a promis, en 2011, 10 milliards USD d’investissements en infrastructures à Bahreïn et Oman respectivement. Une partie importante de cet argent fut investie dans la construction de nouveaux logements dont les deux pays ont des besoins criants. Néanmoins, comme dans le cas de l’Arabie saoudite, de nouvelles sources de recettes internes doivent être créées. Après de récentes consultations avec Oman, le Fonds monétaire international (FMI) a publié un rapport exhortant le pays à contrôler la croissance des dépenses publiques et à diversifier ses sources de revenus non pétroliers. Le rapport souligne la nécessité d’alléger le fardeau pesant sur le principal créateur d’emplois dans le pays, à savoir le gouvernement. Comme dans tous les autres pays du Golfe, la sécurité d’emploi, un salaire élevé et des bénéfices sociaux avantageux sont des facteurs qui attirent inévitablement les Omanais vers les emplois du secteur public. Cette tendance fait peser une énorme pression sur le budget du gouvernement, qui se place dans la situation difficile d’embaucher un flux croissant de nouveaux diplômés. L’élaboration d’un plan à long terme est donc nécessaire afin d’encourager les jeunes Omanais à se tourner davantage vers des emplois comparables dans le secteur privé.

À Bahreïn, la lenteur de la préparation d’un nouveau régime fiscal freine le progrès vers l’assainissement des finances publiques – réduction des déficits et de l’accumulation de la dette. Un fossé s’est creusé entre le ministère des Finances et le Conseil des représentants sur des questions cruciales concernant notamment la dette publique et les subventions gouvernementales. La situation est aggravée par le sentiment d’urgence suscité par les faibles prix du pétrole, étant donné que 88 pour cent des recettes étatiques proviennent de la vente du pétrole. L’engagement du gouvernement par rapport à la réalisation de grands projets, pris avant le début de la descente des prix du pétrole, se retrouve à nouveau dans le budget pour l’exercice biennal 2015-2016. Pour l’année 2015, près de 12 pour cent du budget fut consacré à ces projets. Parmi ceux-ci, le logement reste une priorité absolue pour 2016, et son financement proviendra du budget de l’État et du fonds autorisé par le CCG. Compte tenu de l’envergure de ces projets, certains postes de dépenses devront être réduits, voire même supprimés, pour atteindre l’équilibre fiscal. Voilà où la réforme des subventions entre en jeu.

En avril 2015, Manama a pris la décision d’augmenter le prix de vente du gaz naturel à des fins commerciales de 0,25 pour chaque million de BTU (unités thermiques britanniques). Le plan gouvernemental vise à hausser de 0,25 USD pour chaque million de BTU les cours du gaz naturel jusqu’à ce qu’ils atteignent quatre USD en 2021. Cette politique fut majoritairement bien accueillie par les Bahreïnis. Par contre, la suppression progressive des subventions au secteur de la viande fut largement critiquée. Bahreïn a pour tâche délicate d’identifier les postes de son budget susceptibles d’être comprimés ou maintenus.

Au Qatar, les dépenses à grande échelle sont nécessaires car le pays est engagé dans plusieurs mégaprojets, au nombre desquels la Coupe du monde de la FIFA de 2022. Deux projets de construction d’usine pétrochimique ont tout de même été mis en veilleuse à la fin de 2014. En décembre 2015, un rapport du ministère de la Planification et des Statistiques indiquait que la croissance économique était revue à la baisse pour l’année 2015, passant de 7,3 pour cent à 3,7 pour cent. Néanmoins, le même rapport prévoyait un excédent budgétaire de 1,7 pour cent du PIB, soit environ 3,7 milliards USD en baisse sur la prévision de juin 2015, qui se situaient à huit milliards USD. Les revenus tirés de la vente d’hydrocarbure seront nettement en baisse en 2016, dû évidemment à la spirale vers le bas des prix du pétrole et du gaz, si bien que le ministère s’attend à un déficit budgétaire de 4,8 pour cent du PIB. Cela n’empêchera pas le Qatar de poursuivre son ambitieux programme d’investissement pour la période 2014-2018, laquelle verra la somme de 182 milliards USD dépensée dans les secteurs non liés aux hydrocarbures.

Selon le ministère des Finances, une part importante de ces dépenses ira aux secteurs de la santé, de l’éducation, des infrastructures et du transport, ainsi qu’aux projets liés à la Coupe du Monde. Les déclarations officielles du ministère assurent les Qataris et les investisseurs étrangers que si les prix du pétrole chutent en-dessous de 65 USD le baril, comme c’est le cas maintenant, le gouvernement utilisera ses réserves de change pour respecter son engagement à l’égard de la population en matière de santé, d’éducation et de développement économique. Toutefois, les dirigeants qataris doivent garder à l’esprit qu’une stratégie à long terme – c’est-à-dire plus de cinq ou 10 ans – est essentielle s’ils désirent vraiment élargir les secteurs non pétroliers.

Même si les Émirats arabes unis (EAU) sont le pays qui a investi le plus dans ses infrastructures comme les routes et autoroutes, les hôpitaux, les écoles, les centres commerciaux et les complexes hôteliers de luxe, la dépendance du gouvernement aux hydrocarbures comme source de revenus demeure toujours trop élevée. Les recettes du pétrole et du gaz représentent deux tiers des recettes totales d’exportation. Ce ratio est insoutenable à long terme, surtout si la période actuelle de faibles prix du pétrole se prolonge sur plusieurs années, comme le prédisent plusieurs spécialistes. La solution, et les dirigeants des Émirats l’ont compris bien avant leurs voisins, est d’accélérer le processus de diversification qui est déjà en place. Cette diversification doit être élargie et doit inclure tous les secteurs commerciaux et industriels ayant le plus fort potentiel de croissance. Les sept émirats investissent massivement dans le tourisme et les autres secteurs tertiaires (services, import-export, transport aérien), alors que les émirats d’Abu Dhabi, de Dubaï et de Sharjah tentent d’attirer les banques privées internationales, ainsi que les étudiants étrangers en offrant une gamme variée de programmes d’études supérieures en collaboration avec New York University et l’Université de Paris IV Sorbonne (Abu Dhabi), Dubai Knowledge Village et American University of Sharjah. Cependant, les efforts déployés par Abu Dhabi pour élargir la base commerciale et industrielle du pays doivent être plus soutenus, car les nouvelles possibilités d’emplois pour les jeunes Émiratis en dépendent.

Au Koweït, même si le prix d’équilibre fiscal est assez bas, se situant à 50 USD le baril, la croissance économique passe par des réformes majeures dans l’administration, des investissements dans les infrastructures et l’amélioration de l’environnement des affaires. l’agriculture, les infrastructures et l’énergie, l’amélioration de l’environnement des affaires et la mise en exploitation du potentiel minier.Ce prix faible couvrant les dépenses publiques est révélateur d’une économie insuffisamment diversifiée et d’un niveau de dépenses publiques trop modéré. Durant les 16 dernières années, profitant de la hausse régulière des prix du pétrole, le Koweït avait pu afficher un surplus budgétaire. Toutefois, en août 2015 le Parlement koweïtien prévoyait un déficit budgétaire de 27 milliards USD en raison de la chute des prix du pétrole. Ces prévisions devront encore être révisées depuis que le baril de Brent est tombé sous la barre des 30 USD. Le budget de 2015-2016 prévoit également une baisse de près de 18 pour cent des dépenses publiques par rapport au budget précédent.

L’objectif prioritaire de l’État koweïtien devrait être la définition d’une approche plus unifiée pour identifier les projets d’investissement les plus intéressants.

Jusqu’en 2015, les hydrocarbures contribuaient environ 90 pour cent des revenus de l’État koweïtien. Au dernier trimestre de 2015, ils avaient chuté à 42,8 pour cent, soit 38,8 milliards USD. Les coupures dans les dépenses publiques, qui n’affecteront pas les salaires des employés de l’État, les services publics et les projets de développement, auront en fait un impact plus prononcé que prévu en raison d’un processus bureaucratique long, lourd et complexe, ce qui augmentera nécessairement les coûts d’opérations. Par conséquent, l’objectif prioritaire de l’État koweïtien devrait être la définition d’une approche plus unifiée pour identifier les projets d’investissement les plus intéressants. Il conviendrait de mettre l’accent sur une délimitation claire et détaillée des rôles et des responsabilités des diverses entités gouvernementales afin d’assurer que les projets se concrétisent dans les échéances prévues.

Bref, depuis l’apparition de la «pétro-politique» et des «pétro-dollars», le monde arabe vit dans une stagnation sociale et politique. Pendant des décennies, trop de pays arabes ont choisi de concentrer leurs «énergies» dans l’extraction de l’«or noir» plutôt que sur l’amélioration des capacités créatives et intellectuelles et sur l’esprit d’entreprise des hommes et des femmes arabes. Dans cette optique, un rapport de l’Arab Thought Foundation en 2012 indiquait qu’un enfant arabe et occidental lit en moyenne six et 12 000 minutes par an respectivement, une différence énorme. Dans les pays arabes, seulement 53 journaux pour 1 000 citoyens étaient publiés quotidiennement pendant la même année, alors que dans le monde développé le ratio était de 285 journaux pour 1 000 citoyens. Le nombre de livres édités annuellement est rachitique. Un best-seller arabe est généralement publié à 5 000 exemplaires, tandis que des romans à succès, publiés partout dans le monde, peuvent être interdits. À chaque année, cinq fois plus de livres sont traduits en grec qu’en arabe. Les ouvrages sur la religion représentent un cinquième des ventes de livres dans le monde arabe. Dans le reste du monde, les livres traitant de religion ne comptent que pour cinq pour cent des ventes totales de livres. Des efforts sont mis en place afin de changer cette situation troublante. Par exemple, en septembre 2015 le vice-président et émir de Dubaï, Cheikh Mohammed ben Rachid Al Maktoum, a lancé la campagne portant le nom de «Arab Reading Challenge». Le président des Émirats arabes unis, Cheikh Khalifa Ben Zayed Al Nahyane, a lui aussi emboîté le pas en annonçant en décembre que l’année 2016 serait la «Year of Reading».

Les pays du Golfe ont relativement peu de liens commerciaux entre eux, malgré une union douanière entrée en vigueur le 1er janvier 2003, mais dont l’application a été retardée par des questions liées aux recettes et au protectionnisme, et ils inventent ou font breveter rarement quoi que ce soit. Plutôt que de procéder à une évaluation réaliste de leurs déficits de développement ou de pousser leurs meilleurs talents vers l’acquisition de connaissances modernes et ainsi concurrencer l’Ouest sur son propre terrain, les pays du Golfe se sont coupés des sociétés progressistes et performantes, jouant le jeu de la «victimisation» en invoquant le conflit israélo-palestinien ou le passé colonial.

Bien évidemment, il y a des exceptions. Le Qatar, le Bahreïn et les Émirats vivent depuis environ une décennie de véritables expériences de modernisation. Par contre, l’État le plus imposant géographiquement, l’Arabie saoudite, se caractérise par la régression sociale et économique, ainsi que le recours aux «théories du complot» pour éviter le changement. Les défis structurels s’accumulent (choc démographique, libéralisation du marché intérieur, place des femmes sur le marché du travail), alors même que le Royaume est confronté aux conséquences budgétaires (réduction des réserves de changes et élimination des subventions aux fournisseurs d’eau, de gaz et d’électricité) de la baisse des cours de l’or noir.

Occupant une position centrale dans le Golfe, l’Arabie saoudite est le siège de l’orthodoxie sunnite. Elle a pendant plus de deux siècles été dominée par la secte wahhabite, qui suit une interprétation extrêmement conservatrice du Coran. En conséquence, une plus grande influence chiite dans le Golfe, exacerbée par l’Iran, représentant de l’Islam chiite au Moyen-Orient, serait généralement considérée comme une menace à la fois pour les monarchies et pour les sunnites wahhabites de la région.

L’inquiétude des autorités saoudiennes et des monarchies du Golfe s’est renforcée lorsque l’Iran a décidé d’apporter son soutien à l’opposition conduite par les chiites à Bahreïn en mars 2011. Toute forme de concessions politiques concrètes faites aux chiites à Bahreïn aurait été considérée comme une victoire des rebelles contre l’«ennemi sunnite», incarné par les gouvernements des monarchies du Golfe persique. Le déclin et la chute des régimes arabes sunnites, ennemis déclarés du régime chiite en Iran, assurerait une plus grande influence iranienne dans la région et représenteraient une autre victoire contre le «Grand Satan», les États-Unis. Washington, quant à elle, a toujours soutenu les régimes sunnites, notamment la monarchie saoudienne. Une éviction du gouvernement saoudien en faveur des mouvements chiites pourrait donner à l’Iran un allié indéfectible contre la présence américaine dans la région.

En outre, selon le Guide suprême iranien Ali Khamenei, les soulèvements arabes en faveur de la démocratisation émanent d’une logique enracinée dans la révolution iranienne de 1979, événements considérés à Téhéran comme une renaissance islamique contre les dictateurs arabes soutenus par l’Occident. Ainsi, la véritable crainte des monarchies réside dans l’accroissement possible de l’influence iranienne dans la région, au niveau non seulement religieux, mais aussi économique et politique. L’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran préoccupe tout autant les monarchies, car cela perturberait assurément l’agencement géopolitique actuel au Moyen-Orient. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les récentes tensions régionales suite à la décision saoudienne au début de l’année d’exécuter par décapitation Nimr Baqer Al Nimr, figure de la contestation contre le régime saoudien mais aussi contre la famille régnante Al Khalifa (sunnite) de Bahreïn.

En Syrie, la situation sur le terrain ressemble de plus en plus à une guerre par allié interposé entre l’Iran et l’Arabie saoudite d’un côté, et les États-Unis et la Russie de l’autre. Téhéran et Riyad cherchent à élargir leur influence au Moyen-Orient: ils se disputent en effet une sphère d’influence en Syrie, pays à majorité sunnite, et en Irak voisine où les chiites sont en plus grand nombre. Les Saoudiens et les Qataris sont depuis longtemps les défenseurs d’un règlement politique de la crise syrienne selon lequel Bachar Al Assad quitterait le pouvoir, ce qui est aussi réclamé par l’administration Obama. L’Iran soutient Assad, tandis que l’Arabie saoudite participe à la coalition internationale menée par son allié historique, les États-Unis. Le conflit syrien représente donc une cristallisation de leur rivalité.

Les deux pays sont aussi engagés dans une autre guerre par procuration au Yémen, où des rebelles chiites sont soutenus par l’Iran. Le conflit s’enlise et les derniers événements éloignent la perspective d’un cessez-le-feu. Les mollahs pourraient prolonger le conflit de façon à épuiser l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe, tous confrontés à l’effondrement des prix du pétrole.

Contrairement aux organisations sociales actives en Iran, au Yémen et, dans une moindre mesure, en Arabie saoudite, celles des pays du Golfe n’ont pas politisé la foi islamique. Cependant, parce que les dirigeants des États membres du CCG sont relativement fermés à la critique de leurs systèmes politiques, et parce que la culture partagée par la vaste majorité des citoyens de la région est inspirée fortement par l’islam, toute forme de dissension politique est susceptible de s’exprimer en termes religieux. Ces conditions politiques et sociales constituent un réceptacle propice au vocabulaire et à l’imaginaire des extrémistes islamistes. Pour l’instant, les pouvoirs temporels et spirituels restent entre les mains des familles royales, mais une période de deux ou trois années de bas prix des hydrocarbures pourrait déclencher la critique sociale des régimes en place – Koweït et Bahreïn étant les plus vulnérables à cet égard.

La baisse du prix du pétrole pourrait devenir un «détonateur» historique de réformes politiques. Elle pourrait également secouer le conservatisme et le statu quo dans la pensée et les habitudes de l’élite politique dominante. Un élargissement de la sphère politique pourrait aussi apparaître à la suite d’une prise de conscience populaire de l’incompétence des dirigeants de certains pays du Golfe. Une chose est certaine, la nouvelle donne sur les marchés mondiaux de l’énergie va provoquer des remous politiques dans la région. Les monarchies sont placées devant une situation inconfortable et malgré le fait qu’elles détiennent des fonds colossaux, la plupart ne sont pas bien outillées pour y faire face. Bref, le baril à 30 ou à 40 USD et les réajustements financiers et fiscaux qui s’en suivront risquent de révéler la nature et le fonctionnement réels de ces monarchies pétrolières.

bioline

Richard Rousseau est professeur associé de science politique à l’American University of Ras Al Khaimah, États arabes unis.

(ILLUSTRATION: GARY ALPHONSO)
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