Gestion transparente des budgets des forces de défense/sécurité en Afrique
La gouvernance démocratique du secteur de la sécurité, tout aussi essentielle que l’opérationnalité des forces, pour assurer aussi bien la défense de l’État que la protection des populations, semble connaître un certain nombre de progrès dans l’espace sahélien, à la faveur des efforts engagés par différents acteurs pour introduire davantage de transparence dans la gestion des budgets de appareils de défense.
Au Mali, à la suite d’une requête émanant de l’opposition parlementaire, l’Assemblée nationale a adopté le 5 octobre 2019 une résolution portant création d’une Commission Spéciale d’enquête parlementaire en vue de mener des investigations sur les faits de détournements et de malversations financières relatifs à l’achat d’avions, d’hélicoptères et d’équipements militaires. Parmi ces faits figurent l’achat de l’avion présidentiel, d’équipements militaires, d’hélicoptères PUMA, d’avions SUPER TUCANO, la réparation d’hélicoptères PUMA et la formation de pilotes à des tarifs exorbitants. Bien que les travaux de cette Commission n’aient pas abouti, il est important de mentionner cette initiative, qui témoigne des efforts de l’institution parlementaire dans son ensemble pour exercer les pouvoirs qui lui sont reconnus par la Constitution. Le Bureau du Vérificateur général (VEGAL), créé en 2003 avec le soutien du Canada pour lutter contre la corruption, la mauvaise gestion et la délinquance économique et financière au Mali, a lui aussi joué un rôle majeur dans le lancement de ces investigations. Le VEGAL a ainsi rédigé un rapport provisoire relatif à la vérification de conformité et de performance de l’acquisition d’un aéronef et de la fourniture aux Forces armées maliennes FAMa de matériels d’habillement, de couchage, de campement et d’alimentation (HCCA), ainsi que de véhicules et de pièces de rechange, impliquant convention entre le MDAC et la société GUO-Star. L’Ancien Premier Ministre Soumaylou Boubèye Maïga, qui avait été précédemment Ministre de la Défense et des Anciens combattants, avait dû réagir, après sa démission, à ce rapport : il avait ainsi notamment invoqué, pour contester la légalité de la vérification, l’article 8 du code des marchés publics qui stipule en effet que tous les marchés susceptibles de secret défense sont soustraits au contrôle du Vérificateur.
Cependant, en marge de ces déclarations publique, Soumaylou Boubèye Maïga avait répondu aux questions du VEGAL, évoquant le rôle joué dans les transactions par l’ancien ministre en charge du Budget, l’ancien ministre de l’Economie et l’ancien ministre en charge des Investissements, comme en atteste l’annexe 22 dudit rapport. La société civile malienne a également joué un rôle important dans la lutte contre les pratiques de corruption au sein du système de sécurité malien, notamment à travers les campagnes menées par la Plate-forme contre la corruption et le chômage et la Coalition des organisations de la société civile pour la lutte contre la corruption et la pauvreté au Mali (COSCLCCP) pour dénoncer les malversations financières intervenues dans l’achat d’équipements et matériels militaires destinés aux Forces armées du Mali (FAMas).
La société civile malienne a également joué un rôle important dans la lutte contre les pratiques de corruption au sein du système de sécurité malien, notamment à travers les campagnes menées par la Plate-forme contre la corruption et le chômage et la Coalition des organisations de la société civile pour la lutte contre la corruption et la pauvreté au Mali (COSCLCCP).
Au Niger, le rapport d’audit provisoire du 17 février 2020, rédigé par l’inspection générale des armées sur les commandes passées par le ministère de la Défense, a révélé que 76 milliards de francs CFA (116 millions d’euros) ont été détournés entre 2014 et 2019, ainsi que l’ont révélé plusieurs organes de presse. Ce document intitulé « Rapport sur le contrôle à posteriori des marchés publics au ministère de la Défense » a été transmis à la Présidence de la République. Les pertes pour l’État nigérien s’élèveraient à près de 40% du montant total des contrats d’acquisition passés dans le domaine de la défense. Douze sociétés (dont plusieurs fictives) sont citées dans ce rapport accablant qui détaille les contrats jugés frauduleux par les inspecteurs des armées. Sont aussi dénoncés : l’achat de véhicules (camions, véhicules de l’avant blindés et pièces détachées), la construction de hangars et de bâtiments militaires, l’acquisition de matériel de balisage de piste et d’éclairage, des contrats passés pour la maintenance d’hélicoptères d’attaque MI-35, ou encore le marché destiné à l’achat d’un système de protection anti-missile pour l’avion présidentiel – conclu en 2015 mais jamais installé sur l’appareil.
Les financements extra-budgétaires, relatifs aux fonds destinés aux opérations extérieures et aux financements des partenaires, n’ont pas été examinés par les inspecteurs car ils n’ont pas fait l’objet de procédures de marchés publics. Par ailleurs, les enquêteurs se sont inquiétés de la délivrance des certificats aux destinataires finaux (end users) pouvant laisser craindre des livraisons de matériel, y compris d’armement lourd à « d’autres destinataires en dehors de l’Etat du Niger ». Initialement, le gouvernement nigérien a fait état de son intention de poursuivre les auteurs des détournements dans un cadre administratif et de se limiter à demander le remboursement des sommes détournées : les négociations engagées ont été révélées par un second rapport d’audit daté du 29 mars 2020. Le ministre de la Défense lui-même a fait part de son indignation. Opposition et société civile ont exigé la transmission du dossier à la Justice tout comme la Commission nationale des Droits humains. Le gouvernement a finalement transmis le dossier à la justice nigérienne le 7 avril 2020 : celui-ci pourrait donner lieu à plusieurs inculpations pour faux et usage et de faux et détournements de fonds publics, en violation du décret n°2013-570/PRN/PM du 20 décembre 2013 portant modalités particulières de passation des marchés de travaux, d’équipements, de fournitures et de services concernant les besoins de défense et de sécurité nationales
Au Burkina Faso, l’ex-ministre de la Défense et des anciens combattants, Jean-Claude Bouda, auditionné à la suite d’une plainte déposée par le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) pour enrichissement illicite, a été directement transféré le mardi 26 mai à la maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou. M. Bouda est poursuivi pour « faux et usage de faux, blanchiment de capitaux et délit d’apparence ». La plainte du REN-LAC a été déposée après la diffusion sur les réseaux sociaux en décembre 2018 des photos d’une très luxueuse villa, dont la propriété a été attribuée à Jean-Claude Bouda, qui a lui-même déclaré s’être mis à la disposition de la justice à la suite de plainte du REN-LAC.
Au Burkina Faso, l’ex-ministre de la Défense et des anciens combattants, Jean-Claude Bouda, auditionné à la suite d’une plainte déposée par le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) pour enrichissement illicite, a été directement transféré le mardi 26 mai à la maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou.
Il est ainsi rassurant de constater qu’aujourd’hui, certains acteurs, trop souvent négligés lorsqu’il s’agit de traiter des questions sécuritaires, osent désormais se saisir du rôle qui leur revient en matière de supervision et de contrôle du secteur de la sécurité :
- Au premier rang de ces acteurs figurent tout d’abord les services d’inspections des forces armées qui exerce une fonction d’audit interne au sein même des institutions de défense et de sécurité.
- Le rôle que peuvent jouer les Parlements, lorsqu’ils ne sont pas paralysés par l’existence de majorité acquises de manière écrasante à la sphère exécutive, est en outre illustré par le cas malien.
- Le rôle des Institutions supérieurs de contrôle (Cours des comptes ou Vérificateur général), en matière d’audit externe, est également mis en relief.
- Les organisations de la société civile ainsi que les médias ont eux aussi dans ces affaires démontré le rôle qu’ils peuvent jouer en matière de contrôle public du secteur de la défense et de la sécurité.
Ces différentes affaires rappellent que l’introduction et le respect de principes garantissant une gestion transparente des budgets alloués aux forces de défense et de sécurité constitue un élément indispensable pour assurer une gouvernance démocratique des secteurs de sécurité. Le secteur de sécurité doit en effet être soumis aux mêmes principes de gestion des dépenses que les autres secteurs. La nature hautement politique de certaines dépenses fait bien entendu peser sur le secteur de sécurité une contrainte supplémentaire : la nécessité de garantir la confidentialité de la plupart des informations budgétaires, afin de ne pas mettre en danger la sécurité nationale. Pourtant, l’impératif de confidentialité (qui ne saurait en rien être confondue avec la notion de « secret ») ne peut justifier l’absence de supervision du secteur de sécurité ou d’adhésion aux principes de gestion des dépenses publiques internationalement reconnus, notamment la discipline, la transparence, la responsabilité, la prévisibilité et la contestabilité. Il est trop souvent admis que, en raison de la sensibilité des questions de sécurité, les secteurs de sécurité et de défense sont différents des autres administrations publiques. La confidentialité ne sous-entend pas l’absence de responsabilité démocratique ; elle implique seulement des systèmes d’autorisation appropriés et des procédures de consultation de la sphère législatif et des autres organes de supervision.
La nature hautement politique de certaines dépenses fait bien entendu peser sur le secteur de sécurité une contrainte supplémentaire : la nécessité de garantir la confidentialité de la plupart des informations budgétaires, afin de ne pas mettre en danger la sécurité nationale.
Ces différentes affaires risquent par ailleurs de nuire aux nombreux appels lancés par le Mali, le Niger et le Burkina Faso pour que la communauté internationale augmente l’assistance qu’elle leur apporte en matière de défense et de sécurité. Les efforts de la France afin d’élargir le soutien à la nouvelle « Coalition pour le Sahel », dont la mise sur pied avait été annoncée lors du Sommet de Pau du 13 janvier, risquent également de pâtir de ces révélations.
Plus fondamentalement, ces affaires interviennent alors que les soldats des forces armées des trois pays sahéliens tombent presque quotidiennement au combat qui les opposent aux groupes djihadistes et criminels. Or, ces forces manquent parfois cruellement de moyens matériels et logistiques adéquats. L’utilisation à d’autres fins des fonds destinés à équiper les forces de défense et de sécurité pour qu’elles puissent assurer la défense des institutions et de l’intégrité de l’Etat tout comme la protection des populations partout sur le territoire national est ainsi particulièrement problématique. Ce sont les institutions militaires elles-mêmes et leurs personnels qui se trouvent lésés tandis que leur réputation se trouve une nouvelle fois entachée alors qu’ils sont aujourd’hui mobilisés sur la première ligne de front.