Finance et pornographie
Avec ce titre, j’ai certainement votre attention, n’est-ce pas?
Je vous propose aujourd’hui la création d’un corps de la finance, à l’image d’un corps diplomatique. Cette idée, je l’admets volontiers, n’est pas la mienne. Je la récupère, cependant, et je n’hésite pas à en faire la promotion. Je l’ai prise dans un journal, il y a de cela quelques temps. Cette idée me revient en tête suite aux informations de la semaine dernière comme quoi plusieurs employés de la SEC, le gendarme de la finance aux USA, utilisaient leurs ordinateurs de bureaux pour accéder à des sites pornographiques. Les farces sont plates, déjà usées et ne méritent pas d’êtres répétées. De plus, si la SEC n’a pas vu venir ce qui s’est passé chez Lehman Brothers, ce n’est pas à cause de quelques employés occupés à se divertir autrement. Bien entendu, il y a aussi du politique dans tout cela. Les accusations se trouvent dans un rapport gouvernemental transmis aux média par un élu républicain et cela le jour où Barrack Obama était à New York tentant de vendre son projet sur la réforme des marchés financiers. N’empêche, je l’ai souvent dit sur ce site, il faut revoir dans le cadre de cette sortie de crise, la capacité de l’État à bien superviser les acteurs de la finance.
Pensons au corps diplomatique pour quelques instants. Un corps diplomatique ça se bâtit. Le corps diplomatique d’un pays attire généralement les meilleurs éléments, les premiers de classe. Il y a des concours à l’entrée, qui sont assez difficiles. Les candidats parlent deux langues, ou plus. Les premiers emplois ne sont souvent pas très bons, dans un pays éloigné, à l’autre bout du monde. Les employés travaillent de longues heures, dans l’ombre, le salaire tout au moins au départ ne fait pas de jaloux. Chez les membres du corps diplomatique, ce n’est pas si important que cela, il y a la volonté de servir son pays, de découvrir le monde, de se battre pour quelque chose, de défendre les intérêts de la nation. C’est un choix de carrière, presqu’une profession de foi.
Du côté des bureaux de supervision et de réglementation des marchés financiers, c’est beaucoup plus compliqué. L’instinct de bâtir un corps de la finance n’y est pas. Il est difficile d’attirer les meilleurs éléments des écoles de management ou de droit, qui préfèrent aller dans le privé où la rémunération est beaucoup plus élevée. Le travail est difficile et ingrat. On obtient peu de respect des acteurs du marché, il est difficile d’y établir des liens de confiance, à long terme. C’est un travail de bureau, et il n’y a pas de boni en fin d’année comme chez Goldman Sachs. J’ai déjà rêvé d’être diplomate, mais qui rêve de travailler à la SEC ou à la FSA (Grande-Bretagne)? Les gens ne veulent pas y faire carrière, il y a plus attrayant. C’est un travail de bureaucrate, comme un autre. Or, il faut plus. Il faut des bureaux et des employés dévoués, trimant fort, aux aguets, prêts à se sacrifier et à prendre des risques.
Construire un corps de la finance n’est pas facile, mais ce n’est pas impossible. Il faut trouver les bons individus et investir suffisamment dès le départ pour propulser l’initiative. Qui peut, cependant, nier l’importance d’un tel projet étant donné le rôle clef des marchés financiers dans nos sociétés? La crise que nous venons de vivre a coûté des milliards aux gouvernements et aux économies. La création d’un corps de la finance offre une réel plus-value à un coût bien abordable, par rapport à ce qui vient d’être déboursé. C’est pratique et il ne s’agit pas de réinventer la roue. Il n’y a ici rien d’hyper-controversé, ce qui explique probablement pourquoi, d’ailleurs, ce n’est pas vraiment à l’ordre du jour… pas assez sexy comme approche.
Une dernière petite note pour dire que le problème ne se pose pas de la même façon au Canada. Le Bureau du surintendant des institutions financières, le bureau de réglementation fédéral, fait bonne figure. Certaines faiblesses existent au niveau des provinces. La création d’une commission unique des valeurs mobilières, projet qui avance tranquillement pas vite et qui pourrait être en place d’ici 2012, pourrait en partie remédier à ces problèmes.
L’analyse ci-haut vise, donc, avant tout les USA.
Caveat lector : Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Global Brief ou de l’École des affaires publiques et internationales de Glendon.