Etrange 14 juillet
“Un 14 juillet marqué par l’émotion” titre ce 14 juillet 2011 à 9 heures le site de France 2. Le ton des reportages réalisés en direct pour préparer l’opinion à la cérémonie veut rassembler la nation derrière ses soldats. Et les services de communication du ministère de la Défense savent y faire quand il s’agit de “proposer” clé en main des éléments préparés pour les chaînes de télévision. Emotion parce que mercredi 13 juillet 2011 cinq nouveaux soldats français sont morts en Afghanistan et plusieurs ont été grièvement blessés. Ceci au lendemain d’une visite “surprise” du Président français Nicolas Sarkozy en Afghanistan… pour y annoncer le retrait d’ici fin 2012 d’un quart des soldats français présents en Afghanistan, soit environ un millier d’hommes.
De belles images pour produire de l’émotion
N’en doutons pas, les commentateurs de France 2 et TF 1 sauront faire monter l’émotion durant le défilé. Les cinq nouveaux décès porteraient à 69 le nombre des pertes françaises en Afghanistan (http://icasualties.org/oef/) depuis 2001. Ce qui est à la fois peu par rapport au bilan humain de la Première Guerre mondiale et beaucoup pour une société devenue rétive au “prix du sang”. Surtout, les politiques et leurs relais n’ont pas encore été capables de véritablement “produire un récit qui donne du sens” à l’engagement français en Afghanistan. Jusqu’à preuve du contraire, il s’agit bien davantage d’un geste politique pour manifester la solidarité de la France à l’égard des Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 que d’une opération destinée à défendre les intérêts strictement nationaux. Ce 14 juillet 2011 est donc étrange puisqu’il va peut-être donner lieu – deux jours après un déplacement présidentiel sur le terrain pour annoncer un prochain début de retrait, un jour après cinq nouvelles pertes – à une tentative d’écriture d’un récit qui donne un sens commun à cet engagement. Presque dix ans après l’engagement, c’est un peu tard.
Où l’on démontre l’inverse de ce qu’on voulait
Deuxième étrangeté, la France est au même moment également engagée en Libye. Il est encore trop tôt pour annoncer une victoire et pour juger du résultat. Il faudra du temps pour évaluer les résultats concrets et les “surprises”, bonnes ou mauvaises. En attendant, ceux qui se penchent sur les processus de la décision ont un cas intéressant puisque tout laisse penser que les procédures les plus rationnelles ont été pour le moins bousculées. Ce qui peut surprendre dans un pays qui se veut cartésien. Tout laisse à penser que l’intention était de démontrer combien la France est – bien évidemment – attachée aux droits de l’homme et une puissance militaire capable de tenir tout son rang au sein de l’OTAN comme de l’UE. Reste qu’en dépit de l’alliance avec le Royaume-Uni, l’OTAN et plus encore l’UE semblent manquer d’enthousiasme.
Paradoxe sur lequel passeront les commentateurs du 14 juillet: ces deux opérations destinées à montrer combien la France est une puissance avec laquelle il faut compter ont surtout démontré… les limites des moyens militaires français. Ces derniers sont en sur-extension depuis de nombreuses années et l’aventure libyenne tombe particulièrement mal.
Reste alors à tenter de faire bonne figure, sourire tout en serrant les dents, ce qui n’est pas un exercice facile. Progressivement, le langage administratif et politique a changé au sujet de l’Afghanistan comme de la Libye. On parle maintenant de “guerre”… et cela passe dans l’opinion. L’objectif de cette bascule sémantique est d’amener les Français à assumer cette réalité. Ceci alors que le risque terroriste est réel de tous côtés, aussi bien en relation avec l’engagement en Afghanistan qu’en Libye où les pro comme les anti Kadhafi pourraient utiliser cette “ressource”.
Alors que défilent les soldats français sur les Champs-Elysées et que les commentateurs font vibrer les téléspectateurs, les manques de moyens des armées françaises sont cruellement mis à jour. Et on ne parlera pas de la faiblesse des autres armées européennes, Royaume-Uni mis à part. En ce moment même, certains doutent des capacités de l’Allemagne à passer à une armée de métier en mesure de s’engager sur un terrain difficile. Quant aux autres pays membres, beaucoup considèrent qu’ils ne sont tout simplement “pas à niveau” en terme de moyens.
Résultats, deux opérations qui devaient être des signes de puissance sont devenues des preuves d’impuissance relative. Il va falloir de belles images pour produire de belles émotions afin de le faire oublier.
Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’Ecole des affaires publiques et internationales de Glendon.