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Entre libre-échange et souveraineté

Winter 2010 In Situ

Entre libre-échange et souveraineté

La valse inter-détroit (Taipei-Pékin) continue. Barthélémy Courmont rapporte de Taiwan

Depuis deux ans et l’arrivée au pouvoir du président taiwanais, Ma Ying-jiou, les relations entre Taiwan et la Chine continentale se sont considérablement améliorées, et à plusieurs niveaux. La relation d’interdépendance économique, qui existait déjà, est désormais officiellement reconnue de part et d’autre, et des avancées notables en matière d’échanges de personnes, d’établissement de lignes aériennes directes ou encore de rencontres de personnalités importantes ont été constatées. Cependant, 2010 pourrait marquer un nouveau niveau dans la mise en place de relations durables entre les deux entités rivales, qui refusent tout dialogue depuis 1949, Pékin et Taipei ayant manifesté leur désir d’accélérer l’intégration économique et commerciale inter-détroit.

À l’occasion du sommet de l’APEC, qui s’est tenu à Singapour en novembre 2009, le dirigeant du Kuomintang, Lien Chan, a rencontré le président chinois, Hu Jintao. Les deux hommes se sont entretenus sur les avancées dans les négociations concernant la mise en place d’une zone de libre-échange entre la Chine et Taiwan. Selon les observateurs taiwanais et chinois, de premiers accords pourraient même être signés dès 2010, ce qui ferait de cette année une véritable révolution dans la relation inter-détroit. Une telle évolution est analysée sous tous les angles à Taiwan, en tenant compte des avantages et des risques qu’un rapprochement avec le rival chinois provoquerait. Ce constat est alimenté par l’observation des stratégies chinoises de partenariat économique et commercial avec d’autres pays, en particulier en Asie du Sud-Est.

L’actualité est en effet riche de ce côté. La Chine et six pays de l’ASEAN ont supprimé depuis le 1er janvier 2010 la quasi-totalité des droits de douane sur 7 000 produits et services couvrant pas moins de 90 pour cent de leurs échanges. Cet accord, qui entre en vigueur dans ce qui est devenu, en volume, la troisième zone de libre-échange de la planète, va modifier le paysage commercial et industriel d’une région qui couvre 13 millions de kilomètres carrés et totalise une population de deux milliards d’habitants. Seuls la Thaïlande, l’Indonésie, Brunei, les Philippines, Singapour et la Malaisie sont pour l’instant concernés par cet accord, qui s’étendra aux autres pays de l’ASEAN à échéance de 2015. Néanmoins, le processus est engagé et les échanges dans la région devraient doubler en 2010 par rapport au volume de 2005, date à laquelle les premières levées sur les taxes douanières entrèrent en service : 200 milliards de dollars américains contre un peu plus de 100 milliards de dollars. Et ce chiffre augmentera de manière constante dans les prochaines années.

Les pays de l’ASEAN vont pouvoir accroître leurs exportations de matières premières vers la Chine (riz, fruits exotiques, caoutchouc, huile de palme, gaz naturel). Mais cette nouvelle donne économique a aussi de quoi les inquiéter, du fait du « poids » du grand voisin du Nord. C’est donc surtout la Chine qui pourrait profiter de cet accord pour augmenter ses exportations et renforcer sa puissance économique à l’échelle asiatique.

Les dirigeants taiwanais ont suivi de près les conditions dans lesquelles cet accord a été adopté, en ce qu’il pourrait à la fois servir de référence pour les accords inter-détroit, mais également dans la possibilité d’élargir ces derniers aux pays de l’ASEAN. Le marché d’Asie du Sud-Est a tout pour attirer la puissance exportatrice qu’est Taiwan, et la possibilité d’accroître les échanges avec cette zone en partenariat avec la Chine permettrait de réduire les risques de compétition.

Les interrogations sont cependant multiples au sein de la population taiwanaise au sujet de la question d’une zone de libre-échange avec la Chine. Le rapport de forces étant très nettement à l’avantage de Pékin, qui deviendra officiellement en 2010 deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis et devant le Japon, de nombreux Taiwanais craignent ainsi d’être asphyxiés par le géant chinois. L’opposition politique craint, pour sa part, que la souveraineté de Taiwan ne soit mise à mal dès lors que le rapprochement avec la Chine, qui continue de présenter Taiwan comme une province rebelle, rendrait difficile toute volonté d’indépendance. La crise économique internationale n’ayant pas épargné Taiwan, le président Ma Ying-jiou sait qu’il joue une partie de son avenir politique sur la relation inter-détroit et la manière dont celle-ci est perçue par l’opinion publique de son pays. Élu sur un programme de reprise de l’économie, il a une obligation de résultats, mais il ne peut dans le même temps solder la souveraineté de l’île au profit de Pékin. Ses adversaires politiques l’attendent donc au tournant, en prévision des prochaines échéances électorales. L’année 2010 est donc un test grandeur nature à la fois pour mesurer la solidité de cette nouvelle relation inter-détroit, mais également pour vérifier dans quelle mesure la population taiwanaise est prête à des changements majeurs dans les échanges avec la Chine continentale.

bioline

Barthélémy Courmont est professeur invité à l’Université du Québec à Montréal et titulaire par intérim de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.

(Photograph : The Canadian Press / Chiang Ying-Ying)
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