Enquête au vitriol sur le système bancaire américain
Journaliste d’investigation réputé, Eric Laurent a publié au cours des dernières années des enquêtes à succès sur le fonctionnement de l’administration Bush, les enjeux internationaux du pétrole, ou encore les failles du renseignement et de la sécurité aux Etats-Unis. Son dernier ouvrage s’attaque au système bancaire, aux Etats-Unis en particulier, avec pour objectif de percer les secrets de la crise financière internationale, et de comprendre quelle est la responsabilité des banques les plus puissantes de la planète. En raison de l’opacité de ce monde, de la rigueur de l’enquête et de l’importance des révélations qu’il fournit au fil des pages, cette enquête est sans doute l’une des plus abouties d’Eric Laurent.
L’auteur s’attaque ici sans concession aux firmes les plus connues de la nébuleuse de la finance internationale. En s’appuyant sur des entretiens, des confessions, mais aussi des intuitions qui le mènent à découvrir l’ampleur des liens unissant le monde des marchés et le Département au Trésor américain, dont l’intégrité et l’indépendance sont pourtant si souvent mis en avant, il offre une nouvelle grille de lecture des conditions dans lesquelles la crise de 2008 s’est déroulée, et surtout de quelle manière les principaux responsables de cette débâcle furent les premiers à en sortir indemnes. Car, et c’est là l’aspect le plus écœurant de cet univers cynique, Eric Laurent découvre que les banques ayant bénéficié d’un soutien au montant pharaonique de la part du gouvernement fédéral américain ont non seulement déjà tourné la page d’une crise qui ne les touche plus, mais ont surtout compris qu’elles pouvaient se lancer dans toutes les spéculations en toute impunité, et en sachant qu’elles seront soutenues par l’Etat si les choses ne se passent pas comme prévu.
Les points abordés dans le livre d’Eric Laurent collent d’autant plus à l’actualité qu’après un an de pouvoir, l’administration Obama cherche à appliquer les promesses de campagne d’une plus grande régulation des marchés financiers, et un contrôle plus strict du système bancaire. Barack Obama avait ainsi à de multiples reprises fait référence à « Main Street » (symbolisant la population américaine dans son ensemble) comme la principale victime des jeux hasardeux de Wall Street, symbole suprême des marchés financiers.
Une semaine après avoir annoncé la création d’une taxe sur les bonus des plus grandes banques américaines (approuvée par le Sénat), Barack Obama a répété le 20 janvier 2009 sa volonté d’empêcher le retour des méthodes à risque qui ont conduit à la crise économique internationale. Les propositions de Barack Obama rappellent à certains égards la loi Glass-Steagall prise après la Grande dépression de 1929, qui avait rendu obligatoire une séparation entre les banques d’affaires et les banques de réseau ayant une activité de commerciale. Eric Laurent commente d’ailleurs dans son ouvrage la signature de Bill Clinton en 1999 abrogeant cette loi, mettant fin à 70 ans de contrôle, et ouvrant les marchés financiers à une dérégulation totale.
Pour Joseph Stiglitz, professeur d’économie à Columbia University et Prix Nobel d’économie, rétablir cette loi telle qu’elle était n’est pas nécessaire, « mais le concept de base, tentant d’éviter un conflit d’intérêt, en s’assurant que la banque commerciale ne prend pas de risques excessif, ce principe est important ». Stiglitz, également cité à plusieurs reprises par Laurent, fut l’un des principaux critiques de l’évolution d’un marché de moins en moins régulé, et plaida souvent en faveur d’un retour d’un contrôle de l’Etat dans la jungle de Wall Street. Ces critiques furent partagées par George Soros, autre grand soutien d’Obama, mais qui publia une tribune acide en avril 2009 dans laquelle il estimait que le président « a perdu une grande opportunité en n’adoptant pas une approche plus radicale en traitant avec les banques. Il y a beaucoup trop de continuité avec la maladresse et la mauvaise gestion de l’Administration précédente et pas assez de rupture ». Cette décision d’Obama, après un an de mandat, vient-elle répondre à ces critiques ? Sans doute, mais les liens très forts qui unissent le monde de la finance à celui de la politique nous impose une grande prudence quant aux effets réels et à la durabilité de telles mesures, si indispensables soient-elles.
Eric Laurent ne porte d’ailleurs pas le président américain aux nues. Si ses attaques ciblent très nettement un milieu bancaire qui s’est servi de la dérégulation pour pratiquer ses jeux à l’abri des regards indiscrets, le premier président noir des Etats-Unis, souvent comparé à Franklin D. Roosevelt pour l’ampleur de sa mission dans la réponse à la crise économique et sociale profonde que traversent les Etats-Unis, est analysé sous un autre angle, l’enquêteur ne manquant pas de mettre en avant ses multiples contacts avec le monde de la finance, qui a d’ailleurs largement soutenu sa candidature face à celle de John McCain, jugé trop imprévisible. Démocrates ou Républicains, les barons de la finance ne choisissent pas selon des convictions politiques, mais en fonction de conditions qui leur semblent plus ou moins favorables. Car, conclut Eric Laurent, « le cynisme et l’avidité sans limites – et sans entraves – du secteur financier ne découlent pas d’une perte d’éthique mais d’une absence totale de morale et de principes ».
Eric Laurent, La face cachée des banques, Paris, Plon, 2009.
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