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Que veut l’Occident de la Chine?

Winter 2010 Query

Que veut l’Occident de la Chine?

Attention à ce que nous souhaitons

Quand il s’agit d’une volonté occidentale face à la Chine, on peut distinguer deux ordres de désirs très distincts. En tant que grands consommateurs, nous avons un appétit indéniable pour les produits chinois. Cependant, nous avons aussi le souhait clair, exprimé à la fois par nos dirigeants politiques et nos organismes humanitaires, d’un système politique chinois plus démocratique et transparent. En d’autres mots, nous voudrions un gouvernement chinois qui ressemblerait plus à nos propres gouvernements, tout en étant peut-être encore plus environnementaliste. Malheureusement, notre souhait humaniste pour un état chinois plus ouvert, plus juste et moins polluant n’est pas forcément en accord avec notre appétit pour les produits chinois.

Les produits manufacturiers chinois envahissent de plus en plus nos domiciles. Ils sont à la base d’une explosion de consommation et d’endettement que la récente crise économique semble à peine freiner. Ces produits sont fondamentalement abordables. Il s’agit de technologies et d’objets familiers. Du très grand au tout petit, des meubles aux porte-clés, en passant par les téléviseurs HD et les puces d’ordinateurs, tout nous semble soudainement moins cher.

Cette masse de produits est le fruit d’un immense pas en avant dans l’industrialisation mondiale. La croissance économique chinoise compte, à elle seule, pour 20 pour cent de la croissance mondiale. La Chine fabrique aujourd’hui pour la planète entière, ce qui entraîne un effet transformateur important pour l’ordre économique mondial.

Pourtant, nous pensons peu aux fabricants eux-mêmes, à ces centaines de millions de jeunes Chinois qui ont quitté leurs villages pour venir passer leurs journées et leurs nuits dans les grandes structures de béton qui pullulent dans les villes industrielles. Cette immense mobilisation de la main-d’œuvre en si peu de temps n’a pas de précédent dans l’histoire. Les années en usine sont devenues un rite de passage pour les jeunes de la campagne chinoise. Il n’est pas rare de trouver des villages chinois habités presque exclusivement par des enfants et des vieillards, soit entièrement dépeuplés d’individus entre 15 et 35 ans. En outre, une partie non négligeable du salaire des ouvriers est expédiée vers la campagne, où on s’en sert pour acheter des provisions et des outils et pour apporter de petites améliorations à la dure vie paysanne.

Nous ne pensons pas non plus souvent aux centaines de milliers de fabriques qui consomment d’énormes quantités de métaux, de béton, de papier, de plastique, de charbon, de pétrole et de biens recyclés. Les Canadiens, par exemple, sont bien heureux de pouvoir vendre leurs matières premières à la Chine en assez grandes quantités pour essayer de couvrir leurs importations de produits manufacturiers. Après tout, ils sont si peu nombreux et habitent un si vaste et riche pays. Par contre, même le Canada est de plus en plus déficitaire envers la Chine.

Leurs voisins américains sont moins chanceux. Leur pays est aussi incroyablement riche, mais ils sont 10 fois plus nombreux que les Canadiens et consomment eux-mêmes une bien plus grande partie de leurs matières premières. Ils en ont donc moins à exporter, tout en étant les plus grands consommateurs mondiaux de produits chinois. Heureusement, les États-Unis ont une super monnaie que le monde entier convoite toujours.

La situation est bien plus désavantageuse pour l’autre grand pays du continent nord-américain, le Mexique, qui voulait lui-même devenir un pourvoyeur régional de biens manufacturiers. Avant même de pouvoir s’implanter solidement dans le marché américain, il fait aujourd’hui face à un compétiteur souvent plus discipliné, mais surtout plus productif. Les fabricants mexicains voient ainsi les prix de leurs produits baisser, au moment même où le coût de leurs intrants augmente et que leur main-d’œuvre devient de plus en plus coûteuse.

En fait, à part les grands exportateurs de ressources comme le Canada, les seuls autres grands gagnants occidentaux dans cet échange avec la Chine sont les exportateurs de technologies ultra-précises dont les Chinois n’ont pas encore maitrisé la production. Dans les usines chinoises, les machines qui font les machines viennent encore souvent du Japon et de l’Allemagne, mais même ces pays combattent une tendance à la baisse dans la croissance des ventes de ces produits hautement spécialisés.

Cette consommation de produits chinois a eu des parallèles dans les périodes médiévale et antique. Les biens venant de la Chine étaient alors hautement convoités par les élites qui, seuls, pouvaient se les payer. Ce fut d’ailleurs une des principales motivations pour l’expansion du commerce maritime en Europe, qui mena éventuellement l’Occident à dominer le monde. De nos jours, ce même commerce maritime, de plus en plus volumineux et développé partout dans le monde, fait que les biens chinois ont des acheteurs parmi toutes les strates sociales, partout sur Terre. Les élites sont toujours acheteuses de produits chinois, mais le plus pauvre paysan africain dispose lui aussi d’une paire de bottes ou d’une machette fabriquées en Chine.

Les citoyens chinois ne sont toutefois pas encore de grands consommateurs. Il demeure en effet encore très cher pour les Chinois de consommer eux-mêmes leur production industrielle. Ceci est partiellement l’œuvre du gouvernement central qui contrôle les salaires et estime que, pour le moment, la consommation serait trop inégalement repartie et nuirait trop au développement tant soit peu lent de la vie rurale pour être libérée de leur contrôle. On calcule peut-être aussi que les producteurs chinois doivent en premier lieu supprimer la compétition mondiale avant de laisser les salaires ouvriers augmenter et donner libre cours à la consommation intérieure.

Pourtant, le gouvernement central de la Chine déclare déjà depuis plusieurs années qu’il se fixe l’objectif de faire progressivement croître la consommation domestique. D’ailleurs, la Chine vient de déclarer qu’elle venait de déclasser les États-Unis comme plus gros producteur d’automobiles au monde, et les automobiles chinoises sont presque uniquement achetées en Chine.

Donc, quand nous exigeons une société chinoise plus démocratique et plus transparente, nous le faisons sans trop penser à notre intense consommation de produits chinois. Or, l’économie de la Chine est étroitement liée à son système politique. Quand nous achetons des produits chinois, nous achetons aussi le système chinois, qui repose sur des valeurs sociales finement codifiées, sur une gestion de la main d’œuvre, le maintien des prix et une limitation de la croissance de la population, lesquels jouent tous un rôle important pour nous offrir une production – et donc une consommation – plus abondantes et séduisantes qu’elles ne le seraient autrement. C’est en grande partie un système social et politique très discipliné et, de notre point de vue, assez oppressif qui permet le roulement harmonieux de cette économie si vaste.

La liberté d’expression, les droits individuels, la transparence et la pluralité politique sont encore des valeurs étranges et distantes pour les masses chinoises. Leur souhait, et celui de leur gouvernement, est d’abord et avant tout d’être prospère.

Cependant, le passage par les fabriques et les villes constitue une sorte de libération pour des centaines de millions de Chinois. Aussi contraignante que peut être l’existence de l’ouvrier manufacturier, qui vit souvent dans un état semi-clandestin et jouit de peu de droits, le salaire qu’il gagne dans l’usine demeure bien plus alléchant que ce que lui offre une existence agricole. C’est sans parler que son passage dans la ville lui ouvre les yeux sur de nouvelles formes de vie, jusqu’alors inimaginables.

Nous devons donc considérer la période actuelle comme une transition. Tant qu’il y aura des masses de paysans pauvres dans ses villages, la Chine manufacturière pourra s’y fier pour garder le coût de la main-d’œuvre bas, et nous, pour continuer de jouir de produits peu chers.

Peut-être devrait-on se réjouir du fait que l’Occident privilégie plus les libertés individuelles que la Chine. En effet, ces libertés nous aident justement à nous assurer une compétitivité économique de plus en plus mise à l’épreuve par la Chine, en nous permettant de demeurer plus inventifs, innovateurs et possiblement heureux que les Chinois.

En revanche, même à ce niveau, la Chine connaît une évolution. Elle reconnaît cet avantage des sociétés occidentales et tente d’y contrer en encourageant une certaine libéralisation du milieu académique et scientifique.

La Chine continuera donc à répondre à notre appétit de consommateurs, parce que c’est avantageux pour elle. Elle continuera aussi à évoluer vers une certaine libération de l’individu, vers une libéralisation politique et économique et vers une conscientisation environnementale – non pas parce que nous le voulons, ou pas nécessairement en suivant les modèles occidentaux, mais bien parce que cette progression est nécessaire pour la prospérité et la croissance chinoises.

En somme, il est probablement plus important désormais que les Occidentaux réfléchissent à ce que veulent les Chinois de nous. La réponse pourrait bien s’avérer troublante pour nous, les Occidentaux, encore peu habitués à partager le contrôle de la planète et des ressources limitées qui s’y trouvent.

La vérité est que l’intérêt des Chinois envers nous se résume souvent à leur appétit pour nos matières premières. La Chine a bien sûr encore profondément besoin de nos consommateurs, mais, en tant que société, elle s’inspire beaucoup moins de nous que nous le souhaiterions. Elle désire certainement apprendre de nos avancées technologiques, mais elle résiste toujours à se joindre au grand cortège des nations disciples de l’Occident. La logique de notre modèle ne lui paraît peut-être pas si évidente, et peut-être un jour les Chinois auront eux-mêmes un modèle viable à proposer à la planète.

bioline

Alexandre Trudeau est cinéaste, journaliste et écrivain montréalais. Dans son oeuvre documentaire et écrite, il porte un regard critique et intimiste sur l’évolution des sociétés mondiales et des grands enjeux géopolitiques.

(Illustration: Dan Page)
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