Recherche et éthique
Voici l’esquisse d’un débat très intriguant. J’aimerais bien vous lire sur le sujet.
Est-il éthique d’utiliser les documents et informations divulgués par Wikileaks pour de la recherche scientifique ?
Non : Wikileaks n’a pas l’autorité morale pour distribuer cette information. Wikileaks a volé ces documents. Il n’est pas éthique d’utiliser des documents qui n’ont pas été obtenus légalement.
Non : La dissémination de cette information, au-delà de ce que l’on retrouve déjà dans les média, peut avoir des conséquences graves. Les gouvernements de la planète ne cessent de répéter depuis dimanche que cette information, maintenant publique, met en danger des vies humaines. Il ne serait pas éthique d’utiliser à des fins de recherche des informations pouvant avoir des conséquences particulièrement néfastes.
Non : L’un des principes fondamentaux de la recherche scientifique est l’obtention du consentement du sujet. Or, il est clair ici que le sujet ne consent pas à la divulgation de l’information.
Non : Comment confirmer ou infirmer l’information recueillie ? Comment en vérifier, même, l’authenticité ? Peut-on utiliser de façon éthique de l’information que l’on ne peut pas trianguler ?
Oui : Wikileaks agit de façon morale et éthique. L’éthique publique, c’est agir pour le bien commun. Wikileaks a été fondé pour permettre la dénonciation de situations injustes et d’abus. Malgré ses détracteurs, c’est l’objectif que poursuit toujours ce site web. L’information divulguée, c’est une fenêtre ouverte sur les relations internationales contemporaines. Wikileaks offre une mine inestimable de données pour mieux comprendre ce qui se trame sur la planète.
Oui : L’information est maintenant, qu’on soit d’accord ou pas, dans la sphère publique. Elle est accessible à tous les chercheurs à travers le monde. Les média ont déjà créé des banques de données avec toutes ces missives. Maintenant qu’elle est du domaine public, cette information ne peut pas être ignorée. Comment même faire de la recherche en ne tenant pas compte de cette information ?
Oui : D’un point de vue éthique, il est de la responsabilité du chercheur de bien analyser et de citer clairement ses sources. S’il a des doutes, il ne devrait pas utiliser l’information, ou il devrait noter son scepticisme. Le chercheur devrait, tout au moins, tenter de valider l’information qu’il veut utiliser par d’autres voies. Tant que les sources sont identifiables, le chercheur a fait son devoir éthique. Il est de la responsabilité du lecteur, aussi, de porter un regard critique sur le travail de recherche effectué.
Oui : Les codes d’éthique sont d’une utilité limitée pour analyser cette situation. L’utilisation des codes mène à des propositions contradictoires. Les obligations de confidentialité que l’on retrouve dans tous les codes se retrouvent confrontées à d’autres obligations du chercheur. En science politique, la recherche peut avoir comme objectif d’assurer l’imputabilité des décideurs ; c’est ce que permet de faire l’information rendue publique par Wikileaks. Les codes tels qu’ils existent ne prévoyaient pas nécessairement ce type de scénario ultime. Le chercheur est, donc, en devoir d’utiliser son meilleur jugement.
Je ne fais qu’énumérer, ci-haut, les considérations les plus évidentes. Il y en a fort probablement d’autres dont il faudrait tenir compte. La discussion est peut-être, sans vouloir faire de jeu de mot, académique. J’ai la nette impression que bon nombre de chercheurs ne se gêneront pas et utiliseront ces données. Je ne crois pas, cependant, que la réponse soit si évidente.
Je me permets un commentaire sur la situation présente. Wikileaks vient de porter un dur coup à la diplomatie américaine. Il faudra bien des années aux USA pour redorer son blason. La diplomatie dépend de la confiance. Or, c’est ce lien de confiance qui est maintenant brisé. Les diplomates américains devront travailler fort pour rebâtir ces relations de confiance et pour de nouveau être crédibles aux yeux de leurs homologues des autres pays. Si, comme diplomate, vous possédez de l’information sensible, ferez-vous confiance aux Américains pour la garder secrète? Si un jeune pirate de 22 ans a réussi à mettre la main sur des milliers et des milliers de documents, c’est que l’information n’était pas suffisamment gardée. Il est difficile d’imaginer des missives diplomatiques chinoises se retrouvant à la une des journaux à travers le monde. Wikileaks a-t-il mit des vies en danger? Je ne crois pas que ce soit le cas de façon directe. Les Américains auront, tout de fois, beaucoup plus de difficultés à amasser, trier et analyser les renseignements bruts. Cela peut mettre en péril des opérations, ou même dans le pire des cas, la sécurité internationale.
Mme. Clinton a raison d’être mécontente. Elle peut bien blâmer Wikileaks, sauf qu’il est difficile de comprendre pourquoi les Américains ne protégeaient pas mieux toute cette information.
Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.