Liban : Révision constitutionnelle
Plus de trois mois après les élections législatives du 7 juin, le Liban reste sans gouvernement. La crise des institutions libanaises perdure depuis le retrait des troupes syriennes en avril 2005. Une réforme constitutionnelle est plus que jamais nécessaire.
Le Liban est le plus petit pays du Moyen Orient. Néanmoins, quatre millions d’habitants répartis en dix-huit communautés religieuses partagent une surface inférieure à 11 000 km2. Cette mosaïque libanaise symbolise à la fois une diversité culturelle unique dans la région (si ce n’est dans le monde) et une instabilité chronique aux niveaux politique, économique et social.
Diverses raisons internes et externes amplifient les problèmes de cette société multi-identitaire. Cet article n’analysera que les aspects constitutionnels vu leur importance dans le système politique.
Le Liban a connu sa première Constitution en 1926 sous le mandat français ; cette Constitution a été largement inspirée de la Constitution de la IIIème République en France. Ladite Constitution a été révisée en totalité en 1989 après l’accord de Taef qui a mis fin à la guerre civile. Depuis, le Liban vit sous la IIème République. Mais la récente crise institutionnelle intervenue après le retrait des troupes syriennes du Liban en 2005 a montré que la IIème République est malade ; ce qui nécessitera une nouvelle refonte institutionnelle.
La séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire est la clef de voûte de tout régime démocratique. C’est la répartition des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif qui constitue le cadre de notre analyse. En effet, dans la Constitution de 1926, le pouvoir exécutif a été confié presqu’en totalité au Président de la République, élu par la chambre des députés pour un mandat de six ans non renouvelable. Un Président du Conseil (premier ministre) assistait le Président de la République, mais ce dernier avait très peu de pouvoirs ainsi que les ministres qui étaient choisis presque exclusivement par le Président de la République. Quant au Parlement, une chambre des députés et un Sénat étaient prévus, mais ce dernier va être aboli et seule la chambre basse restera avec 99 députés. Le Président de la chambre des députés était élu par les députés pour un mandat de deux ans renouvelable. Il bénéficiait de pouvoirs exclusifs très réduits. Cette description n’aura rien eu de spécial si l’on ne rajoutait pas le facteur religieux à l’équation.
En effet, depuis 1860, le Mont-Liban, ancêtre politique du Grand Liban déclaré en 1920, connaissait une répartition politico-confessionnelle censée représenter toutes les communautés et les impliquer dans la gestion des affaires du pays. Cette répartition politico-confessionnelle a été reprise en 1926 et subsiste toujours actuellement avec quelques variations mineures. Depuis cette date, la Présidence de la République a été confiée à la communauté chrétienne maronite, étant la communauté majoritaire à l’époque. La Présidence du Conseil a été attribuée à la communauté musulmane sunnite. Quant à la présidence de la chambre des députés, c’est la communauté musulmane chiite qui a hérité de cette position. Du côté des députés, les 99 membres étaient répartis selon la règle du six chrétiens pour cinq musulmans, donc il y avait 54 députés chrétiens pour 45 musulmans.
L’indépendance du pays en 1943 n’a guère changé cette répartition, malgré le début du changement démographique dans le pays. Cette inégalité politique fut l’une des raisons de la guerre civile et ce n’est que par la réforme de cette inégalité que la guerre prendra fin. Avec l’accord de Taef, le pouvoir exécutif va être transféré de la Présidence de la République vers le Conseil des ministres réuni; la Présidence de la République n’aura plus qu’un rôle protocolaire, comme dans la plupart des démocraties parlementaires européennes. Du côté de la chambre des députés, le Président de la Chambre va voir son mandat étendu de deux à quatre ans avec de réels pouvoirs exclusifs. Quant aux députés, ils seront désormais 108 répartis de manière égale entre chrétiens et musulmans.
Les rédacteurs de Taef ont souhaité notamment le rééquilibrage des pouvoirs entre les différentes communautés religieuses sans se soucier des interactions entre les différents pouvoirs. Cela a conduit à des blocages extrêmes durant les quatre dernières années puisque les « checks and balances » n’existaient pas et chaque institution pouvait « freiner » l’autre. Ces blocages n’ont donc pas pu être résolus d’une manière constitutionnelle pacifique et il a fallu attendre les évènements de mai 2008 suivis de l’accord de Doha pour retrouver un semblant de normalité. Mais les dysfonctionnements et manques subsistent toujours.
Une IIIème République créant de nouveaux mécanismes évitant les blocages mais surtout aidant le pays à tourner la page du politico-confessionnalisme paraît comme le seul remède pouvant stabiliser le Liban. Diverses révisions majeures devraient alors être introduites d’une façon simultanée:
1- La chambre basse du Parlement devra être élue au suffrage universel direct à la proportionnelle sans étiquette confessionnelle.
Cela aidera la déconfessionnalisation des partis politiques et mènera à l’émergence ou la solidification des partis laïcs.
2- Il faut créer une chambre haute (Sénat) représentant les diverses communautés religieuses dont les sièges seront répartis de façon égale entre chrétiens et musulmans.
Chaque communauté religieuse élira ses représentants qui auront le devoir de représenter les intérêts de leurs communautés respectives.
3- Toute législation ne sera adoptée qu’avec l’accord et le vote des deux chambres du Parlement.
Ainsi, la majorité pourra gouverner, mais en même temps les intérêts des communautés notamment minoritaires seront préservés.
4- Le Président de la République devra être élu au suffrage universel direct. Il aura le pouvoir exclusif de dissoudre uniquement la chambre basse du Parlement et un droit de véto sur les lois avant leur promulgation.
L’élection au suffrage universel direct donne une légitimité accrue au Président. La dissolution de la chambre basse s’est avérée nécessaire en temps de crise. Quant au droit de véto, il pourra être surpassé par un vote des deux tiers de chacune des deux chambres.
5- Une rotation entre les Présidences de la République, du Conseil et du Sénat devra se faire entre les trois plus grandes communautés, soit les chrétiens maronites, les musulmans-sunnites et les musulmans-chiites.
Cette règle est une règle transitoire puisqu’à terme, toute personne devra être éligible à toutes les présidences. Pendant ce régime transitoire, la présidence de la chambre basse sera éligible à tout citoyen libanais. Le but de cette règle est de rassurer les trois communautés majoritaires tout en assurant une transition douce vers une déconfessionnalisation totale du système politique.
L’introduction de ces diverses règles permettra d’assurer au Liban une stabilité constitutionnelle qu’il faudra utiliser comme pierre angulaire afin de stabiliser tout le système politique à travers diverses réformes ultérieures touchant les autres secteurs et aspects de la société.
Elie Beyrouthy est conseiller juridique à la fédération bancaire européenne. Il est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon et détient un Master en droit international de l’Université Jean Moulin-Lyon 3 et un LLM de l’Université du Minnesota.